« En 2023, on meurt encore d’être une femme »
- En 2023, 91 féminicides par conjoint ou ex ont déjà été perpétrés en France, quand en 2022 on en dénombrait 118.
- Devant une salle comble, les 19e Rencontres « Femmes du Monde » de l’Observatoire départemental des violences faites aux femmes se sont donc concentrées sur les féminicides et le moyen de les prévenir.
- Une chambre spécialisée, avec 7 juristes assistants, doit ouvrir prochainement au Tribunal judiciaire de Bobigny pour accélérer le traitement de dossiers particulièrement préoccupants.
« Cantamos sin miedo, pedimos justicia/ Gritamos por cada desaparecida/ Que resuene fuerte « Nos queremos vivas ! »/ Que caiga con fuerza el feminicida » (Nous chantons sans peur, nous réclamons justice/ Nous crions pour chaque disparue/ Qu’on entende bien haut : « Nous nous voulons en vie ! »/ Dressons-nous violemment contre le féminicide »
Ce mardi 14 novembre, l’ensemble de la salle s’est donné de la force avec cette chanson de la Mexicaine Vivir Quintana, interprétée par le chœur du Département. De la force, il en fallait pour évoquer un sujet douloureux, qui est malheureusement toujours d’actualité en 2023 : les féminicides, autrement dit « les meurtres de femmes ou de filles en raison de leur sexe », a pris soin de définir Ernestine Ronai, co-fondatrice de l’Observatoire départemental des violences faites aux femmes de Seine-Saint-Denis.
En 21 ans d’existence, cet Observatoire pionnier – le premier de France – a eu le temps de se doter d’un certain nombre de dispositifs pour faire reculer ce fléau : le téléphone « grave danger », distribué à des femmes déjà victimes de violences pour empêcher la récidive, l’ordonnance de protection, mesure décidée par un juge des affaires familiales pour éloigner le conjoint violent. Des mesures qui, testées en Seine-Saint-Denis, ont été reprises à l’échelon national.
L’importance du « questionnement systématique »
Pourtant, en 2023, 91 féminicides par conjoint ou ex ont déjà été perpétrés en France, quand en 2022 on en dénombrait 118. Pour resserrer le focus sur la Seine-Saint-Denis, l’Observatoire a aussi présenté une étude de 27 cas de féminicides ou de tentatives de féminicides commis entre 2016 et 2023. D’où il ressort notamment que dans 12 situations, on avait des antécédents de violences signalées aux forces de l’ordre, et dans les 15 autres, pas d’antécédents connus. Ce qui faisait dire à Ernestine Ronai : « Il est important pour nous professionnel·le·s d’aider à repérer ces femmes, et ça passe par le questionnement systématique. » De plus en plus, assistantes sociales, médecins, mais aussi sages femmes ou auxiliaires puéricultrices sont ainsi formées à poser des questions autour de comportements éventuellement violents du conjoint, pour ne rien laisser passer entre les mailles du filet.
300% d’activité pénale en plus
Au niveau judiciaire aussi, les choses bougent en Seine-Saint-Denis. « La vague MeToo et la libération de la parole qu’elle a amenée ont eu des conséquences pour les juridictions : cela représente 300 % d’activité pénale en plus pour le Parquet », a ainsi indiqué Jean-Baptiste Acchiardi, premier vice-président du tribunal judiciaire de Bobigny. Et sa collègue Emmanuelle Quindry de présenter la nouvelle 31e chambre qui sera spécialement dédiée aux violences intra-familiales : « Cette chambre, pourvue de 7 juristes assistant·e·s, traitera les dossiers les plus graves et qui accusent le plus de retard. Il s’agit d’améliorer la réponse judiciaire sur le plan quantitatif, mais aussi qualitatif », a assuré celle qui était auparavant pendant 4 ans juge des enfants à ce même tribunal de Bobigny. Des liens forts existent d’ailleurs avec l’Observatoire départemental, qui formera en septembre et février prochain des magistrat·e·s du tribunal de Bobigny à la question des violences faites aux femmes.
Nantes et la Seine-Saint-Denis côte à côte
Côté politique, les interventions ont prouvé que là aussi une volonté était présente pour mener le combat plus avant, en tout cas au niveau local. « En 2023, on meurt encore d’être une femme…, a rappelé Johanna Rolland, la maire de Nantes, invitée à s’exprimer lors de cette journée. A Nantes, l’objectif est clair : faire de cette ville la première ville non sexiste de France. Cela passe par des moyens donnés aux associations, des formations à destination des agents municipaux, des mesures de bon sens comme l’arrêt à la demande dans les bus de nuit. Cela passe aussi par une mise en réseau des exemples vertueux parce qu’ensemble on est plus forts. L’Observatoire de la Seine-Saint-Denis a ainsi très largement inspiré celui de Loire Atlantique. »
Présent à Nantes en 2019 aux premières assises nationales contre les violences sexistes et sexuelles, Stéphane Troussel, le président de la Seine-Saint-Denis, insistait de son côté sur le manque de moyens criant, dénoncé par l’ensemble des associations. « Les initiatives locales contre les violences faites aux femmes existent mais elles sont encore trop sporadiques. Il est temps de changer d’échelle. L’État ne peut pas déclarer ce sujet « grande cause nationale » et n’y consacrer que 0,04 % du budget national, comme c’est le cas actuellement », a rappelé l’élu du Département. De son côté, la Fondation des Femmes chiffre à 2,6 milliards d’euros par an le budget nécessaire pour avoir une politique publique de lutte contre les violences faites aux femmes digne de ce nom.
Christophe Lehousse
Photo de une : Ernestine Ronai, Responsable de l’Observatoire des violences envers les femmes et Yadira Cortés Castillo, militante féministe mexicaine
Crédits photo : Nicolas Moulard
Mexique, Comores, Palestine : l’Observatoire tisse des liens
Placée sous le signe des « Femmes du Monde », la rencontre était aussi l’occasion de rendre hommage à ce qui se fait ailleurs dans le monde pour protéger femmes et enfants. Yadira Cortés Castillo, militante mexicaine et invitée d’honneur, a ainsi fait passer une vague d’émotion quand elle a rappelé le sort des femmes assassinées ou disparues de Ciudad Juarez. Selon Amnesty International, on estime ainsi à 1600 le nombre de femmes assassinées et à 2000 les femmes disparues depuis 1993 dans cette région au nord du Mexique. Mais là encore, pas de résignation chez cette battante, qui a pourtant perdu sa sœur âgée de 4 ans.
« Nous nous attachons à suivre les statistiques des crimes contre les femmes et à impulser des politiques publiques de défense des femmes. En novembre 2023, après trois ans de travail, un premier tribunal spécialisé dans les violences faites aux femmes vient d’ouvrir ses portes à Ciudad Juarez », a souligné fièrement celle qui a aussi contribué en 2010 à la création du premier centre de justice pour les femmes de Ciudad Juarez.
De leur côté, Myriam Abdallah Ali et Yasmina Dada, originaires des Comores, étaient elles venues en observatrices. « A l’image de l’Observatoire de Seine-Saint-Denis, on fait un travail de chiffrage. On s’adapte aussi aux réalités de la société comorienne, gouvernée par la loi civile mais aussi par la loi religieuse. On a ainsi engagé un gros travail contre les mariages forcés », témoignait Myriam Abdallah Ali, responsable de l’Observatoire de lutte contre les violences faites aux femmes et aux mineures de Ngazidja (l’île de la Grande Comore). Enfin, l’assistance a aussi eu une pensée pour les militantes palestiniennes de l’Observatoire des violences faites aux femmes de Jénine, dans l’impossibilité de venir compte tenu de la situation au Proche-Orient.
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Nous sommes sommes très fière de voire autant de personnes s’intéresser à ce sujet. C’est un combat noble qui mérite toutes les attentions. UN GRAND MERCI A VOUS. Vous sauvez des vies aujourd’hui, demain, et pour encore très très longtemps. BRAVO.