Dr Kpote : « Les adultes sont autant à éduquer que les ados »
- Connaissez-vous La Mission métropolitaine de Prévention des Conduites à Risques ?
- Co-financée par le Département de la Seine-Saint-Denis et Paris, elle oeuvre pour la prévention des comportements dangereux et addictifs.
- A l'occasion de ses rencontres annuelles, SSD.fr. a interviewé Didier Valentin, alias Docteur Kpote, qui intervient dans des collèges de Seine-Saint-Denis sur la sexualité et les comportements machistes.
20 ans que Didier Valentin, alias le Docteur Kpote, intervient en collèges et lycées sur les relations affectives et sexuelles. Lui qui vient de la lutte contre le sida et les IST a, comme il le dit, dû « muscler le discours sur les comportements machistes et les stéréotypes de genre », encore bien trop vivaces, même après Me Too. L’auteur de « Pubère la vie. A l’école du genre » intervient aussi depuis 2 ans dans les collèges de Seine-Saint-Denis dans le cadre d’un dispositif contre les comportements « virilistes », autrement dit machistes, à l’école. Interview.
Diriez-vous que les ados d’aujourd’hui vivent et découvrent leur sexualité comme ceux de la génération d’avant ou pas ?
Par rapport à ceux et celles qui sont aujourd’hui étudiant·es, il n’y a pas de changements fondamentaux. La grosse évolution, bien sûr, ça a été l’accès au numérique. Qui n’a pas que des côtés négatifs : les réseaux sociaux leur ont permis d’échanger entre communautés, en particulier les personnes LGBT qui se sont ainsi rendues compte qu’elles n’étaient pas seules. Les mauvais côtés, on ne les connaît que trop : le cyberharcèlement, l’accès à des contenus pas toujours adaptés à leur âge- je pense au porno, mais aussi aux violences charriées par certaines vidéos. Le but est donc de voir avec eux comment on développe un esprit critique par rapport à ça. Sur leur sexualité en elle-même, on a l’impression qu’ils et elles ont accès à beaucoup d’informations et en même temps ils et elles restent assez pudiques sur leur propre vie amoureuse ou sexuelle, et ça, c’est plutôt bon signe…
Y a-t-il une spécificité par rapport aux quartiers populaires ?
Oui quand même. Outre la précarité et la ghettoïsation sociale, il y a le fait que ces jeunes se connaissent tous et toutes et qu’il n’y a donc pas souvent moyen de se soustraire au jugement de l’autre. Ça se manifeste par exemple, pour certains jeunes garçons, dans une pression du groupe : quand il y a embrouille, il faut que t’en sois, sinon le jugement commence, à partir d’insultes souvent féminisées ou homophobes. Et sans faire de généralités, les filles sont beaucoup sous la surveillance des mecs, même si ce n’est pas propre aux banlieues.
En quoi consistent vos interventions auprès des collégien·nes ?
J’essaie au maximum de les mettre en activité. Après une présentation de l’identité de genre et une grosse piqûre de rappel sur le consentement, j’aime bien animer avec eux·elles un jeu avec des post-it. Je leur demande de donner selon eux des points positifs et négatifs au fait d’être une fille ou un garçon. Certains garçons mais aussi certaines filles écrivent des choses assez machistes, voire choquantes. Du coup, on travaille ensuite à partir de leurs réflexions. Un exemple : je les entends souvent parler de leurs parties de foot sur la console et certains disent quand ils ont réussi un petit pont : « Je t’ai violé ». Ils ont beau me dire qu’ils lui donnent un autre sens, je leur explique alors qu’on ne peut pas dire ça, que c’est dénaturer le sens des mots. Même si ça ne veut pas dire qu’ils ne réutiliseront pas l’expression, en général, ça fait son chemin.
En janvier dernier, une étude du Haut Conseil à l’Egalité alertait sur une hausse des comportements machistes chez les jeunes hommes. Le constatez-vous aussi dans vos interventions ?
Oui. Cette culture machiste s’exprime d’une manière très décomplexée, souvent bien nourrie par des vidéos sur les réseaux sociaux. Des discours comme ceux d’Alex Hitchens font énormément de mal : en inversant la charge, ils font croire aux garçons qu’il existerait une offensive contre le genre masculin. Leur faire comprendre qu’il existe un rapport de domination systémique hommes-femmes au sein de la société, mais que cela ne les remet pas en cause personnellement, n’est pas évident.
Et sur l’homophobie : est-il facile aujourd’hui pour un·e collégien·ne de découvrir et vivre son homosexualité ?
Ça reste compliqué selon moi. Avant, ça l’était parce que tu étais très seul. Les réseaux sociaux ont un peu modifié la donne. Mais la LGBT-phobie reste très forte. Dans un collège de Seine-Saint-Denis où j’intervenais l’année dernière, il y a même eu un cas de guet-apens homophobe : des garçons, que j’avais eus en formation, ont donné un faux rendez-vous à un adulte homosexuel sur un site de rencontres et l’ont tabassé. Je ne parle même pas des insultes homophobes, bien trop banalisées, du fait aussi de la passivité de beaucoup d’adultes. De ce point de vue, les adultes sont à mon sens autant à éduquer que les ados. Souvent, pour contrer ces discours homophobes, je me sers des insultes racistes dont certains ados peuvent être l’objet.
C’est-à-dire ?
Faire le pont entre les insultes homophobes qu’il·elles peuvent proférer et celles, racistes, dont il·elles sont victimes peut marcher. Souvent, il·elles finissent par comprendre que ce sont les mêmes mécanismes de discrimination qui sont à l’œuvre. Il·elles comprennent aussi que ce sont des mots qui peuvent blesser voire tuer. Évidemment, en 3 fois 2h je ne vais pas révolutionner leur vie, mais j’espère quand même que ce discours laissera quelques traces.
Propos recueillis par Christophe Lehousse