Des pensions de famille pour les « cabossés par la vie »

- Ce modèle de logement accompagné proposé par le bailleur social Adoma est pensé pour les personnes en grande précarité et nécessitant un encadrement de confiance.
- En Seine-Saint-Denis, Adoma possède 2 de ces pensions de famille, chacune d’une trentaine de places, tandis que deux autres sont en construction.
- Nous nous sommes rendus à la pension La Morée à Sevran, où 28 personnes reprennent doucement pied, avec des suivis adaptés.
« Mais tu es sûr que je vais en être capable ? – Mais bien sûr, t’es douée pour la peinture, c’est pas la première fois que je te le dis ! » Elisabeth*, casquette sur la tête et pinceau en main, hésite. Sur la toile tendue pour la fête de la pension de famille, en ce vendredi ensoleillé, Lionel le prof de dessin lui propose de peindre la chevelure de son idole, Mylène Farmer. Soudain, le regard clair d’Elisabeth s’anime et elle se lance.
« Le dessin, j’aime ça, ça me fait du bien. », lâche cette femme de 62 ans qui explique juste être tombée malade. Le 115- autrement dit le Samu social – l’a orientée il y a 3 ans vers cette pension de famille de Sevran, ce qui la change du centre d’hébergement d’urgence d’Aubervilliers où elle vivait avant, « à deux par chambre ».
Simple mais accueillante, la petite pension de famille d’Adoma est une première étape pour ces malmenés par la vie. Connu historiquement pour ses foyers de travailleurs immigrés, ce bailleur social compte aussi dans son parc ces unités de petite taille pensées pour des personnes ayant eu des accidents de la vie ou qui étaient auparavant dans la rue. « Certains arrivent aussi avec une problématique de santé mentale ou d’isolement. Ce lieu où le petit-déjeuner est organisé deux fois par semaine, où une psychologue vient une fois par semaine et où on peut répondre à leurs besoins leur convient donc souvent bien. De plus, il n’y a pas de durée de séjour maximum, ici on travaille dans le temps long », explique Sandrine Meyzindi, responsable de la pension de famille.
54 résidents sur 2 pensions
« Attention, on paye quand même un loyer », se permettra plus tard de souligner Fabien*, un autre résident : au départ de 450 euros par mois, il se chiffre au final pour chaque résident grâce aux APL entre 70 et 100 euros.
Existant depuis 2005, le modèle a plutôt fait ses preuves : à Aubervilliers et à Sevran, les 54 résidents se disent plutôt bien et deux autres « PF » comme on dit dans le jargon, sont en construction, à Aulnay et Pavillons-sous-Bois. « Le budget de fonctionnement est 100 % étatique, mais nous avons aussi d’autres partenaires : la ville participe au financement des nouvelles constructions et dans les comités de suivi qui se réunissent 5 fois par an siègent aussi des représentants des services sociaux départementaux », détaille Noémie Sikora, directrice territoriale de la Seine-Saint-Denis.
« Reconquête de l’autonomie »
Organisé au rez-de-chaussée de la résidence sociale attenante – où sont pour le coup proposés des logements classiques – un atelier sur la sensibilisation au diabète donne une idée des activités proposées de manière hebdomadaire. Letitia Gherhes, psycho-socio-esthéticienne, y explique à Mohamed, Marie-Claire ou encore Fanta* pourquoi il est important d’avoir une alimentation équilibrée et une vie pas trop sédentaire.
Pour l’occasion, la pension de famille a aussi convié des habitantes du quartier, habituées de la Maison de quartier Rougemont, à 10 minutes de là. « On essaie de développer au maximum tout ce qui peut créer du lien social. Sortir, connaître le quartier, prendre ses rendez-vous tout seul, c’est le premier pas vers une reconquête de l’autonomie », souligne Sandrine qui essaie aussi de jeter des passerelles entre les deux pensions de famille du 93.
Régis* justement, est venu en voisin. Résident de la pension sœur, celle d’Aubervilliers, il se tient légèrement en retrait, pas très bavard. En présence de Manya Abdeddaim, ancienne responsable de la pension d’Aubervilliers et désormais chargée du projet social pour toute la Seine-Saint-Denis, il ouvre son cœur : « Franchement, sans la pension Adoma, je ne sais pas où je serais aujourd’hui. Sans doute que j’aurais viré toxico ou que je serais mort. Je leur dois beaucoup », souffle ce quadragénaire qui a repris goût à la vie après un passage de 4 ans dans la rue. L’entendre parler de sa passion, le saxophone, qu’il a repris après sa descente aux enfers, justifie à lui seul l’existence de structures comme celles d’Adoma.
Chez Serge*, locataire à Sevran depuis 5 ans, on sent aussi qu’il peut y avoir un après-résidence. « Je suis tombé dans la drogue au Franc-Moisin, une cité très dure de Saint-Denis où j’ai grandi. Mais tout ça c’est derrière moi. La pension c’est bien, ok, mais ce n’est qu’un passage pour moi. Dans pas trop longtemps, ce dont je rêve, c’est de retrouver un boulot dans la restauration et d’avoir mon propre chez moi et pourquoi pas ma famille », explique ce quadra, qui a connu une première expérience concluante de restauration à l’association d’insertion Aurore. Dans ses yeux, on lit une certaine fierté de lui-même, et on se dit que Sandrine la responsable, Suzanne la psychologue, Letitia l’intervenante psycho-sociale, que tous ces travailleurs sociaux du quotidien n’y sont sans doute pas étrangers.
Christophe Lehousse
*Tous les prénoms des résidents ont été changés