Concevoir la protection de l’enfance à l’horizon 2027
Ce jeudi 12 janvier, les grands acteurs de la protection de l’enfance étaient réunis pour décider d’une nouvelle feuille de route jusqu’en 2027. Prise en compte des attentes des jeunes eux-mêmes, réponses aux tensions connues dernièrement par le secteur… Myriam Bouali et Lucie Debove, directrice et directrice adjointe Enfance et Famille au Département, font le point.
La protection de l’enfance en Seine-Saint-Denis, ce sont 9 500 jeunes, placé·e·s sous la responsabilité du Département, chef de file de cette politique publique, comme les autres départements en France. Parmi ces jeunes, 3 760 sont placé·e·s en foyers, 1 600 le sont chez des assistant·e·s famili·ales·aux et les autres sont concernés par des mesures d’assistance éducative. Des chiffres qui attestent d’un certain nombre de besoins, qui ne sont malheureusement pas toujours couverts. Les impacts de la crise sanitaire sur les familles – cumulés à une perte d’attractivité des professions du médico-social – ont causé ces derniers temps des tensions auxquelles le nouveau schéma devra aussi apporter des réponses. Myriam Bouali, directrice Enfance et Famille et Lucie Debove, responsable de l’Aide sociale à l’Enfance au Département, font le tour des sujets abordés par le nouveau schéma départemental avec les grands acteurs de la protection de l’enfance (le Département, mais aussi les établissements partenaires et la justice.
Quels sont les grands enjeux de ce nouveau schéma départemental de la protection de l’enfance ?
Lucie Debove : « Ce schéma, c’est la feuille de route de toute la protection de l’enfance du Département. On y décline les actions qu’on va mettre en place pour les 4 années à venir. Il faut savoir que la protection de l’enfance, c’est une politique très partenariale qui fait aussi intervenir la justice qui joue un rôle très important et les établissements de protection de l’enfance (foyers ou structures en milieu ouvert) qui accueillent les enfants placés. Le précédent schéma nous avait déjà permis de poser de bonnes bases sur le repérage des enfants en danger, l’amélioration de l’accueil d’urgence, l’accompagnement à l’autonomie des jeunes majeur·e·s… Là où on a encore à progresser, c’est sur l’effectivité des droits de l’enfant au quotidien, autrement dit comment on permet à des enfants placés de vivre une vie la plus banale possible.
Les récents témoignages du premier Conseil des Jeunes de l’ASE qui s’est tenu à Stains fin novembre allaient-ils dans ce sens ?
LD : Oui effectivement. Beaucoup des jeunes qui ont pris la parole ce jour-là avaient des questions très concrètes sur leur vie quotidienne : « J’aimerais bien inviter des amis dans mon foyer, mais ce n’est pas possible… Comment dormir chez un copain sans qu’il y ait 36000 autorisations à signer ? » Des demandes aussi pour avoir aussi une alimentation plus variée… Nous allons voir comment nous pouvons faire évoluer les politiques publiques à partir de ces demandes.
Un des sujets de préoccupation des jeunes qui approchent de leurs 18 ans est leur obtention d’un contrat jeune majeur. Cela peut être source de stress dans leur parcours. Des facilitations vont-elles être apportées ?
LD : Historiquement, le Département est déjà très impliqué sur les contrats jeune majeur (des contrats assurant aux jeunes des moyens de subsistance jusqu’à leurs 21 ans). Et le 7 février 2022, une nouvelle loi est passée qui oblige les départements à leur proposer des contrats jeune majeur, à partir de la définition d’un projet de vie. Cela vient donc renforcer les droits des enfants suivis. Une autre mesure intéressante, incluse là aussi dans la nouvelle loi, est le « droit au retour ». Autrement dit, le droit pour les enfants placés de solliciter l’ASE pour un contrat jeune majeur, même s’ils l’avaient d’abord décliné. En effet, à leur majorité, beaucoup de jeunes majeurs claquent la porte de l’ASE, souvent parce qu’ils ont eu une vie institutionnelle très longue et qu’ils sont las des démarches. Là, ils auront la possibilité de redemander un contrat jeune majeur, même s’ils n’en avaient pas formulé la demande au départ.
Les personnels de la protection de l’enfance sont très engagés et pourtant, l’action de l’ASE en Seine-Saint-Denis a pu être critiquée. Les problèmes viennent notamment du fait qu’il manque très clairement des éducateurs, et que les délais des décisions de justice sont bien trop longs. Le nouveau schéma devra-t-il aussi remédier à ça ?
Myriam Bouali : Oui, on a des impératifs dans le cadre de cette politique publique sur comment on gère l’accueil d’urgence, l’accueil en établissements. Le Département n’a pas attendu le nouveau schéma pour prendre des mesures en faveur des travailleurs sociaux dans le cadre du plan d’action Travail social et des revalorisations ont pu être mises en œuvre. Il faudra sans doute aller plus loin. Beaucoup des équipes qui travaillent auprès des jeunes nous parlent parfois de perte de sens, liée à leur conditions de travail. Redonner du sens, ça passe par le renfort des recrutements, l’amélioration de l’équipement fourni aux professionnels, par le fait de travailler avec eux au sens qu’on veut donner collectivement à la protection de l’enfance…
Comme à l’hôpital, on peut entendre beaucoup de témoignages de professionnels qui disent : « J’aime mon métier mais les conditions de travail dans lequel je l’exerce font que je ne l’aime plus… »
MB : Oui, mais ce n’est pas un sujet propre à la Seine-Saint-Denis, ni même au travail social. Ce constat, on pourrait l’étendre au médico-social, et effectivement au sanitaire. Tous ces métiers sont en tension, faute d’avoir été reconnus ou valorisés à leur juste mesure. Et les 2 dernières années de Covid ont encore ajouté aux difficultés, avec la précarisation de certaines familles qui en a découlé. Tout le monde constate une aggravation de ces problématiques de recrutement. Il faut qu’on puisse en parler collectivement pour ne pas être dans la gestion de l’urgence permanente, puisque c’est ça aussi qui dégrade le sens de ces métiers…
Concernant les mineur·e·s non accompagné·e·s (MNA), le défi est d’arrêter les hébergements en nuits d’hôtel, aussi pour se mettre en conformité avec la loi de 2022…
MB : Le Département avait anticipé cette loi en réduisant déjà sensiblement la part de MNA logé·e·s dans des hôtels sociaux parce que ce mode d’hébergement n’est pas satisfaisant en termes d’accompagnement (on recensait 1666 MNA pris·es en charge par le Département en 2022, des jeunes gens qui ont très souvent un parcours migratoire et qui doivent d’abord être reconnu·e·s mineur·e·s avant de pouvoir être pris·es en charge par l’ASE, ndlr). Il va falloir poursuivre cet effort avec cette loi qui n’interdit pas les nuitées d’hôtel mais les cantonne à un mode d’hébergement d’urgence (on estimait à 6% la part des jeunes logés en hôtels en 2022). Là aussi, avec les MNA comme avec les autres jeunes, nous comptons insister sur l’accompagnement à l’autonomie et en particulier sur la sortie vers l’âge adulte, qui est comme on le sait un moment générateur de risques multiples.
En avril dernier s’est ouverte la première Maison Colibri dans le département, aux Pavillons-sous-Bois. Il s’agit d’une petite unité de vie, ouverte à 10 jeunes de l’ASE, où ils et elles peuvent chacun travailler leur projet professionnel. Cette solution n’est évidemment pas déclinable à tous les jeunes, mais a-t-elle vocation à être démultipliée ?
MB : Dans tous les cas de figure, nous recherchons des offres qui soient adaptées aux besoins et aux caractéristiques des jeunes. Donc oui, nous essayons au maximum d’être dans la variété de l’offre. Cela peut aller de la création de petites unités de vie comme la Maison Colibri à une pouponnière, pour des bébés, que nous voulons aussi ouvrir. Nous souhaitons aussi renforcer le placement familial de Montreuil-sur-Mer, un lieu où le Département compte historiquement un certain nombre de familles d’accueil. On a besoin de continuer à développer l’offre, et tout type d’offre.
Propos recueillis par Christophe Lehousse