50 ans après le procès de Bobigny, un hommage à Gisèle Halimi
En 1972, Marie-Claire Chevalier, défendue par l’avocate Gisèle Halimi, était acquittée après un avortement, puni par la loi à cette époque. 50 ans plus tard, le Département et la Ville de Bobigny ont apposé deux plaques commémoratives sur le bâtiment qui avait accueilli ce procès emblématique de la lutte pour les droits des femmes, entré dans l’histoire comme « le procès de Bobigny ».
La salle ne paye pas de mine, 60 personnes suffiraient déjà à la remplir. On a peine à imaginer que c’est ici, il y a 50 ans, que s’est tenu le fameux procès de Bobigny. Perdu dans le parc départemental de la Bergère, le « bâtiment K », qui aura hébergé le tribunal de grande instance de Bobigny jusqu’en 1987, fait presque irréel.
Ici, le 8 novembre 1972, derrière ce mobilier en formica – tout ce qu’il reste de l’époque – l’avocate Gisèle Halimi a prononcé sa célèbre plaidoirie pour faire acquitter Michèle Chevalier, accusée d’avoir aidé sa fille Marie-Claire, 16 ans, à se faire avorter. Mais surtout, l’argumentaire de Gisèle Halimi aura fait apparaître la loi de l’époque pour ce qu’elle était : une loi rétrograde, néfaste à la liberté de toutes les femmes.
« Gisèle Halimi est une combattante qui a alors compris que ce procès créait les conditions d’une rupture. Elle a fait entrer la société de l’époque avec toutes ses inégalités et son machisme au sein du tribunal de Bobigny et en a fait son procès », ponctuait l’ancienne Garde des Sceaux Christiane Taubira, invitée par le président du Département Stéphane Troussel à l’occasion de cette journée-hommage. « C’était un esprit brillant, avec une grande fidélité au droit, qui est cette règle commune qui rend toute vie en société possible », a estimé Christiane Taubira, en parlant de celle qui aura aussi porté la cause de l’anti-colonialisme.
En 1972, le tribunal de grande instance de Bobigny, alors installé dans les locaux de la cité administrative provisoire – le Département lui-même nouvellement créé n’a alors que 8 ans – accueille en effet un procès historique. Celui de Marie-Claire Chevalier, accusée d’avoir avorté après un viol et mineure à l’époque des faits, et de sa mère Michèle, qui l’a aidée à avorter clandestinement. A cette époque, le droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) n’existe pas encore et toute femme ayant avorté est passible d’une peine de prison de 6 mois à deux ans- une réalité que rappelle aussi Annie Ernaux, récemment couronnée du Prix Nobel de littérature dans son livre « L’événement ». « La jeune femme de 16 ans habitait alors un HLM de Neuilly-Plaisance, ce qui explique que le procès ait donc eu lieu dans la juridiction de Bobigny », explique Hélène Caroux, historienne au service Patrimoine du Département.
Des droits arrachés de haute lutte
Elle-même signataire en 1971 du manifeste des 343 femmes ayant avorté, Gisèle Halimi va saisir l’occasion pour renverser la situation : le procès de Marie-Claire et Michèle devient le procès d’une loi niant le droit des femmes à disposer de leur propre corps. Le 11 octobre, Marie-Claire est d’abord relaxée par le tribunal pour enfants, qui l’a jugée à huis clos, et le 20 novembre, sa mère et la femme ayant pratiqué l’avortement clandestin ne sont condamnées qu’à du sursis. Seulement trois ans plus tard, une loi portée par Simone Veil légalisera enfin l’IVG.
« La célébration des 50 ans de ce procès vient nous rappeler que les droits acquis ne sont pas tombés du ciel, mais que les femmes les ont arrachés de haute lutte. De la même manière, ce lieu nous rappelle aussi combien ces droits sont fragiles, à l’heure où aux Etats-Unis mais aussi dans certains pays d’Europe, le droit à l’avortement est remis en cause », insistait dans son discours Maria Cornaz Bassoli, secrétaire nationale de « Choisir la cause des femmes », association fondée par Gisèle Halimi peu de temps avant le procès de Bobigny.
La jeune femme, qui aura côtoyé la célèbre avocate à partir de 2007, s’applique désormais à perpétuer son combat : « Choisir la cause des femmes » a ainsi lancé une étude se penchant sur les législations de tous les pays européens et listant les plus progressistes d’entre elles pour les femmes dans tous les champs de la vie sociale et professionnelle.
Une démarche qui résonne avec celle entreprise en son temps par Ernestine Ronai. La fondatrice de l’Observatoire départemental du droit des femmes n’était pas directement présente au moment du procès de Bobigny, mais elle aura fait partie des nombreuses femmes manifestant à l’époque pour le droit à l’IVG : « Ce qui me touche, c’est de voir qu’on a transmis le flambeau à la nouvelle génération », estimait cette infatigable militante.
Appel à la panthéonisation de Gisèle Halimi
Propriété du Conseil départemental – une équipe de la Direction de l’Eau et de l’Assainissement occupe encore les lieux – le bâtiment K pourrait ne pas être détruit à la différence de toutes les autres annexes autour de lui et devenir un lieu de mémoire. « Il serait souhaitable que ce lieu héberge à terme un projet en lien avec les luttes féministes d’hier et d’aujourd’hui. Nous sommes en train d’y réfléchir avec la ville de Bobigny », expliquait de son côté le président du Département Stéphane Troussel qui appelait par ailleurs à l’entrée au Panthéon de Gisèle Halimi, décédée le 28 juillet 2020. Evoquée au cours du premier mandat d’Emmanuel Macron, cette panthéonisation est depuis sans cesse repoussée.
Photos : ©Nicolas Moulard