« Ma vie est remplie de mercis » : Sébastien, petit frère poète des pauvres

« Ma vie est remplie de mercis » : Sébastien, petit frère poète des pauvres
Solidarités
  • Huit ans que cet homme de 74 ans intervient maintenant comme bénévole pour les Petits Frères des Pauvres à Saint-Denis.
  • Depuis 1946, cette association, subventionnée notamment par le Département, lutte contre la pauvreté et l’isolement des personnes âgées.
  • « Rendre ce qu’on m’a donné » : c’est ainsi que Sébastien* perçoit son engagement, lui qui a d’abord bénéficié d’une aide de l’association après une mauvaise passe.

La veille encore, il animait un atelier d’écriture à l’antenne de Saint-Denis des Petits Frères des Pauvres. « Comme thème, j’ai proposé l’automne. J’aime bien partir des saisons ou de la nature parce que ça fait remonter des souvenirs chez les gens. »

A 74 ans, Sébastien aime se concentrer sur les choses simples, celles qui à 20 ans paraissent dérisoires mais contiennent pourtant beaucoup du sel de la vie. Lui, le Franco-Libanais polyglotte – il parle l’arabe, le français, l’anglais et l’italien – est un peu comme Candide, le héros de Voltaire, qui a couru le monde, connu les fastes et les puissants, mais préfère désormais « cultiver son jardin.» Au sens littéral du terme : le jardin et le potager qui s’étirent en bas de la résidence qu’il habite, cité Floréal, sont en bonne partie nés de ses mains et de celles de Michel, un co-résident.

« Tous les ans, il nous donne des haricots, des tomates, des courgettes, des aubergines, des fraises, des raisins. C’est gratuit et c’est pour tous les gens de la résidence », dit celui qui a appris l’art de jardiner dans les livres, comme beaucoup d’autres choses.

Autour d’un café libanais, servi dans une rakwé, une cafetière dorée qui lui rappelle son Beyrouth natal, Sébastien redéroule le fil de sa vie. Un simple regard sur les murs de sa chambre suffit déjà à en raconter une bonne part. A gauche du couloir d’entrée surmonté de la croix catholique, on découvre trois petites peintures : la place de l’Etoile à Beyrouth, son village de Btedhi dans les montagnes libanaises et les ruines du temple romain de Baalbek. Sur une table basse, des photos de ses deux sœurs, et une autre de son ex-épouse et lui, en costume élégant.

« Regardez comme on était beaux », dit-il en roulant les R de sa belle voix. Qui se voile légèrement quand on évoque certains sujets : le Liban et sa situation actuelle – « Je mourrai certainement sans le revoir » – et ce qui a mené à sa banqueroute personnelle.

270 bénévoles pour 400 personnes âgées

Pour Sébastien, la chute a en effet été brutale : jusqu’au début des années 2000, lui et son associé possédaient une tannerie dans le nord de l’Italie. « Ça marchait bien pour nous. On a compté jusqu’à 42 salariés. Mon associé gérait l’entreprise et moi je faisais le tour du monde pour négocier les achats de peaux. Mais par une erreur commune à tous les deux et aussi par un excès de gourmandise, on a tout perdu… »

Quasi du jour au lendemain, les deux associés doivent déposer le bilan et Sébastien se retrouve sans rien. La belle maison à Nice n’est plus qu’un souvenir. Avec 2000 euros en poche, l’ancien homme d’affaires se résout à composer le numéro du 115 qui lui trouve un centre d’hébergement temporaire à Thiais (94). Puis cette résidence autonomie à Saint-Denis où il habite depuis 11 ans maintenant.

C’est là, un an après son arrivée, qu’il a croisé la route des Petits Frères des Pauvres. « A l’époque, ça n’allait pas fort. Je n’avais quasiment rien, pas de RSA, pas de minimum vieillesse, juste un toit sur la tête. Ce sont les Petits Frères qui m’ont expliqué toutes les démarches et fourni aussi une présence. »

Maintenant qu’il a remonté la pente, Sébastien n’oublie pas ce qu’on lui a donné et « donne en retour ». Lui qui sait que « personne n’est à l’abri de la pauvreté » est devenu l’un des 270 bénévoles des Petits Frères qui donnent de leur temps pour accompagner quelque 400 personnes âgées, rien qu’en Seine-Saint-Denis. « Vous n’avez pas idée comme certaines peuvent être seules » , lâche-t-il, confirmant ainsi un récent rapport commandé par l’association qui établit que 37 % se sentent abandonnées au sein de la société.

400 poèmes en français et en arabe

Quasiment toutes les semaines, ce « chantre de la paresse », mais qui fait quand même beaucoup de choses, rend visite à des malades à l’hôpital Casanova. Pendant 4 ans, il a aussi donné des cours d’anglais à la Maison de quartier située juste en face, avec un public allant de 10 ans à une dame de 77 ans. Et tous les 3 mois, il écrit pour la Gazette des Petits Frères des Pauvres un de ces poèmes légers comme l’air de son village des montagnes libanaises.

« Merci pour l’ami qui sait si bien ne pas compter/ Et pour celui sur qui on peut toujours compter/ Ma vie est remplie de mercis./ Je dis merci comme je dis bonjour / C’est un petit mot simple mais qui pèse lourd/ Si mes lèvres l’expriment avec douceur/ c’est qu’il prend naissance au fond de mon cœur/ Merci de m’avoir permis de vous dire merci ». Ce sont les vers d’un poème intitulé « La gratitude » mais on pourrait aussi citer ceux du « Vivre-ensemble », « Démons et merveilles » ou encore de « L’amour n’a pas d’âge », son préféré.

L’écriture, cet amoureux de Hugo, Lamartine et Khalil Gibran y est venu vers 2005, pour se changer les idées, quand les pensées se faisaient un peu trop noires. L’œil curieux, il nous fait lire quelques-uns des 400 poèmes qu’il a composés en français et en arabe. Passionné d’histoire, il a aussi écrit un roman, « L’épine jalouse de la rose » sur fond de Croisades, pour lequel il s’est documenté pendant 3 ans à la médiathèque et qui est en passe d’être publié en anglais.

De temps en temps lui revient en mémoire un dicton qu’il tient de sa mère : « Ne regarde pas en haut, tu ne feras que te faire mal à la nuque. Regarde en bas vers ceux qui n’ont rien. Eux, tu peux les aider … » Sébastien est debout, prêt à nous raccompagner. Sur sa tête il a mis sa belle casquette/ et dedans, comme il les aime, flotte sans doute un poème.

Christophe Lehousse

* Sur demande de l’intéressé, le prénom a été changé.

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