Une exposition sur la spirale des jeux d’argent

« J’ai perdu 30 euros en pariant sur Betclic pendant l’euro de football » confie Matthieu* avec un sourire mi figue-mi raisin. « Je n’aurais pas imaginé à quel point leurs pratiques sont agressives pour racoler toujours de nouveaux joueurs… ». Le jeune Rosnéen écoute avec attention les informations données par l’intervenante en prévention des conduites à risque du Tête à Tête, en participant avec un ami à la table de casino installée dans le circuit de l’exposition. « Ici, le jeu se fait sans aucun risque. Nous cherchons à faire toucher du doigt l’excitation d’un joueur après un gain et les montagnes russes émotionnelles vécues par celui qui peut perdre beaucoup très vite en pensant pouvoir se refaire » explique une professionnelle de la structure.

Une expo pour éviter l’engrenage du jeu

L’exposition Ca$h Ca$h du Tête à Tête multiplie les clins d’oeil à l’univers clinquant des casinos, qu’ils soient réels ou en ligne, en proposant des animations pédagogiques autour d’une table de poker, d’une « cash roulette », d’un coffre-fort, de bornes d’arcade numérique… En entrant, le visiteur choisit son profil de joueur : stratège, sage, aventurier… et analysera plus tard comment son personnage a réussi à esquiver les redoutables stratégies marketing instaurées par le secteur des jeux d’argent et de hasard.

« La première partie du circuit est axée sur le ressenti du joueur, les notions de divertissement, d’adrénaline… qui peuvent cacher une autre réalité comme l’addiction, les pertes financières et leurs conséquences sociales » explique Yasmina, intervenante en prévention des conduites à risques. « La seconde partie se concentre sur les mécanismes d’influence, opérant sur les émotions fortes, le virilisme ou la pression des pairs lorsque ces jeux sont pratiqués en groupe ». 

L’exposition multiplie les vidéos pédagogiques, les quizz, les conseils de prévention… en détournant les stratégies de communication des entreprises de jeux en ligne, qui passent souvent par les réseaux sociaux ou des codes bonus incitant le public à parier ou jouer plus que de raison. Elle rappelle également les réalités des jeux à gratter de type EuroMillions qui font perdre en moyenne un euro sur deux euros misés.

La Seine-Saint-Denis a lancé sa première campagne de communication contre le marketing agressif des paris en ligne en novembre-décembre 2022, lors de la Coupe du monde de football. Un message qui a remporté le Grand Prix Cap’Com 2023 dans la catégorie communication comportementale.

Une étude sur la « fabrique de l’addiction »

Cette exposition immersive s’inscrit dans le prolongement de la campagne de prévention sur les paris sportifs en ligne menée depuis trois ans par le Département et renouvelé en 2024 lors de l’Euro de football, à quelques semaines des Jeux olympiques et paralympiques (NDLR : voir le lien en bas de l’article). « La Seine-Saint-Denis a souhaité sensibiliser le grand public et en particulier les jeunes aux risques de mal-être et d’endettement que ces entreprises peuvent occasionner, la majorité des sites internet de jeux d’argent étant illégaux et hébergés à l’étranger » ajoute Magalie Thibault, vice-présidente du Conseil Départemental, chargée des solidarités et de la santé lors de son inauguration le 12 décembre.

Le sociologue Thomas Amadieu a par ailleurs été missionné par la Mission métropolitaine de prévention des conduites à risques, dont le Département est partie prenante, pour explorer les pratiques de paris sportifs et de jeux d’argent chez les jeunes, en mettant la focale sur la Seine-Saint-Denis. Les jeunes des quartiers populaires sont en effet une cible privilégiée et ont six fois plus de risques de tomber dans la dépendance, selon l’Observatoire départemental des discriminations et des inégalités. L‘étude du chercheur, qui sera publiée fin décembre, permettra de mieux comprendre les ressorts sociologiques de ce phénomène qui explose chez les moins de 35 ans. 

Lolita, éducatrice pour l’Aide sociale à l’enfance invitée à l’inauguration, a fait l’amère expérience de la nocivité des jeux de hasard en ligne. « Dans la Maison d’enfants à caractère social où je travaille, un jeune de 18 ans perd plus de 400 euros tous les mois en jouant sur ces sites et reconnaît leur caractère addictif » confie-t-elle. « Je vais amener en début d’année prochaine un groupe d’adolescents – dont ce jeune homme – voir cette exposition pour leur passer un message de prévention sans les culpabiliser ».

Même son de cloche pour Isabelle, assistante sociale dans un collège de Gagny. « De nombreuses familles d’élèves explosent ou divorcent suite à des cas de surendettement dus à ces jeux » renchérit-elle. « Je vais faire d’une pierre deux coups en conviant bientôt une classe de 3^ème pour une séance sur la vie affective et sexuelle (NDLR : une des compétences du Tête à Tête), qui s’achèvera par la visite de cette exposition ».  Une façon d’inciter les futurs adultes à ne pas dilapider leurs économies dans des jeux cruels dont seules les entreprises propriétaires sont les gagnantes.

*Prénom modifié à la demande de l’intéressé

Un tiers des jeunes de 15 à 17 ans s’est adonné aux jeux d’argent selon une enquête de la Société d’entraide et d’action psychologique (SEDAP), une exposition qui peut engendrer de l’isolement, de l’anxiété, des répercussions sur le temps scolaire…

Exposition « Cash cash, la face cachée des jeux d’argent et de hasard » jusqu’en octobre 2025
au Centre Commercial ROSNY 2, avenue du Général de Gaulle, Porte 7 à Rosny-sous-Bois
Tel : 01 71 29 24 11
Ouvert du lundi au samedi de 10h à 18h30, sauf le mardi et le jeudi matin

Crédit-photo : Nicolas Moulard