Après une année d’existence, l’Observatoire départemental des discriminations dresse un premier bilan
Un an après sa création, l’Observatoire de lutte contre les discriminations a tiré jeudi 20 octobre un premier bilan : sa caravane créée l’été dernier a été l’occasion pour beaucoup de résidents d’être sensibilisés à leurs droits. Pour autant, en Seine-Saint-Denis, 6 habitants sur 10 se disent toujours victimes de discrimination, sans que les recours n’augmentent pour autant. Retour sur cette journée de débats.
« Je me souviens de cette fois où j’avais vu une annonce dans le journal parlant d’un appartement à louer. J’appelle, le propriétaire est très cordial et me dit de venir car je suis à deux pas. J’arrive un quart d’heure plus tard, le propriétaire me voit et me dit directement que l’appart est loué, qu’il n’a plus rien. J’ai mis ça sur le compte de ma couleur de peau. » Des témoignages comme celui de cette Séquano-Dionysienne, qu’on peut voir dans une vidéo émouvante du Kygel Théâtre, la caravane de l’Observatoire des discriminations et de l’égalité (ODDE) en a recueilli un bon nombre cet été.
Passé dans 17 villes sur les 40 que compte le département, ce bus renseignait à la fois les habitants sur leurs droits et offrait la possibilité à ceux se disant victimes de discriminations de rencontrer un délégué du Défenseur des droits. « Si aucun de ces témoignages n’a donné lieu à une saisine de la Défenseure des droits, on a senti chez les habitants du soulagement à pouvoir parler de ces questions là et parfois aussi de l’émotion », résumait Juliette Griffond, responsable de la Mission égalité diversité au Département.
En 2022, à l’occasion d’un troisième baromètre Harris, 6 personnes sur 10 en Seine-Saint-Denis se disent toujours victimes de discriminations, un chiffre stable depuis l’année dernière, mais qui avait augmenté depuis la première mesure en 2019 (56%). Avec parmi les premiers critères de discrimination évoqués : la couleur de peau, le quartier d’habitations et la religion.
« On sait que les discriminations existent, c’est une évidence. Or, elles donnent lieu à très peu de dépôt de plaintes ou de recours en général. C’est lié à plusieurs phénomènes : une méconnaissance des mécanismes discriminatoires, la peur de faire valoir son bon droit, parfois aussi un sentiment de fatalisme ou d’impunité », abondait Cris Beauchemin, directeur de formation à l’INED qui a lui contribué à une étude nationale (Trajectoires et origines II) où se retrouvait ce même faible taux de recours.
25 villes visitées lors de la prochaine caravane
« Il faut bien avoir conscience que les discours de racisme, de mise au ban de la société qu’on a pu entendre de la part de certains candidats au cours de la campagne des élections présidentielles ont des manifestations concrètes au quotidien en Seine-Saint-Denis : ce sont des contrôles au faciès, des discriminations à l’embauche ou pour un logement… », insistait de son côté Stéphane Troussel, président du Département de la Seine-Saint-Denis, aux côtés d’Oriane Filhol, vice-présidente en charge de la lutte contre les discriminations.
Travailler à chasser ce sentiment de fatalité, c’est donc une des missions à laquelle veut s’atteler l’Observatoire dans les prochaines années, en partenariat avec la Défenseure des droits, qui seconde le Département sur bon nombre d’actions. « 18 bénévoles accueillent le public en Seine-Saint-Denis dans des Maisons de la justice et du droit ou des points d’accès aux droits », rappelait ainsi Sophie Pisk, qui représentait cette institution indépendante.
L’été prochain, cette caravane des discriminations sera donc reconduite, cette fois dans 25 villes. Le volet éducation, jugé crucial, sera lui aussi étoffé, avec « Jeunes contre le racisme », élargi de 3 à 11 collèges. Ce dispositif, qui vise à amener des collégiens à créer des campagnes de communication ou de dénonciation du racisme, déjà mené cette année par l’association Remembeur, accueillera ainsi d’autres actions comme des représentations de théâtre forum.
Autre outil, les campagnes de testing. Celle qui vient d’être rendue publique par l’ODDE relative à l’immobilier n’a certes pas conclu à des faits répréhensibles par la loi, mais à des différences de traitement évidentes : « 50 agences immobilières ont été testées, et les deux profils-tests (donc susceptibles d’être discriminés) étaient clairement moins bien traités que les deux autres profils, on les renvoyait par exemple au site sans leur donner d’autres précisions », expliquait Juliette Griffond avant d’annoncer une nouvelle phase de testing, visant cette fois l’accès des jeunes aux loisirs ou aux services publics. Petit à petit, l’Observatoire de lutte contre les discriminations se dote donc d’outils et de moyens de sensibiliser l’opinion, à l’image de son grand frère, l’Observatoire de lutte contre les violences faites aux femmes, qui s’apprête à fêter ses 20 ans.
Photos : ©Nicolas Moulard
La Seine-Saint-Denis, terre de discriminations environnementales
L’usine-poison d’Aulnay, les industries ayant laissé des métaux lourds dans les sols de la Plaine Saint-Denis, l’A1 qui a longtemps représenté une source de pollution sonore et atmosphérique avant d’être partiellement couverte… Ce n’est un secret pour personne : la Seine-Saint-Denis a infiniment plus subi les conséquences négatives de l’industrialisation que les beaux quartiers. Et les subit encore aujourd’hui. Deux chiffres : le département compte encore 4061 sites industriels dont 51% sont répertoriés de premier niveau (pétrochimie et chimie lourde).
Aux inégalités sociales, déjà importantes, viennent donc s’ajouter des inégalités par rapport à l’exposition à des matières ou résidus pouvant porter atteinte à la santé. C’est de ces « discriminations environnementales » qu’il a été question dans un focus assez dense lors de la 2e journée de l’Observatoire.
Un concept qui selon la sociologue Valérie Deldrève est apparu dans les années 70-80 aux Etats-Unis (dans l’affaire du comté de Warren par exemple, où sont transformés la plupart des déchets de Caroline du Nord) avant de résonner aussi avec des mouvements d’écologie populaire en Amérique du Sud. L’idée sous-jacente : il y a une surreprésentation des sources de pollution dans les quartiers défavorisés qui sont souvent les moins à même de se défendre contre l’installation de celles-ci. Cécile Duflot, elle aussi invitée, se référait ainsi à une étude des sociologues Lucie Laurian et Richard Funderburg datant de 2014 qui démontrait que pour chaque pourcentage d’habitant d’origine immigrée dans un quartier, la probabilité d’avoir un incinérateur de déchets à proximité augmentait de 29 %.
« On sait aussi que les inégalités vont s’accroître avec le réchauffement climatique. Alors que les moins riches sont les moins responsables de ces impacts climatiques, ce sont eux qui vont le plus les subir », soulignait la dirigeante d’Oxfam France, une ONG luttant contre les inégalités à travers la planète.
Lien de causalité dur à prouver
Problème : cette discrimination environnementale n’existe pas encore en tant que telle dans le droit français. « Ce qu’on peut constater, ce sont des inégalités territoriales couplées à des discriminations au sens juridique du terme, si l’on considère par exemple que l’environnement est un bien commun auquel tout le monde doit pouvoir accès. Mais la difficulté est bien souvent, peut-être encore plus que dans les autres cas de discrimination, de prouver le lien de causalité qui peut exister entre une source de pollution et telle ou telle pathologie », expliquait avec pédagogie Hilème Kombila, avocate à l’initiative de « Notre affaire à tous », association qui avait intenté un procès contre l’État pour « inaction climatique ».
A son échelle, la Seine-Saint-Denis tente aussi plus modestement de se prémunir contre les inégalités environnementales ou climatiques qui se profilent. Face au danger des vagues de chaleur, le département prévoit ainsi 30 000 arbres dans le cadre du plan Canopée ou encore la création d’un Service local pour la maîtrise de l’énergie, afin de faciliter l’isolation de logements vieillissants, dont certains sont réduits à l’état de passoire thermique. « C’est un combat de longue haleine, mais qu’on peut mener en tissant des liens avec tous les autres acteurs, insistait le directeur de la délégation à la Transition énergétique Ari Brodach. Tout en faisant preuve d’humilité : « Parfois, les enjeux sanitaires et sociaux peuvent entrer en contradiction. Comme dans le cas des Zones à Faible Emission. Ainsi, toutes les communes à l’intérieur du périmètre de l’A86 sont déjà interdites aux véhicules polluants de Crit’Air 4 et 5 et seront interdites aux Crit’Air 3 à partir de fin 2024. D’un côté, il a été démontré que cela réduira nettement la pollution atmosphérique pour les quartiers populaires. Mais d’un autre côté, 55 % des habitants interrogés dans le cadre d’une enquête de Plaine Commune ne sont pas au courant qu’ils ne pourront bientôt plus prendre leur voiture pour aller travailler, alors que la Seine-Saint-Denis manque encore de transports en commun qui pourraient constituer une bonne alternative », concédait-il.