Résistance et déportation: le cinéma pour transmettre
- Jusqu’au 22 novembre, quelque 1500 scolaires vont pouvoir se rendre au festival La Résistance au cinéma, proposé par l’association des Amis du Musée national de la Résistance en Seine-Saint-Denis, en partenariat avec le Département.
- Neuf films, qui évoquent chacun à leur manière la Résistance ou la déportation, ont été sélectionnés par 11 cinémas du département.
- Nous avons assisté à la projection en avant-première du film d’animation « La plus précieuse des marchandises », de Michel Hazanavicius et au débat qui s’en est suivi.
« Je me sens triste parce que ce qu’on a vu est horrible. » Lisa et les 22 autres élèves de 3e du collège Raymond-Poincaré de La Courneuve, invités du festival La Résistance au cinéma, sont encore sous le choc de ce qu’ils ont vu. Il faut dire que « La plus précieuse des marchandises », film d’animation de Michel Hazanavicius qu’ils ont découvert en avant-première au cinéma L’Etoile, est aussi glaçant que la campagne polonaise traversée par les sordides trains qu’il donne à voir.
Pour évoquer la Shoah, le réalisateur – à mille lieues de ses comédies populaires précédentes – a choisi la forme du dessin animé, peut-être plus adaptée pour transmettre à la jeune génération la mémoire de l’extermination des Juifs et des Tsiganes sous la Seconde Guerre Mondiale. Soit l’histoire, adaptée d’un conte de Jean-Claude Grumberg, d’un pauvre bûcheron et d’une pauvre bûcheronne polonais qui un jour recueillent, tombée d’un train de déportation, « la plus précieuse des marchandises ».
76 000 Juifs déportés de France
Après la projection, il faut quelques temps aux collégien·nes pour reprendre leurs esprits. Mais les questions sont là : « Qui sont les « sans-coeur » dont il est question dans le film ? » Pierre Gernez, secrétaire des Amis du Musée national de la Résistance en Seine-Saint-Denis, à l’origine du festival, et Mathilde Manson, assistante jeune public à l’Etoile, y répondent : « Ce sont les Juifs qu’on qualifiait malheureusement comme cela. Les Juifs, dont Hitler lors de la Seconde Guerre Mondiale, a organisé méthodiquement l’extermination. »
Ce qui motive une autre question de la part d’Issa, l’un des collégiens les plus intéressés : « Reste-t-il des Juifs en France ? » Cette fois, c’est Caroline François, historienne et spécialiste des femmes dans la Résistance et la déportation, qui répond : « Bien sûr. Deux tiers des Juifs de France ont pu être sauvés grâce en partie à des Justes comme l’ont été le couple de bûcherons qu’on voit dans le film. Mais en France, sur les 76 000 Juifs déportés, seuls 5000 sont rentrés. »
Beaucoup, comme Lisa, qui habite pourtant Drancy, n’ont jamais entendu parler de la Cité de la Muette où seront passés 9 Juifs sur 10 avant leur déportation vers les camps d’extermination. « Je ne savais pas qu’à Drancy, tant de gens avaient été enfermés », s’étonne la jeune fille.
M.Lescaut, professeur d’histoire-géographie, qui a inscrit sa classe au festival, se dit satisfait de la séance : « Je trouve que c’est une bonne entrée en matière pour eux. On n’a pas encore vu la Seconde Guerre Mondiale car c’est plutôt prévu pour la deuxième partie de l’année. Mais grâce à ce film, ils auront déjà une première approche concrète de la Shoah. »
1500 scolaires concernés
Organisé par les Amis du Musée national de la Résistance depuis 2005 pour les adultes, ce festival connaît depuis 3 ans une déclinaison spécifique aux scolaires. « Avec la disparition des témoins directs, nous nous sommes dit qu’il était essentiel de s’adresser directement aux jeunes générations, explique Pierre Gernez. Et puis, avec la présence du camp de la Muette à Drancy, des gares de déportation du Bourget, de Bobigny, du Quai aux Bestiaux à Pantin et du Fort de Romainville aux Lilas qui a aussi servi de camp d’internement (voir encadré), ce qui allait devenir la Seine-Saint-Denis est malheureusement au cœur de la mécanique de déportation décidée par les nazis ». A tel point que le Département a décidé en 2023 d’une mise en réseau de tous ces lieux de mémoire au moyen d’une signalétique commune et de visites guidées.
Au total, ce sont 9 films qui, durant ce 3e festival, seront diffusés à quelque 1500 scolaires, primaires, collèges et lycées confondus. A chaque fois, la séance se poursuit par un temps de questions-réponses animés par un spécialiste, historien, journaliste ou personne directement impliquée, à l’image de Thierry Berkover, fils d’un ancien rescapé des camps. Dans la sélection, décidée de concert avec les cinémas participants, il y a donc des dessins animés – l’excellent « Les Secrets de mon père » adapté d’une BD du dessinateur Michel Kichka est à voir ! – mais aussi des films comme « L’Armée du crime » de Robert Guédiguian, sur le réseau Manouchian, ou « Les hommes libres » d’Ismaël Ferroucki.
Christophe Lehousse
Photos: ©Nicolas Moulard
Pour connaître toute la programmation du festival et éventuellement encore inscrire des classes: http://festivallaresistanceaucinema.fr/
Le futur Mémorial des Femmes en Résistance du Fort de Romainville prend forme
En 2028, le Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas, doit devenir un Mémorial national des Femmes en Résistance et en Déportation, avec l’aide financière de l’État et de la Ville des Lilas. Dans ce fort de sinistre mémoire, 7000 femmes furent notamment emprisonnées pour des actions de résistance puis déportées par les nazis, dont Charlotte Delbo, Marie-Claude Vaillant-Couturier ou encore Danielle Casanova qui allaient par exemple former le convoi des « 31000 » déporté à Auschwitz puis Ravensbrück.
La mise en valeur du site – et notamment la fameuse casemate 17 où ont été retrouvés des graffitis de prisonniers – a été confiée au Musée national de la Résistance de Champigny-sur-Marne. « Nous travaillons en ce moment à la scénographie du musée avec une idée-phare : mettre en lumière l’engagement de femmes qui préexistait bien souvent à leur déportation, et qui pour celles qui ont pu revenir, s’est poursuivi plus tard », souligne Caroline François, historienne et chargée de projet sur la scénographie en cours d’élaboration. Un parcours extérieur et une partie mettant en valeur les productions des collégiens et lycéens lors du Concours National de la Résistance sont aussi prévus.
Une exposition itinérante préfigurant ce qu’on pourra voir au Mémorial doit prochainement être lancée.