Les étudiant·es de Paris-8 parlent de leurs galères
- Le Département organisait le 3 octobre, avec le journaliste Jean Massiet, une émission Twitch autour de la vie étudiante, en direct depuis l’université Paris-8 de Saint-Denis.
- Etudiant·es et élu·es ont fait le constat d’une précarité financière et psychologique grandissante, entre coût de la vie et incertitudes de l’avenir.
- Ces échanges ont eu lieu dans le cadre d’une concertation jeunesse, pensée par le Département pour renouveler ses politiques publiques en direction des jeunes.
En Seine-Saint-Denis, près de 80 % des étudiants doivent se débrouiller avec 100 euros par mois après avoir payé leur loyer et les charges. Lors de l’émission Twitch animée par le journaliste Jean Massiet à Paris 8, vendredi 3 octobre, beaucoup de chiffres ont été donnés, mais celui-ci résume assez bien la situation des étudiants en France, et plus particulièrement dans le département.
Une réalité qui tient en un mot : précarité
Lisa, une étudiante en Master culture et communication à Paris 8, dont le bâtiment C accueillait donc le tournage de l’émission de Jean Massiet, le formulait très bien : « Le maître mot, c’est précarité. Quand tu galères à te nourrir, que tu dois bosser à côté de tes études et que tu habites un appart de 10m2, c’est difficile d’aller bien. »
Au cours d’un « live Twitch » de deux heures, le journaliste a brossé avec ses invités un tableau malheureusement assez fidèle de la condition d’étudiant dans un territoire populaire comme la Seine-Saint-Denis : difficultés à se loger – le premier poste de dépenses pour tout étudiant·e aujourd’hui – à se nourrir – deux étudiant·es sur trois disent déjà avoir sauté un repas – et même à se faire des ami·es – un tiers des étudiants se déclarent seul·es.
« La vie étudiante c’est ça : des arbitrages permanents. Ça pèse forcément sur la réussite académique des étudiants et leur santé mentale. », constatait Charles Cuvillier, membre de l’association Cop1, une association étudiante assurant des distributions alimentaires dans 27 facs en France. La mesure votée de haute lutte à l’Assemblée des repas à un euro du Crous (Centre régional des œuvres universitaires et scolaires) a soulagé un grand nombre d’étudiant·es – les intervenant·es de Paris 8 réclamaient d’ailleurs son prolongement à l’unanimité – mais elle est loin d’être suffisante.
200 à 250 étudiants chaque semaine dans les distributions de Cop1

Une distribution alimentaire de l’association Cop1 à Saint-Denis en avril 2025.
En Seine-Saint-Denis, Cop1 assure chaque semaine en dehors des vacances scolaires des distributions alimentaires en alternant entre ses deux sites : à Saint-Denis et sur le Campus Condorcet d’Aubervilliers. « A chaque fois, ce sont entre 200 à 250 étudiants qui viennent. Et depuis 3 ans, les files ne baissent pas. On se débrouille pour en faire un moment festif, qui ne génère pas de sentiment de honte parce que c’est malheureusement un frein puissant », soulignait encore Charles Cuvillier.
Erin, étudiante en psychologie à « P8 » et bénévole chez Linkee, autre association d’aide alimentaire, ajoutait à ce tableau de la précarité une dernière difficulté : « Comment fait un étudiant qui aujourd’hui ne peut pas se payer une tablette ou un ordinateur portable ? Il est face à une fracture numérique certaine, à l’heure où tout se fait par internet ! », martelait la jeune femme.
Plus difficile encore pour les étudiant·es étranger·ères
Inamullah, lui, insistait sur le sort particulièrement préoccupant des étudiants étrangers, qui sont nombreux dans des universités comme Paris 8 ou la Sorbonne Paris-Nord, à Villetaneuse. « La situation des étudiants étrangers en France n’est pas simple. En plus des problèmes de discriminations, il y a souvent le problème de la non-reconnaissance des diplômes acquis à l’étranger. Et c’est très fréquent. Pourtant, être exilé ne veut pas dire être incompétent, au contraire, ils peuvent apporter tellement de choses par leur vécu, leurs cultures différentes. », soulignait cet étudiant afghan en informatique au Conservatoire National des Arts et Métiers et membre du Parlement des exilés. Cette association, co-fondée par Dounya Halaq, réunit tous les mois en commission 17 personnes d’origine étrangère, chargées de mieux défendre en France les droits des personnes étrangères.
Autant de situations de galères qui expliquent aussi la santé mentale fragile de nombre de jeunes en France. « La santé mentale des jeunes était globalement un impensé avant le Covid. Celui-ci l’a révélée mais les problématiques existaient avant. Aujourd’hui on est très loin du compte : 55 % des jeunes entre 18 et 24 ans disant avoir été affectés par un problème de santé mentale. La situation est d’autant plus préoccupante qu’elle est mal prise en compte par l’Etat », remarquait ainsi Stéphane Troussel, le président de la Seine-Saint-Denis.
Le Département, partenaire de cette émission, a d’ailleurs entamé depuis l’été un tour d’horizon des différents sujets ayant trait à la vie des jeunes en Seine-Saint-Denis – leurs galères en matière d’insertion professionnelle, de logement, les relations avec la police ou encore les discriminations dont ils font l’objet – pour actualiser ses politiques publiques.
Des associations pour pallier aux carences de l’État
Dans tous les propos, ce vendredi, perçait une certaine colère ou inquiétude. Les mots assez forts de Melika, en 3e année de double licence histoire et sciences politiques, nous restaient assez longtemps en tête : « Je trouve que la fameuse phrase « Quand on veut, on peut » est illusoire. C’est quand on a le capital économique, culturel, les parents qui sont derrière, qu’on peut. Cette phrase, elle permet juste aux riches de maintenir leur position sociale. Moi je m’en suis sortie grâce à des assos comme Ambition Campus ou Ghett’up qui m’ont aidée à me construire. C’est formidable qu’elles existent, mais elles portent en fait le poids de l’incompétence de l’État. »
Christophe Lehousse
Photos: ©Marie-Pierre Dieterle
et ©Bruno Lévy