Vanessa Lépinard: « La fermentation, un art qui s’apprend et se déguste»

Vanessa Lépinard:  « La fermentation, un art qui s’apprend et se déguste»
Cuisine
  • C’est à la Cité fertile, à Pantin, que Vanessa Lépinard officie comme cheffe de cuisine d’un restaurant d’apprentissage, La Source, et y dispense ses cours de fermentation dans le cadre de formations.
  • La fermentation est la transformation d’un aliment tant au niveau du goût que de sa texture, grâce à des micro-organismes.
  • Le samedi 8 juin, se tiendra à la Cité fertile, le festival des fermentations, un événement marqué par la présence de Sandor Ellix Katz, le pape reconnu par tous de la fermentation.

Plantons le décor où pratiquement tous les jours de la semaine se rend Vanessa Lépinard. Installée depuis 2018 sur le site d’une ancienne gare de marchandises SNCF, la Cité fertile à Pantin est un tiers-lieu dédié à la transition écologique et sociale. C’est là qu’un restaurant, la Source, et l’école Food Camp, se sont montés il y a quelques années. Une vaste bâtisse transformée en salle de restauration, tapissée de papier peint fleuri et d’objets chinés en brocante, accueille toutes celles et ceux qui souhaitent goûter une cuisine différente et de qualité, mijotée par des cuistots en formation, sous l’œil attentif et protecteur de Vanessa Lépinard.

Le restauration d’apprentissage La Source à La Cité Fertile de Pantin.

« Depuis son ouverture en 2021, l’école a vu passer près de 500 élèves, explique-t-elle. J’y dispense des cours de fermentation selon un cursus que j’ai créé pour cette école, hébergée à la Cité fertile. Et comme j’ai la chance en plus, de pouvoir tenir le restaurant avec mes recettes – avec Alexandre Trognon, l’autre chef, ils officient à tour de rôle – on trouve dans la carte de nombreux produits fermentés. » Avec elle, les élèves créent ces produits, et quand ils sont au restaurant, ils voient comment ils sont utilisés dans les recettes. Rose (30 ans) est alternante apprentie pour un an, depuis le mois de septembre. Pendant une semaine, elle suit les cours à Pantin dans un groupe de 7 élèves, sert aussi en salle et travaille en cuisine. Puis revient pour trois semaines dans sa Bretagne natale, dans les monts d’Arrée, au restaurant l’Auberge du Ménez. « Je connaissais le principe de la fermentation, sans être aguerrie du tout. Je suis très contente d’apprendre aux côtés de Vanessa Lépinard, parce qu’elle a eu le temps d’expérimenter pas mal de choses et du coup, elle peut nous faire part de ses différentes expériences. »

Dans son dernier ouvrage « La Fermentation. Au rythme du vivant » (Terre vivant, 2024), l’autrice nous apprend: « Devenue cheffe de cuisine et formatrice, j’enseigne la fermentation à des apprenants en cuisine comme à des chefs confirmés. Au fil du temps, j’ai intégré de plus en plus de produits fermentés dans mes recettes : par goût et par nécessité ! » Pour pouvoir approcher et comprendre le processus de la fermentation. Si on ne possède pas quelques explications techniques et chimiques, il est en effet impossible d’avancer. « On est complètement largué, lance en souriant la formatrice, si on n’est pas capable de reproduire à l’identique ce que l’on fait. Il y a donc une grosse partie théorique dans l’approche et l’apprentissage de la fermentation. » Pour autant, elle n’est ni chimiste ni biologiste ! Et dans son labo de fermentation, point de microscope à l’horizon…

Des rencontres capitales

Cela fait une dizaine d’années que Vanessa Lépinard fréquente les cuisines et les laboratoires pour élaborer ses plats et donner ses cours. Elle fait partie de l’aventure de Cuisine mode d’emploi(s) avec Thierry Marx dans le 20e à Paris. « C’était le démarrage, se souvient-elle. L’avantage c’était que c’était lui-même qui recrutait les personnes. Un cursus de 11 semaines, avec à la clé un diplôme reconnu par l’Etat. Thierry Marx est quelqu’un qui en impose tout en étant très proche des gens. Cela a été une vraie rencontre avec lui. » Travail intensif dans cette école sous l’œil du chef qui lui a appris et apporté beaucoup. Il n’a sûrement pas manqué de dire à ses élèves ce qu’il rapporta plus tard dans un de ses livres : « La cuisine, c’est une ligne invisible tendue entre celui qui fait à manger, qui offre du travail, du soin, de l’attention, et celui qui accepte de lui faire confiance en dégustant des plats. » Grâce à lui, elle est ensuite cooptée pour rentrer dans les cuisines de l’Elysée. « Moment vraiment instructif que je suis loin d’oublier ! Un sanctuaire ! Je savais que je ne pourrais pas y être embauchée car ils n’embauchaient pas de femmes… La première à y être admise en cuisine, l’a été il y a deux ans ! J’y suis restée près de trois mois. » La particularité de ce lieu est que tous les cuisiniers présents ont démarré comme commis.

Quand elle intègre à Paris la Maison du saké, restaurant gastronomique, comme cheffe, Thierry Marx lui fait le grand honneur de s’y rendre pour dîner. « Je pense que j’étais peut-être l’une des premières recrues de Cuisine mode d’emploi(s) à être passée cheffe dans ce genre d’établissement. J’avais pris avec moi des gens de ma promo et l’on a ainsi constitué un petit cercle d’anciens de l’école. »

C’est dans ce restaurant où elle restera un peu moins d’un an qu’elle découvre la fermentation grâce à des chefs japonais, en résidence, et qui réalisaient une carte en parallèle de la sienne. « Ils me faisaient goûter des aliments dans des boîtes… C’était très étrange ! Ce n’est que plus tard que j’ai compris ce qu’ils faisaient. Ils ne parlaient pas le français ni l’anglais, et moi je ne déchiffrais pas le japonais. Pas de Google translate à l’époque ! Malgré cette absence de langage commun, j’ai surtout compris que ce cuisinier Nobuaki Fushiki réalisait une fermentation dont il disait qu’elle exprimait le terroir de sa région. »

La révolution de la cuisine en marche !

En faisant le lien avec ce qui nous est le plus proche, le vin qui exprime un terroir, Vanessa Lépinard comprend que cette démarche s’applique à tous les produits fermentés. « On peut fermenter exactement de la même manière le même légume pris dans quatre régions différentes, on obtiendra quatre résultats différents. Parce que c’est un terroir différent qui s’exprime. »

Comprenant cela, elle se dit : « La révolution culinaire est en marche ! » Passionnée par cet univers, elle lit, se documente, fait des rencontres et ne vit plus que pour la fermentation et ses recettes. Plus question pour elle de revenir en arrière. Elle rejoint alors Marie-Claire Frédéric et son restaurant Le Suri, dont elle assure la carte salée. Et puis, le Covid est passé par-là…

Alors fermenter des aliments, cela a-t-il du sens aujourd’hui ? « Bien sûr ! » répond Vanessa. C’est éminemment politique car cela nous renvoie à des savoir-faire, à de l’autonomie alimentaire, à de la transformation de la matière tout en apportant des intérêts nutritionnels inexistants au départ et qui adviennent grâce à cette fermentation, des goût extraordinaires et des principes de conservation très peu énergivores. De son côté, Thierry Marx, encore lui, disait :  » J’ai toujours été dans le pourquoi, rarement dans le comment. » La technique, le comment on fait les choses, on l’apprend assez vite. Pourquoi on les fait est autrement plus intéressant : donner du sens à l’action, c’est là où se niche la créativité. »

Le Festival de la fermentation

Retenez bien la date du 28 juin prochain ! Ce jour-là se tiendra le Festival de la fermentation à la Cité fertile. « Nous aurons l’honneur d’accueillir Sandor Ellix Katz pour une conférence », annonce Vanessa Lépinard. Reconnu comme le pape de la fermentation mondiale, cet auteur américain découvre le procédé dans les années 1970 et court le monde depuis à la recherche de différentes spécialités. Durant cet événement, des stands proposeront des produits fermentés, des anciens élèves de l’école seront présents, un marché avec des producteurs de miso (pâte fermentée à base de soja) et de garum (sauce salée de poissons déjà confectionnée par les Romains) et des artisans proposeront des dégustations… et une conférence de presse avec les enseignants de l’école et les responsables de la Source, avant la prise de parole de l’invité d’honneur.

Claude Bardavid

Portrait de Vanessa Lépinard : Photo : Claire Francillon

Les autres : DR

La fermentation : comment ça marche ?

La fermentation est provoquée par des micro-organismes de formes très diverses qui peuvent être soit des bactéries, des levures ou des moisissures. Invisibles à l’œil nu, ils se développent rapidement. Mais attention, si la plupart sont inoffensifs, certains peuvent porter préjudice à notre santé. Il est possible de fermenter tout produit alimentaire : viande, lait, céréales, fruits, légumes. Les yoghourts sont des laits fermentés obtenus grâce à une fermentation lactique ; les vins à partir de fruits, grâce à une fermentation alcoolique. Le pain, quant à lui, est préparé à partir d’une pâte composée de farine, d’eau et de sel à laquelle sont ajoutés des ferments sous forme de levain ou de levure. Comme on peut le constater, nous sommes environnés d’aliments fermentés que nous consommons tous les jours.

Une règle à respecter : Tous les légumes choisis pour la fermentation doivent être issus de l’agriculture biologique. En effet, les résidus de pesticides entravent la fermentation et produisent des goûts amers. Pour mettre en œuvre le processus, il existe deux grands procédés : le salage à sec et la mise en saumure. Le salage à sec est une technique qui ne nécessite pas qu’on ajoute de l’eau. Le jus contenu dans le bocal provient intégralement de l’eau de végétation du légume. Pour un bocal de 1 litre, râpez ou découpez finement les légumes épluchés et ajoutez 17,5 g de sel pur, en laissant 2 cm de vide au-dessus de la surface des légumes tassés. N’oubliez pas de déposer une feuille de laurier permettant au produit de ne pas ramollir. Recouvrez le tout d’un poids en verre ou en céramique. Essuyez bien l’embouchure du bocal, installez le caoutchouc sur le couvercle en verre. Fermez et conservez au moins 2 semaines à température ambiante. Quant à la mise en saumure, elle est plutôt adaptée aux produits que l’on souhaite garder entiers ou en gros morceaux, qui seront immergés dans de l’eau salée.

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