Stéphanie Edmond-Mariette : L’immobilier social, ça existe !

- En 2022, cette jeune femme a fondé SEM Habitat Durable, une agence immobilière à vocation solidaire.
- Son principe : convaincre des propriétaires de louer leur bien à des personnes en situation de précarité, accompagnés par des organismes sociaux comme Caritas ou SOS Femmes 93.
- Pour cette belle idée, Stéphanie Edmond-Mariette a été récompensée en décembre du prix Créatrices d’Avenir, alloué par le réseau Initiative Ile-de-France.
« Le logement, c’est un élément-clé dans le développement de toute personne. J’ai compris ça de par mon parcours.» Stéphanie Edmond-Mariette parle d’un ton enjoué, même quand ce qu’elle raconte n’est pas spécialement drôle. Sans doute ce qu’on appelle la résilience.
Prise en charge par la protection de l’enfance depuis petite à Bordeaux, sa région d’origine, la jeune femme s’est notamment retrouvée en difficulté au moment de louer un appartement, sans apport, sans garant…
« A 18 ans, l’Aide Sociale à l’Enfance m’a dit : « c’est terminé, la prise en charge » et m’a montré un foyer de jeunes travailleurs comme seule solution de logement. Mais moi, après être passée de famille d’accueil en foyer, ce n’est pas ce dont j’avais envie. C’est notamment-là que j’ai compris que le logement, c’était fondamental dans la prise d’autonomie », raconte la jeune femme, finalement prise en charge jusqu’à ses 20 ans grâce à un contrat jeune majeur.
Son master en gestion de l’immobilier en poche, après être « montée à Paris », elle s’est souvenue de cette expérience au moment de fonder son entreprise en 2022.
Basée à Montreuil, dans La Pépinière de l’Atrium, SEM Habitat durable est une agence immobilière, mais solidaire : « On va chercher des propriétaires et on les convainc de louer leur bien à des organismes sociaux type Caritas ou SOS Femmes 93 qui vont y loger des personnes précaires. Pour le locataire, c’est un accès évident à l’autonomie, et pour le propriétaire une garantie de stabilité en plus d’un impact social. », explique-t-elle.
100 propriétaires pour 500 bénéficiaires
En seulement un an et demi d’existence, SEM Habitat Durable est parvenue à convaincre 100 propriétaires de louer à 500 personnes en précarité. Car certains habitats sont des colocations ou de l’habitat partagé. « On essaie d’être inventifs au niveau des solutions proposées, mais surtout on est à l’écoute des demandes des associations avec lesquelles on travaille. »
La Fondation des Apprentis d’Auteuil, Caritas, le groupe SOS… SEM Habitat Durable travaille au total avec 20 grandes organisations reconnues d’utilité publique, un peu partout en France : majoritairement la région parisienne, mais aussi Montpellier, Bordeaux, Marseille. « En fait, ce sont toujours eux les signataires du bail, pas les locataires, pour des raisons de stabilité. Les bénéficiaires du logement contractent ensuite avec elles une convention », précise Stéphanie Edmond-Mariette, consciente que la philanthropie n’est pas la seule motivation des propriétaires.
Mais des belles histoires, la jeune femme de 35 ans en a déjà vu grâce à l’entremise de son entreprise. « Je repense souvent à une jeune femme, Kenza, commence-t-elle. Comme moi, elle avait grandi avec la protection de l’enfance, à Tours. Quand elle a souhaité faire un service civique en Ile-de-France, elle s’est heurtée au même problème que moi : allez trouver un logement à Paris quand vous avez peu ou pas de ressources… Mais nous l’avons mise en relation avec un propriétaire qui était partant pour signer un bail avec La Sauvegarde, l’association qui accompagnait Kenza. Aujourd’hui, elle est en alternance dans le domaine qui l’intéressait. »
45 % des jeunes de la protection de l’enfance sans domicile fixe
Investie, la petite entreprise qui compte déjà 10 salariés se voit comme un acteur parmi d’autres en faveur d’un logement durable. Elle n’a ainsi pas manqué de relayer les chiffres du 30e rapport de la Fondation contre le Mal-Logement (ex-fondation Abbé Pierre), consacré notamment à l’ostracisme que vivent les personnes en situation de handicap.
Les personnes issues de l’Aide sociale à l’enfance sont logiquement un autre centre de préoccupation de Stéphanie Edmond-Mariette. « 45 % des jeunes de la protection de l’enfance deviennent sans domicile fixe… On voit bien que quelque chose ne fonctionne pas à la sortie », pointe-t-elle, partageant ainsi le constat de nombreuses associations ou encore celui de l’écrivain Mokhtar Amoudi, issu lui aussi de l’ASE.
Pour sa belle idée déterminée, Stéphanie Edmond-Mariette a reçu en décembre 2024 le Grand Prix Créatrices d’Avenir, attribué par le réseau Initiative Ile-de-France. « Une reconnaissance, je ne m’y attendais vraiment pas. Ca me donne vraiment confiance, car en tant que femme entrepreneuse, je me suis parfois cognée à des plafonds de verre », insiste-t-elle. Et de se remémorer une entrevue avec un incubateur où on lui avait de revenir avec une direction « mixte », autrement dit accompagnée d’un homme.
Ce Prix était assorti d’un billet aller-retour pour aller approfondir une idée d’évolution pour sa société. Une perspective qui projette Stéphanie Edmond-Mariette dans le vertige des possibles : « J’hésite entre aller puiser des idées d’innovation au Canada ou en Finlande, assez précurseurs en habitat durable. Ou élargir notre rayon d’action, notamment au Sénégal où Caritas intervient déjà» Quelle que soit la destination choisie, on sait d’ores et déjà que Stéphanie Edmond-Mariette atterrira sur ses pattes.
Christophe Lehousse
Photos: ©Sophie Loubaton