En Jacky Ribault, chef des Mérovingiens, Noisy-le-Grand a trouvé son nouveau roi

En Jacky Ribault, chef des Mérovingiens, Noisy-le-Grand a trouvé son nouveau roi
Portrait
  • Il y a trois ans, le chef étoilé Jacky Ribault ouvrait la brasserie chic Les Mérovingiens à Noisy-le-Grand, une ville où il a résidé quelques années et à laquelle il est attaché.
  • Un choix jugé osé à l’époque car rares sont les cuisiniers distingués par le guide Michelin à s’aventurer de l’autre côté du périph’, a fortiori en Seine-Saint-Denis.
  • Et pourtant le succès de cet établissement ne se dément pas depuis son ouverture. Rencontre avec l’unique étoilé du département.

Situé dans le centre-ville de Noisy-le-Grand, sur l’une des plus grandes nécropoles de France qui abrite des sépultures datant de l’époque mérovingienne et carolingienne (entre le VIe et le XIe siècle), le nom du restaurant ouvert, à la fin de 2021, par le chef étoilé Jacky Ribault était tout trouvé : Les Mérovingiens*. Quand on pénètre à l’intérieur de cet établissement spacieux (70 couverts), les références faites à cette dynastie sont nombreuses, entre les épais rideaux de velours à l’entrée, les charpentes imposantes, les voilages en cotte de maille qui séparent les tables et les tableaux aux murs ravivant cette époque, parmi lesquels celui représentant Clovis, premier roi des Francs.

Installé devant une grande table ronde, notre hôte pianote sur son téléphone, en nous attendant. Cheveux gris attachés, longue barbe hirsute et petites poches sous les yeux, Jacky Ribault a une trogne à la croisée d’un Sébastien Chabal et d’un Vincent Cassel. « C’est marrant, on me le dit souvent », réplique l’intéressé. La comparaison, bien sûr, s’arrête à ces détails physiques car sa spécialité, ce n’est ni le rugby, ni le cinéma mais la cuisine. Propriétaire de deux autres restaurants Qui Plume La Lune, dans le 11e à Paris, et L’Ours, à Vincennes, pour lesquels il a reçu à chaque fois une étoile Michelin (en 2014 et en 2019), l’homme est une sommité dans son art. En 2017, sa participation à l’émission Toque Show, diffusée sur M6 et présentée par le cuisinier et animateur Norbert Tarayre, avait permis au grand public de le découvrir. Et le même de constater qu’aucun défi culinaire (thème de l’émission) ne pouvait impressionner cet esthète fan du Japon.

Car Jacky Ribault aime les challenges. Ouvrir une brasserie chic – mais pas inaccessible – à Noisy-le-Grand au lendemain de l’épidémie de Covid-19 en était un. « Si j’avais fait le choix d’ouvrir Les Mérovingiens dans le 16e arrondissement, je doublerais chaque année mon chiffre d’affaires, relève le chef, à la gouaille impayable et au franc-parler ravageur. Mais ce n’était évidemment pas l’objectif. Je ne suis pas intéressé par l’appât du gain. Noisy-le-Grand est une ville que je connais bien pour y avoir vécu quelques années, je connais son potentiel. Aller à Paris où il y a une forte clientèle et une offre pléthorique n’avait aucun intérêt. J’aime les contrées où personne ne va. Noisy, j’ai adoré, il y a de bons restos mais il manquait un lieu branché, avec une déco sympa et une bouffe qui sort des sentiers battus. En Seine-Saint-Denis aussi, les habitants ont de beaux palais, savent reconnaître les bons produits, ils ne sont pas plus idiots qu’ailleurs. Je propose de la qualité à un tarif correct: le midi, on peut manger pour 25 euros. » 

« Clientèle variée, multiculturelle et jamais blasée »

Ouvert en novembre 2021 avec comme chef exécutif Arnaud Baptiste (originaire de la ville et candidat de la saison 12 de Top Chef, ce dernier est parti au bout d’un an pour monter sa propre affaire), le succès des Mérovingiens est immédiat. La fréquentation est largement au-delà des attentes (environ 5000 couverts par mois) et les bonnes critiques pleuvent. « À partir du moment où la nourriture et le vin sont bons, pourquoi aller voir ailleurs ? Les gens du coin et des communes voisines ont parfaitement compris qu’il était inutile d’aller à Paris où se garer est devenu cher et impossible et qui se trouve à plus d’une heure si ça bouchonne », explique Jacky Ribault, qui regrette que d’autres chefs étoilés n’aient pas eu le courage de quitter Paris pour franchir le Rubicon. En effet, depuis que Jean-Claude Cahagnet, chef de l’Auberge des Saints-Pères, à Aulnay-sous-Bois, a renoncé à son étoile en 2023 et que Camille Saint-M’Leux (une étoile) a récemment rendu son tablier à la Villa9Trois, à Montreuil, pour ouvrir un nouveau lieu dans le 16e, la Seine-Saint-Denis ne compte plus aucun restaurant récompensé par le sacro-saint petit guide rouge. « À défaut de resto étoilé, un chef précédé d’une bonne réputation suffit amplement à faire la réputation d’un lieu. J’aimerais beaucoup ouvrir la voie, donner envie aux collègues de me rejoindre pour profiter d’une clientèle variée, multiculturelle et jamais blasée, ajoute Jacky. La Seine-Saint-Denis est un département dynamique et ce n’est que le début car avec le Grand Paris, on va voir débarquer de plus en plus de familles. Les gens ne peuvent plus acheter à Paris et redécouvrent la banlieue. »

Sur la carte, les plats du jour mitonnés par Alexandre, chef de cuisine transfuge de L’Ours, font saliver. On ne sait que choisir entre les gambas sautées au zaatar (mélange d’épices traditionnels) libanais, le hot-dog au homard, les noix de Saint-Jacques à la plancha, la blanquette de veau à l’ancienne et la bavette d’Aloyau à partager. Et quand vient l’heure du moelleux au chocolat, vos papilles s’extasient et se mettent à souhaiter que ce moment ne s’arrête jamais.  « Je fais une cuisine sans chichis où seul compte la notion de plaisir, détaille le chef. Étoile ou pas, il faut toujours respecter la clientèle. La déco, qui a été savamment choisie, a été pensée de la même manière que celle qu’on retrouve dans mes deux autres établissements, avec des matériaux nobles et de qualité. »

Si la réussite et les honneurs l’accompagnent aujourd’hui, notre cordon bleu revient de loin. Issu d’une famille nombreuse (sept enfants) et sans le sou originaire d’Ille-et-Vilaine, Jacky met la main à la pâte en cuisine dès son plus jeune âge. « Mon père, qui cuisinait excellemment bien, m’a initié et donné le goût, confie-t-il. Il travaillait sur les marchés et je l’accompagnais souvent enfant. Le mercredi, c’était moi qui étais chargé de faire la cuisine mais, en général, c’était raté (rires). Je m’occupais aussi des animaux de notre ferme. La traite des vaches, le vêlage, c’était systématiquement pour ma pomme. » À 14 ans, il rejoint en tant qu’apprenti une brasserie gastronomique à Rennes. Une première expérience qui aurait pu le dégoûter de la cuisine tant les conditions sont dures, mais il fait le dos rond, encaisse les coups sans broncher. Cette force de caractère le propulse à la Fontaine aux Perles, un resto étoilé où en l’espace de deux ans, il passe de commis à second de cuisine. Mais Jacky a la bougeotte et des envies d’ailleurs. Le décès de son père quand il a 20 ans le convainc de quitter la Bretagne. Il s’établit à Chamonix où il trouve du boulot dans un hôtel. « Pâtissier, second de cuisine, j’ai fait un peu de tout, je me suis noyé dans le travail mais j’en garde un super souvenir. »

Deux étoiles en cinq ans

Après une expérience à l’hôtel Ermitage de Zurich, en Suisse, le jeune homme part tenter sa chance à Paris. Il apprend la cuisine lyonnaise au Bouchon de la Grille, une institution aujourd’hui fermée, qui obtient lors de son passage le titre de « meilleur bistrot de l’année », décerné par Gault et Millau. Attiré par les étoiles, il candidate dans des maisons prestigieuses. Son profil séduit et le fait atterrir à L’Arpège, d’Alain Passard, puis chez Taillevent sous la direction de Philippe Legendre, « un maître incontesté. » La pâtisserie étant son dada, il cible Pierre Hermé, qui accepte de le recruter chez Ladurée, sur les Champs-Élysées, « après trois essais et avoir beaucoup insisté ». Vibrionnant, doué d’une soif inextinguible de découverte et d’apprentissage, Jacky part fourbir ses casseroles et ses couteaux au Shozan, un restaurant franco-japonais du 8e arrondissement. Nous sommes à l’aube des années 2000, la cuisine japonaise est encore peu connue des palais français. « Je suis parti à Tokyo cinq mois pour apprendre les rudiments de cette cuisine, j’ai été frappé par sa richesse », relève le chef. Mais l’enseigne ferme. Son agent l’envoie alors au Tsé, un resto chinois situé porte d’Auteuil. « Une grosse brasserie dont j’étais le chef, mais où j’avais le sentiment de ne pas maîtriser grand-chose, entre le personnel qui ne s’exprimait qu’en mandarin et une cuisine dont je ne connaissais rien. » Qu’à cela ne tienne, Jacky Ribault finit par imposer sa patte.

À la quarantaine, alors que les cheveux et la barbe grisonnent, le cuistot souhaite s’émanciper. De cette liberté retrouvée naît en 2010 son premier restaurant, Qui Plume la Lune, rue Amelot, à Paris. La presse s’enflamme. Le guide Michelin tombe également sous le charme, qui lui délivre une étoile en 2014. Jacky entre dans le gotha de la gastronomie française. Sa vie change. La télé lui fait les yeux doux. L’émission Toque Show, sur M6, lui offre une notoriété supplémentaire qui lui permet de convaincre ses banquiers d’ouvrir un second établissement, l’Ours, à Vincennes, en 2018. Sa « bête », comme il aime à l’appeler, obtient une étoile dès l’année suivante. « Je ne suis pas un ambitieux, je suis aujourd’hui largement rassasié, assure-t-il. Plus je vieillis, plus j’aime les choses simples. Je serai vraiment heureux le jour où je pourrai m’installer dans une maison à la campagne et regarder mes plantes pousser. Le temps, c’est toujours ce qu’il m’a manqué. » En attendant, le chef consacre un tiers de ce temps, si précieux, aux Mérovingiens qui, au regard de sa popularité – et contrairement à la dynastie des Mérovingiens -, n’est pas près de s’éteindre.

Grégoire Remund

Crédit photo: ©Nicolas Moulard

* Les Mérovingiens – 32 avenue Émile Cossonneau, Noisy-le-Grand – Ouvert du mardi au samedi, de 9h30 à 1h.

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