Lutte contre le réchauffement climatique, la Seine-Saint-Denis fait sa part

Lutte contre le réchauffement climatique, la Seine-Saint-Denis fait sa part
Entretien
  • A l'heure où le changement climatique commence à bouleverser l'ensemble de la planète, comme le courageux colibri la Seine-Saint-Denis s'engage pour lutter contre le réchauffement et ses conséquences.
  • Plutôt qu'une réponse aux seuls enjeux climatiques, le Département y voit aussi une occasion de développement du progrès social.
  • A l'occasion du vote de la feuille de route 2025-2030 Eviter l'ingérable, gérer l'inévitable, le président Stéphane Troussel s'est entretenu avec une spécialiste des questions environementales, la géographe Magali Reghezza-Zitt.

Magali Reghezza-Zitt est maîtresse de conférences en géographie au Centre de formation sur l’environnement et la société, agrégée de géographie et ancienne élève de l’Ecole normale supérieure. Elle est spécialiste des questions environnementales et urbaines.  Ses travaux portent sur les notions de risque et de crise, de vulnérabilité et de résilience, d’adaptation, dans le contexte de la mondialisation et des changements environnementaux. Elle a été membre du Haut Conseil pour le climat jusqu’en septembre 2023. Elle est depuis cette date détachée à la Cour des comptes.

Stéphane Troussel, président de la Seine-Saint-Denis a souhaité s’entretenir avec elle sur la question du changement climatique et les politiques publiques à mettre en place pour y faire face. Voici le compte-rendu de cet échange :

Stéphane Troussel : Le Département a adopté ses premiers engagements pour l’égalité environnementale face à l’urgence climatique en 2019 : ces engagements ont nourri des plans sectoriels très volontaristes comme notre plan vélo, notre plan éco-collèges, le plan canopée, le plan de sobriété, le plan alimentaire territorial ou le schéma de promotion des achats socialement et écologiquement responsables. Ils ont suscité le développement de l’agriculture urbaine, permis des économies d’énergie, suscité des innovations sociales, dans tous les domaines où nous agissons.

A l’heure d’actualiser nos engagements, nous souhaitions bénéficier de votre regard sur notre projet. Les données scientifiques et sociales nous montrent qu’on doit accentuer nos efforts. Mais dans le même temps, on observe le recul des engagements à l’échelle internationale. Nous sommes aussi confrontés à un contexte national qui rend notre rapport à l’Etat instable, avec des projets de lois de finances qui, en 2025 comme en 2026, menacent nos capacités budgétaires. Enfin, nous avons une extrême-droite forte qui désigne l’écologie comme un bouc-émissaire de nos difficultés sociales et déroule une stratégie globale de prise de pouvoir.

Magali Reghezza-Zitt : En préambule, il faut comprendre que le climat qu’on a connu enfant, on ne le connaîtra plus jamais de notre vie, parce le réchauffement climatique est directement liée à l’accumulation de CO2 dans l’atmosphère. La bonne nouvelle est que quand on atteint la neutralité carbone au niveau mondial, le réchauffement stoppe. La mauvaise, c’est qu’on ne revient pas en arrière car on ne sait pas aller retirer de l’atmosphère le CO2 accumulé. Il n’a donc pas de fatalité à la catastrophe. C’est les actions d’aujourd’hui qui déterminent le climat de demain. Le problème est qu‘on continue à ajouter toujours plus de CO2. Au terme du mandat du prochain président, ou de la prochaine présidente de la République, le monde se sera réchauffé de +1,5°C et la France aura dépassé 2°C, car les continents se réchauffent plus vite. C’est inévitable, c’est une loi physique avec laquelle on ne négocie pas.  En revanche, ça a des conséquences de plus en plus dramatiques.

« Le climat qu’on a connu enfant, on ne le connaîtra plus jamais de notre vie. »

Prenons l’exemple des canicules pour l’Île de France. Elles deviennent plus précoces — si on dépasse les 2°C au niveau mondial, il fera très très chaud dès le mois mai et possiblement jusqu’en octobre —, la durée — des canicules de deux, trois semaines comme en 2003 —, l’intensité — des températures en journée qui ne descendent pas en dessous de 35°C —, et enfin, les nuits tropicales, où la température ne descend pas sous 20°C. Dans la prochaine décennie, les 40 degrés seront atteints fréquemment, et on arrivera à 45-46°C à l’ombre. En 2050, le 50°C sera possible à Paris. Alors rappelons-nous l’été 2022 : c’est le 2e plus chaud jamais enregistré en France, avec une intense série de vagues de chaleur qui ont entraîné des records de température, de sécheresse et d’incendies de forêt. L’analyse de l’INSERM estime à plus de 60 000 les décès attribuables à la chaleur en Europe entre mai et septembre 2022. En 2050, l’été 2022 sera un été normal et si on continue sur cette trajectoire, en 2100, ce sera un été froid.

Bien sûr, il faut aussi sadapter, notamment pour éviter ces décès, mais aussi les pénuries d’eau, l’effondrement de l’agriculture, les périodes de chômage forcé. Mais pour s’adapter, il faut que le réchauffement reste sous des seuils supportables pour les humains et les écosystèmes. Si on arrive à la neutralité carbone en 2050, on maintient à +1,8°C le réchauffement à l’échelle mondiale la fin du siècle. Si on arrive à la neutralité carbone en 2070, on sera à peu près autour de 2°C à la fin du siècle. Actuellement, on est sur une trajectoire à 3,2°C. Ca donnerait en France 4°C de réchauffement en moyenne annuelle. Concrètement, ce sont des étés qui pourraient aller jusqu’à 8°C de plus (en moyenne) que les étés de 1900. Donc pour que ladaptation soit possible, cest-à-dire qu’on évite des situations hors de contrôle et quon ait « seulement » à vivre des périodes caniculaires où il fait 45°C à l’ombre, il faut absolument réduire nos émissions pour stabiliser notre trajectoire de réchauffement à l’horizon 2050.

Ça, c’est ce qui est vraiment fort dans votre feuille de route : vous avez compris quon doit sadapter parce que latténuation a échoué, mais que si elle échoue trop, on ne pourra plus s’adapter. Et que ce sont les populations les plus fragiles et les activités économiques qui en pâtiront. Donc, vous devez faire les deux en même temps et vous proposez des mesures qui correspondent à cet enjeu.

« Vous avez compris quon doit sadapter parce que latténuation a échoué, mais que si elle échoue trop, on ne pourra plus s’adapter. »

ST – J’ai envie d’aller plus loin : c’est en répondant à la fois aux enjeux dadaptation au changement climatique et de réduction des émissions de gaz à effet de serre quon peut faire émerger du progrès social. Notre ambition, c’est de réussir à « vivre avec » ces crises et ces bouleversements en continuant le combat pour la réduction des inégalités et des discriminations, c’est de réduire les pollutions et les nuisances tout en créant de l’emploi localement, c’est de répondre aux crises sans abandonner les populations les plus vulnérables. Nous voulons concilier adaptation, développement territorial, transition écologique et solidarités. Et favoriser l’émancipation citoyenne malgré les chocs et les stress climatiques, qui vont avoir des effets notables sur la santé mentale et la continuité de nos services publics, éducatifs notamment.

Le territoire de la Seine-Saint-Denis est très singulier, et les enjeux que vous évoquez y résonnent spécifiquement. Notre territoire est dense, urbanisé, on y trouve moins d’espaces naturels qu’ailleurs en Île de France. C’est aussi le plus jeune et le plus pauvre de France métropolitaine. Ce qu’on voit moins, c’est que 260 000 personnes âgées de 60 ans et plus vivent en Seine-Saint Denis. C’est plus que toute la population de la Nièvre. Et on va vivre en en une génération le doublement de nos 75 ans et plus, avec des personnes âgées qui, contrairement à celles qui vivent dans les Hauts-de-Seine, les Alpes-Maritimes ou à Paris, n’ont pas de résidence secondaire à rejoindre en période de canicule, qui vivent dans des logements moins bien isolés, qui ont des plus faibles ressources et qui ont eu souvent, des vies plus dures, plus abîmées, plus difficiles et des métiers plus pénibles. Elles sont donc plus vulnérables aux effets des crises, ce qui explique la surmortalité en Seine-Saint-Denis à chaque canicule. Je cite encore une caractéristique : on a moins de personnes âgées aujourd’hui en pourcentage de la population que le département voisin des Hauts-de-Seine. Pourtant, on verse plus d’allocations pour l’autonomie des personnes âgées (APA), tout en étant largement désavantagés par les critères de compensation de l’Etat, qui font qu’on perçoit moins que la moyenne nationale des autres départements.

Notre modèle urbain dense, les caractéristiques démographiques et sociales de la Seine-Saint-Denis et le fait qu’on est moins bien soutenus par l’Etat que d’autres territoires… ces facteurs se conjuguent et on a voulu décider comment, dans ce contexte particulier, prioriser nos actions et inventer de nouvelles réponses face aux perspectives climatiques que vous décrivez.

MRZ La plupart des solutions dadaptation que vous avez retenues sont compatibles avec les solutions datténuation. Surtout, elles amènent du mieux-être. Il n’y a aucune incompatibilité entre transition et amélioration des conditions de vie. Je vous donne un seul exemple : il suffirait de manger selon les recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé pour décarboner notre alimentation. Ce régime alimentaire inclut de la viande et du poisson, mais en quantité moindre. Suivre les recommandations de l’OMS permettrait de résoudre le problème de l’obésité, notamment infantile, de réduire les risques de maladies cardiovasculaires, un certain nombre de cancers. Et ce sont les plus démunis, les exclus, les précaires, qui non seulement ne mangent pas à leur faim, mais mangent ces aliments gras, sucrés, salés et transformés. Ce sont eux qui souffrent le plus de malnutrition et qui ont le plus gros déficit d’accès aux soins. Si on mangeait comme le préconise l’OMS, on aurait aussi des éleveurs beaucoup mieux rémunérés, parce qu’on arrêterait de manger du steak haché à 20% de matière grasse, gonflés à l’eau et au soja. L’élevage extensif entretiendrait les prairies. Or les prairies sont d’extraordinaires des puits de carbone. Votre Plan Alimentaire Territorial permet de concrétiser cet exemple de cercle vertueux qui, pour les populations de la Seine-Saint-Denis, permet d’avoir une alimentation de qualité, réduit les vulnérabilités et les comorbidités liées à la précarité alimentaire. De la même façon, on sait aujourd’hui que les vagues de chaleur et les bouleversements climatiques pèsent de manière disproportionnée sur les femmes. Parce que ce sont les femmes qui ont charge des enfants et des personnes âgées, qui ont des emplois précaires éloignés du domicile.

Lancé en 2020 par le Département, le Plan alimentaire territorial vise à rendre accessible à toutes et tous une alimentation saine et durable sur l’ensemble du territoire.

« Il n’y a aucune incompatibilité entre transition et amélioration des conditions de vie. »

En adaptant nos territoires aux canicules, on améliore donc l’égalité homme-femme. Et on peut décliner ça sur l’éducation, sur l’emploi : les jeunes de Seine-Saint-Denis ont envie d’entreprendre et la transition écologique est une opportunité extraordinaire pour créer de l’activité économique favorable au mieux-être, avec des emplois non délocalisables : autour de la cuisine, avec des femmes, des hommes qui vont ouvrir des magasins avec des plats préparés en circuits courts plutôt que des plats industriels ;  de la rénovation des bâtiments, avec le développement du compagnonnage pour apprendre à travailler la pierre, le bois, les matériaux anciens. Autour de l’agriculture dans les espaces ruraux et du jardinage dans les villes, afin de végétaliser. Ça veut dire d’ailleurs que les filières manuelles sont des filières d’avenir ! On va avoir besoin de jardiniers, de maçons, d’électriciens. On va avoir besoin de fontainiers, de couturiers, de cuisiniers, de chauffeurs, etc.. Mais on va aussi avoir besoin de professionnels de la petite enfance et du soin aux personnes dépendantes, malades ou isolées. Il faudra avoir par exemple des personnels formés pour accueillir des jeunes enfants quand les températures dépasseront 40 degrés car ils ne pourront pas être gardés à domicile, dans des passoires thermiques ou des logements sur-occupés. Et que dire des établissements scolaires et de la continuité des cours et des activités sportives ou culturelles.

ST – Complètement d’accord ! Je suis convaincu que la transition écologique ne se fera que si nos habitants y trouvent leurs intérêts, notamment en termes de création d’emplois : ce ne sont ni des contraintes seules, ni des injonctions moralisatrices qui permettront d’engager notre territoire. On le voit par exemple avec notre nouvelle feuille de route de l’économie sociale et solidaire : la relocalisation des activités et le développement de nouvelles filières productives, dans des conditions plus justes socialement, font partie des leviers pour concrétiser nos objectifs en matière de résilience territoriale.

MRZ – De la même manière quon ne sait pas ce que c’est que de vivre dans un monde plus chaud, on ne sait pas non plus ce que c’est de vivre dans une société décarbonée. Il faut développer simultanément ces deux imaginaires. Et vous avez, avec les 120 nationalités que compte la Seine-Saint-Denis, plein de savoir-faire pour nourrir ces réflexions ! Par exemple : comment est-ce qu’on assure la continuité pédagogique par 50°C à l’école ? Les salles ne sont pas adaptées. Les cours d’école ne sont pas adaptées. Enfants et enseignants sont en situation de risque physique et psychique. Est-ce que, par exemple, il faut envisager d’avoir des navettes gratuites, climatisées, qui viennent vous chercher pour vous amener au collège ? Dispenser les cours dans les parcs ? Des espaces de repos dans les établissements ? Est-ce que, par exemple, dans ces conditions-là, quand tout est interrompu, vous avez aussi dans le collège une crèche ou un lieu qui permet de garder les enfants des enseignants ? Autre exemple : qu’est-ce que vous faites des friches climatiques ? La friche climatique, c’est par exemple un immeuble qui est devenu inhabitable en été : est-ce qu’on ne peut pas, par exemple, reconvertir ces bâtiments pour faire du logement étudiant, adapter le calendrier universitaire ou les périodes de formation pour les y loger ? Est-ce que ces immeubles ou ces centres commerciaux éloignés dans lesquels plus personne n’ira peuvent être transformés pour faire de l’agriculture urbaine ? Ou devenir des centres de production d’énergie locale. Tout reste à inventer ou presque.

Demain, on aura besoin de réseaux de froid comme aujourdhui on a des réseaux de chaleur. Si demain il fait très chaud, il y aura des ruptures d’approvisionnement électrique, des rails déformés, des transports publics qui ne sont plus utilisables. Derrière ce problème du chaud et du sec qui interagissent vous avez le problème immédiat de la continuité du service public. Il va falloir mettre de la clim’. Or, climatiser demande de l’électricité, coûte cher, produit de la chaleur. Tout ce qui consomme de l’énergie suppose qu’on puisse la fabriquer et la transporter en situation de chaleur et de pénurie d’eau. En Espagne, qui a le plus fort taux de climatisation dEurope, cest aussi là quon meurt le plus en cas de canicule, faute de moyens pour payer les factures. La précarité énergétique, c’est désormais aussi en été. Il faut donc choisir quoi climatiser et comment, prioriser nos émissions inévitables en fonction de leur utilité sociale. Enfin, le dernier point, c’est l’extrême humide : la cerise sur le gâteau. Une masse d’air chaude contient plus d’eau — 7% de plus par degré supplémentaire. Et quand il pleut sur des surfaces imperméabilisées, ça ruisselle. Le réseau d’évacuation est insuffisant, l’eau remonte dans les sous-sols, touche les transformateurs, inonde les niveaux techniques. On observe déjà ces phénomènes. Et quand vous cumulez tout ça, vous voyez que la période de mai à octobre devient une période très compliquée pour toute l’Europe. On observe des impacts sur l’agriculture : une baisse, quoi qu’on fasse et quoi qu’on cultive, du rendement, parce qu’en fait, au-delà des extrêmes, vous avez des espèces invasives qui arrivent, des ravageurs ou des maladies qui adorent l’humidité et la chaleur. Et deuxièmement, une baisse de la valeur nutritive des aliments. Ce qui veut dire que la question de la malnutrition devient une question absolument centrale. On a en plus des problèmes de santé aux allergies et aux effets de mieux en mieux connus des produits de synthèses utilisés. La chaleur favorise aussi les pics de pollutions, qui rajoutent des enjeux sanitaires.  Le changement climatique a des conséquences en chaîne et les territoires comme la Seine-Saint-Denis y sont exposés, du fait de l’urbanisme, du fait des choix d’aménagement dil y a plusieurs décennies, et y très vulnérables, du fait de la précarité économique et sociales de nombreuses personnes et  parce que les services publics sont insuffisants. Car les services de santé, d’éducation, de sécurité civile et intérieure, sont des ressources en cas de crise.

Il faut s’y préparer et, en parallèle, il faut inventer le monde décarboné.

Tirer les leçons de la Covid

ST – La question des vulnérabilités est centrale en Seine-Saint-Denis. C’est une des leçons qu’on a tiré du Covid : à chaque fois qu’on a résisté à un endroit un petit peu mieux qu’ailleurs, c’est quand il y avait des liens de solidarité et de proximité. Et donc, entre les crises à la fois sanitaires, climatiques et par ailleurs le vieillissement indéniable de la population, on a initié des dispositifs dans le cadre des projets de rénovation urbaine où cette question du vieillissement, il faut le dire, c’est un angle mort aujourd’hui : les maires et l’Etat prévoient des crèches, des écoles, rénovent des collèges, mais très peu de villes ont intégré cette question des gens âgés qui vont rester dans leur logement. Donc on a initié une convention avec l’ANRU, la CNSA, la CNAV, etc. pour développer les quartiers inclusifs. On s’est mis d’accord sur un certain nombre de recommandations à intégrer aux opérations d’aménagement et de construction de logements. Par exemple, l’année dernière, à Sevran, on a inauguré un immeuble totalement réhabilité par un bailleur social, où les logements ont été adaptés au vieillissement. Les compagnons bâtisseurs se sont installés : ils organisent un espace d’aide à la rénovation, prêtent du matériel pour entretenir son logement, etc. La ville a porté une épicerie solidaire. On y a implanté au rez-de-chaussée un des 25 tiers-lieux autonomie, géré par des partenaires associatifs, qu’on développe à l’échelle de la Seine-Saint-Denis.

En rez-de-chaussée de la Résidence Masaryk, un nouveau tiers-lieu accueillant un projet d’habitat inclusif à destination des personnes âgées et des personnes en situation de handicap a ouvert ses portes mardi 29 avril.

L’émergence de ces tiers-lieux part du constat que tout le monde n’ira pas en EHPAD, soit par faute de moyens, soit parce qu’il n’y en aura pas assez. Dans ces tiers-lieux autonomie, il y aura du service de proximité pour les personnes vieillissantes, pour les personnes en situation de handicap qui ont besoin de cette réponse immédiate et de proximité. Troisième exemple, notre Académie populaire de la santé où on forme une trentaine d’habitants pour être des ambassadeurs, des messagers de l’accès aux soins, des dispositifs de prévention, de santé. On porte ces nouveaux dispositifs depuis quelques années et on souhaite les développer avec notre nouvelle feuille de route.

MRZ – C’est très intéressant que vous mentionniez le Covid. Car je pense que c’est une des manières bien faire prendre conscience de ce qui est en train de se passer avec le changement climatique. Pourquoi ? Parce qu’on a observé avec le COVID, en condensé sur quelques mois, ce qui en coûte d’ignorer les lanceurs d’alerte et de ne pas se préparer : on a vu ce moment où on s’est retrouvé au pied du mur, obligés d’agir, parce que le Covid était là. Aujourd’hui on est dans la même situation au niveau climatique : depuis 2022 on a enfin des certitudes sur ce qui se passe et pourquoi ça se passe. Il n’y a plus de doutes et ce qui disent l’inverse mentent. On a aussi des  modèles robustes qui permettent de tracer ces fameuses trajectoires de réchauffement et qui sont confirmés chaque année. On ne peut plus dire qu’on ne sait pas, ni qu’on ne sait pas ce qu’il faut faire et ce qu’on peut faire.  Il s’agit désormais de s’y préparer. Ce qui est intéressant dans le cas du Covid, c’est la manière dont ça a été géré. Vous avez eu d’abord un état de sidération réel et sincère. Puis, très vite vous avez vu une tension entre le niveau national et le niveau local, où ce sont les maires, enfin les gens qui ont les mains dans le cambouis, qui se sont retrouvés en première ligne. Parce que quoi qu’il arrive dans ce genre de crise, même s’il y a une cellule de crise nationale, il faut quand agir localement, avec des personnels qui sont à la fois acteurs de la gestion de crise et victimes eux-mêmes. Et ça s’est très vite vu en termes de continuité des services publics, que ça soit sur la prise en charge des personnes âgées, des malades, des personnes vulnérables, sur les policiers, sur les transports, etc., qui étaient exposés. Autre point intéressant au moment du Covid, cest la nécessité de décider sil fallait prioriser la protection des personnes âgées ou des jeunes. Dans un pays vieillissant, on a choisi de protéger les personnes âgées et finalement, entre guillemets, de « sacrifier » une partie de la jeunesse avec en particulier cette rupture d’accès à l’éducation, le temps que l’éducation nationale s’organise face à la crise. Une des questions qui nous préoccupait beaucoup au Haut Conseil pour le climat, c’est la question de la santé mentale, parce que quand vous avez des vagues de chaleur ou des crises sanitaires, les populations sont très impactées. Suite au COVID, les problèmes de santé mentale ont explosé. Et puis, quand on regarde après coup, on voit les conséquences dramatiques de la crise sanitaire, qui se décalent dans le temps. Par exemple,  les enfants, notamment ceux qui avaient de 3 à 6 ans à l’époque, se sont retrouvés dans des situations invraisemblables, avec des retards d’apprentissage dont on n’a pas fini de prendre conscience. Alors quand en plus ces enfants vivent dans des conditions de logement précaires, des situations familiales ou économiques difficiles ou encore des établissements scolaires dégradés, on imagine aisément qu’ils paient le prix fort.

Durant le confinement du Covid, les jeunes de Seine-Saint-Denis ont su s’organiser, être solidaires et distribuer de l’aide alimentaire.

Ensuite, la France s’est rendue compte de l’existence de ces fameux travailleurs essentiels : pas tant des décideurs que des gens pour ramasser les déchets, désinfecter les bâtiments, servir les repas dans les cantines etc., et que la majorité de ces personnes vivaient en périphérie des grandes cilles. Par parenthèse, ça serait la même chose dans le cas de crue de la Seine : c’est très bien de faire fonctionner les cellules de crise à Paris-Centre, mais si les transports en commun s’arrêtent et que vous n’avez personne pour nourrir nos enfants, pour faire des soins à domicile, pour gardienner nos équipements, pour nettoyer nos rues… Tous ces gens qui font ces métiers pénibles  invisibles, le matin avant 7h ou le soir après 20h, comment pouvez-vous gérer cette crise ? Donc on s’est rendu compte que tous ces travailleurs étaient essentiels. On a aussi vu mesuré l’état de désert médical qu’était la Seine-Saint-Denis, aux portes de Paris, avec notamment des médecins, des aides-soignantes qui sont morts en première ligne. On a vu aussi le déficit de soutien à la population, stigmatisée à nouveau dans les médias et le discours de certains politiques. Et puis, avec plus de recul, on voit qu’en Seine-Saint-Denis, il y a une mortalité qui est effectivement très, très élevée chez les jeunes adultes. Pourquoi ils sont décédés ? Parce que c’était des personnes jeunes, avec des facteurs de comorbidité très importants, liés à l’obésité, par exemple, elle-même liée à la malnutrition, mais pas uniquement : ces fameux travailleurs essentiels ont été beaucoup plus exposés aux risques que les cadres mis en télétravail.

On voit déjà se dessiner un profil de vulnérabilité qui est évident et qui est territorialisé. Le Covid, il est partout le même, mais l’exposition n’est pas la même, la vulnérabilité n’est pas la même. 500 000 personnes sont parties de Paris pour aller dans des résidences secondaires mais les Séquano-Dyonisiens, ils n’ont pas de résidence secondaire. On voit le problème des familles monoparentales, qui ont eu énormément de mal à s’occuper des enfants. On voit le problème de la prise en charge des personnes âgées, qui souvent se fait sur des solidarités familiales, pas parce que c’est culturel : c’est juste que l’EHPAD, ça coûte trop cher. On voit le problème des gens qui travaillent en extérieur. Et donc on voit que le Covid peut servir de clé de lecture pour la crise climatique.

ST -Vous savez, on nous a expliqué que si le taux de mortalité a augmenté de 130% entre mars 2019 et mars-avril 2020, que si on mourait plus en Seine-Saint-Denis, c’est parce qu’on faisait n’importe quoi, qu’on ne respectait rien. Alors que cette surmortalité, elle était liée à la suroccupation des logements, à la concentration des travailleurs essentiels qui, eux, étaient dans les transports le matin et le soir.

MRZ – Oui, on a eu ce discours qui est monté sur les banlieues avec cette idée qu’on avait des sauvageons qui ne respectaient rien et qui étaient responsables de la contamination. Ça a commencé par « ils sont dehors pendant le confinement », et puis on a vite dérivé sur des paroles racistes ou discriminantes… Pour un chercheur, c’est tellement banal. J’ai lu les mêmes discours sur Mayotte, mais aussi aux États-Unis, à la Nouvelle-Orléans : sur des photos de personnes à la recherche de nourriture pour leurs familles dans les quartiers dévastés, un Noir était forcément un pillard, un Blanc aide sa famille, Ce qui est sûr, c’est que dans les quartiers les plus pauvre, on a un développement massif de l’informel, faute de puissance publique à tous les niveaux. Les gens s’organisent parce qu’ils n’ont pas le choix et au prix de souffrance innommables. Ce qu’on appelle résilience, c’est le désinvestissement de l’Etat qui condamne les plus précaires au système D et à la débrouille et justifie à la fin le fait de ne pas investir puisqu’ils se débrouillent tout seuls !

ST – Ce n’est bien sûr pas la voie que nous avons décidé de suivre. Nous recherchons une transition juste et nous pensons que le capital social de notre territoire, qu’a documenté l’atelier parisien d’urbanisme (APUR) fait partie de sa force, des ressources qu’on souhaite développer dans le cadre de notre stratégie.

Ce que vous dites me rappelle les très nombreux jeunes qui s’étaient organisés massivement pour faire de l’aide alimentaire pendant le COVID. Je ne sais pas si vous vous souvenez de cette une de presse, qui nous a choqué et qui titrait « solidarité en bande organisée ». Bien évidemment pour aucun autre territoire ils n’auraient titré de cette manière-là.

MRZ – Vous avez ces solidarités, vous avez une économie informelle autour de la réparation et du réemploi, vous avez ces liens sociaux, des habitants qui se débrouillent pour prendre soin de leurs voisins, vous avez du foncier, avec vos friches : votre stratégie de résilience, il faudrait quelle démontre que ce qui peut être aujourd’hui vu comme une contrainte devient une ressource. Et qu’en fait, votre territoire, il est riche de ces ressources que, certes, le pays ne veut pas voir. Cet informel, il faut le valoriser, le rendre formel !

ST – J’entends ce que vous dites. Par exemple, sur l’insertion : on a mobilisé des moyens considérables depuis deux ans, grâce à un accord que j’ai signé avec le gouvernement Castex sur le financement du RSA. On a doublé nos crédits liés à l’insertion des allocataires. Et parmi les dispositifs qu’on développe, on subventionne à hauteur de 2 millions d’euros des projets d’insertion dédiés à la transition écologique. Et en ce moment, on accompagne les professionnels des agences locales d’insertion qu’on a créé ces deux dernières années, en partenariat avec la Fédération des Acteurs de la Solidarité, pour qu’ils intègrent la question écologique à leurs activités, en partant des préoccupations et des savoirs des personnes qu’ils et elles accompagnent, et des ressources du territoire. D’ailleurs, l’enjeu est aussi de penser l’évolution des métiers du travail social, pour les aider à jouer pleinement leur rôle dinclusion et de lutte contre les inégalités, y compris environnementales, à l’heure du nouveau régime climatique. Mais aussi pour qu’ils puissent mieux prendre en compte les préoccupations et des ressources de transition écologique des personnes concernées, pour qu’ils reconnaissent leurs savoirs et leurs pratiques.

MRZ – Dès que vous développez l’accès aux services publics, dès que vous développez vos ressources éducatives, votre secteur de la formation continue, vos activités d’insertion, vous armez le territoire et vos habitants contre le changement climatique. C’est la condition pour refuser cette vision de la résilience uniquement centrée sur les crises, car cela reviendrait à condamner les personnes à être durablement pauvres et victimes en misant sur leur capacité à se débrouiller. Or, à chaque fois que vous allez mener une action en tant que puissance publique pour optimiser, développer cet accès et ces ressources, en fait vous allez lutter contre les vulnérabilités. C’est là que ça se joue : pour créer une résilience qui produise du mieux, la priorité est de lutter contre les vulnérabilités. Au passage, cette vulnérabilité concerne aussi les entreprises, les TPE et PME du territoire. On a une vulnérabilité extrêmement forte du secteur économique.

ST – Notre échange me fait penser à bien des choses. Par exemple sur le foncier : on a encore deux ou trois sites extraordinaires. De grandes halles industrielles, comme les cathédrales du rail à Saint-Denis, les halles Babcock à La Courneuve, etc. Mais tous les projets récents ont surtout été centrés autour de la culture, des halles gourmandes, du sport. Et ils n’y arrivent plus. Ils n’arrivent plus à sortir leurs projets parce qu’ils ont un modèle économique qu’ils n’arrivent pas à équilibrer. Je me dis que c’est autour de la transition écologique qu’il faudrait penser ces aménagements, comme ce qu’on fait aujourd’hui à Bondy avec le pôle d’innovation sociale et environnementale.

MRZ – oui, c’est important parce que vous avez en plus la possibilité d’avoir cet effet laboratoire, avec ses impacts favorables en termes de développement et d’attractivité territoriale.

ST – j’entends évidemment que la transition va se faire, avec ou sans nous. Notre projet vise à nous situer en pilotes, plutôt que de la subir. Mais face à l’ampleur des changements qu’elle induit, dans un territoire comme la Seine-Saint-Denis, j’ai du mal à convaincre. Une part importante de nos habitants est à la fois moins contributrice et plus exposée aux conséquences des pollutions. Ces habitants ont moins facilement accès à des solutions pour s’en prémunir et se sentent encore trop souvent exclus de la dynamique de la transition écologique. Alors comment faire, justement, pour les embarquer ?

MRZ– Ce sentiment cumulé d’injustice, d’impuissance et de mépris est très lié à la condition sociale. Aujourd’hui, plus vous êtes riches, moins vous êtes exposés aux problèmes climatiques : au pire vous déménagerez si vous le devez. Et en plus, toutes les mesures qui sont incitatives sont pour vous des effets d’opportunité alors que la contrainte, elle, est quasiment indolore. Effectivement, quand on dit qu’il faut moins prendre l’avion, les habitants de La Courneuve se sentent moins concernés. Car l’avion, eux, ils le voient surtout passer au-dessus de leurs têtes ! Je pense qu’il faut ne pas rentrer dans la discussion par le climat, encore moins par latténuation, parce que ça devient un débat technique coupé des réalités du quotidien. Il faut rentrer par le logement, par lalimentation, par la santé : « Vous crevez de froid lhiver, vous crevez de chaud l’été ? Vous ne mangez pas tous les jours ? Nous, ce quon vous propose, cest un projet de société construit avec vous : manger mieux, habiter mieux, vivre mieux. » Vos projets, ils doivent coller à la réalité des gens et les besoins. Le débat entre fin du monde et fin du mois est mal posé parce que les deux vont ensemble. En améliorant la fin du mois, on évite la fin du monde. Votre ambition première, ça n’est pas de sauver la planète, c’est d’améliorer et de sauver des vies. Sauver la planète, c’est une conséquence, pas un objectif. D’ailleurs, c’est pour ça que le rôle des Départements est intéressant. Le département, c’est un échelon intermédiaire de subsidiarité, qui a des compétences fortes sur le social, sur la santé, l’éducation, la dépendance. Ces questions-là, prises sous l’angle climatique, ce sont aujourd’hui des déclencheurs de vulnérabilité.

« Nous, ce quon vous propose, cest un projet de société construit avec vous : manger mieux, habiter mieux, vivre mieux. »

ST –Vous avez raison. Pendant la crise Covid, les médias ont beaucoup mis en avant le binôme maire-préfet, mais ici, ce qui a fonctionné, c’est le couple département-préfecture. Quand le préfet a eu besoin d’ouvrir une cuisine centrale pour produire des repas ou un centre de vaccination au Stade de France, il est venu me voir moi et le maire de Saint-Denis. On a relégitimé notre capacité à piloter, organiser, impulser, à faire des schémas solides, comme celui-là, que de petites communes ne peuvent pas porter seules. Mais si on peut les concevoir, nous non plus on ne peut pas les porter seul. Or, c’est plus dur qu’en province de créer des coalitions ici, d’aller au-delà des clivages politiques, institutionnels, organisationnels, pour unir les forces. Ce n’est pas impossible, mais c’est plus difficile. Et donc, quand j’élabore cette stratégie, c’est pour la seule institution départementale, pour mes 130 collèges, mes 200 implantations territoriales, mes politiques publiques pour les personnes âgées, pour les jeunes de l’aide sociale à l’enfance… C’est important, mais je suis lucide : c’est une goutte d’eau.

MRZ –Il y a plein de choses qui se passent au niveau des territoires. L’idée, c’est de créer les conditions dans lesquelles les actions individuelles peuvent se mettre en place, sont possibles et où les gens peuvent décider et agir. Les actions individuelles dépendent de décisions politiques, de choix d’aménagement, des stratégies économiques… regardez ce qu’a fait le maire de Mouans-Sartoux. C’est une toute petite commune de l’arrière-pays niçois. Ils ont réussi en dix ans à faire produire par les agriculteurs locaux toute la nourriture qui est dans toutes les cantines scolaires. Les enfants mangent mieux, c’est bon, c’est local… et personne n’y croyait, sauf l’équipe municipale. Je crois que c’est à votre échelle qu’on peut sortir du discours de l’incapacité, de l’impuissance, qu’on peut dire aux gens qu’on va leur redonner les capacités de faire. Ce n’est pas la Seine-Saint-Denis qui va faire la neutralité carbone mondiale. Mais c’est la Seine-Saint-Denis qui va faire en sorte que les objectifs du développement durable soient atteints sur son territoire, et qui, pour les atteindre, va réduire les pollutions et adapter son territoire aux besoins essentiels de chacun.

Ce qui compte, c’est que vous avez des leviers : du foncier, des marchés publics. Le PDG d’une grande entreprise de travaux publics, il sait très bien que la rénovation de vos bâtiments, c’est un marché énorme. Ce n’est pas un philanthrope, ce n’est pas son rôle. Mais il sait que la transition écologique, elle va se faire. En fait, derrière l’écume et le brouhaha réactionnaire et démagogue, la transition, elle a commencé. Pas par amour de la planète. C’est parce que derrière, les entreprises, les banques, elles ont calculé les risques de l’inaction, elles ont compris qu’elles ne pouvaient plus raisonner avec les modèles ou les croyances du siècle dernier. Prenez le secteur de la logistique : les entreprises doivent décarboner leur flotte. Il faut les soutenir, parce qu’au début, ça coûte un peu plus cher. Ce n’est pas que financier. Leur donner des facilités, par exemple un accès privilégié à l’énergie décarboné que vous allez produire localement sur vos friches climatiques fait partie des aides.

ST – D’accord, mais il reste la question du financement. On parle d’un mur d’investissements climatiques et l’Etat réduit le fond vert de 50%. Moi, je suis prêt à faire de la dette supplémentaire. Je suis prêt à accélérer la rénovation de mes équipements publics, je suis prêt à soutenir les bailleurs sociaux pour transformer les logements. J’assume ce débat politique sur la dette et les banques veulent toutes me prêter. Mais compte tenu de mon ratio d’endettement aujourd’hui, si j’augmente ma dette, toutes les instances de contrôle vont m’expliquer que je ne respecte pas les règles de bonne gestion et tous les systèmes d’alerte vont passer au rouge, alors que je suis juste en train de réduire notre dette écologique pour protéger la population !

« Ce n’est pas une dette, c’est un investissement. »

MRZ – Ce n’est pas une dette, c’est un investissement. Je crois qu’il va falloir qu’on apprenne à faire la différence, parce que là aussi, quand on regarde aujourd’hui les dépenses qui sont défavorables au climat, si l’État arrêtait de subventionner les énergies fossiles et les actions défavorables à la transition, on réglerait une bonne partie du problème. À chaque fois que vous subventionnez du gasoil, vous brûlez des billets de banque. Vous avez donné l’argent, il est brûlé, il est parti en fumée.. Et puis il y l’enjeu de la fiscalité et de l’équité des aides… les politiques incitatives profitent bien plus à ceux qui sont les plus aisés, alors que ce sont eux qui émettent le plus et les politiques contraignantes, pèsent essentiellement ceux qui ne polluent pas ou peu, ou ce qu’in n’ont pas d’alernatives. Ça ne peut pas marcher dans ces conditions.

Ce dont on parle en fait, c’est d’un projet de société… Rappelez-vous, la reconstruction après la seconde guerre mondiale… on a su mobiliser les énergies pour répondre aux enjeux de nourrir la France, de rebâtir ses infrastructures, de sortir les gens de l’habitat insalubres ou des bidonvilles… les politiques avaient compris qu’ils étaient au pied du mur alors ils ont créé des organisations dédiées, une planification, mobilisé des fonds…

ST – Très bon exemple… et d’ailleurs, regardez le métro du Grand Paris Express : 35 milliards d’euros. 200 kilomètres de métro autour de Paris. 68 gares. 22 chez nous, en Seine-Saint-Denis. Quand on regarde les surfaces aménageables autour de chacune des gares, c’est une fois et demie à deux fois ce qu’a fait le baron Haussmann, dans Paris. Or, la Société du Grand Paris construit ses gares, creuse ses tunnels, pose ses rails… mais il n’y a pas de pilote de l’aménagement global de ces quartiers de gare ! Je suis seul à me battre contre certains maires qui veulent absolument des parkings de 300 places plutôt que des espaces végétalisés ou des pistes cyclables autour de leurs gares ! Mais nous, on assume la réduction de la place de l’automobile.

Eviter, améliorer, changer

MRZ – Vous assumez parce que vous savez que l’automobile, d’abord, c’est une contrainte. C’est quelque chose qui pèse très lourd dans les budgets, c’est stressant, c’est accidentogène, ça créé de la pollution. La voiture plaisir, quand on voit la tête des gens dans les bouchons et la facture chez le garagiste ou l’assurance, bon. Vous n’avez rien contre la voiture, mais vous savez que ça n’est pas une solution dans le nouveau régime climatique. Sachant que l’accès aux mobilités est très compliqué dans le département. Marcher, utiliser des vélos, des transports collectifs, des transports en commun, bref adapter les transports aux besoin, c’est l’objectif. Après, c’est une question de rapport de force, une recherche de compromis.

Mais je trouve qu’il y a ce triptyque qui n’apparaît pas complètement dans votre stratégie : éviter, améliorer, changer. Se passer d’une consommation quand on le peut (prendre sa voiture pour acheter son pain), améliorer (avoir des voitures moins polluantes), changer (prendre les transports en commun). Il faut donc définir avec la population ce qui est essentiel. Par exemple, pendant le Covid, ce qui était essentiel, ça n’était pas tant les soldes que le café avec les amis, la librairie, les balades dans les parcs ou les musées, les visites aux parents. Ça, c’était essentiel. Le deuxième point, c’est qu’aujourd’hui on nous raconte qu’on est dans une société d’abondance : il faut que ça coule au robinet. Mais en réalité, ce discours, il n’a pas tellement de sens ici parce que ça ne coule pas. Mais le désir que notre société suscite, c’est que ça doit couler. Personne ne se demande si ça rend plus heureux. Il faut arriver à montrer qu’on peut avoir moins, mais mieux, c’est une discussion qu’il va falloir construire, notamment à gauche. Tout ça est très politique, au sens nombre, et pour aller au bout de votre projet de territoire, il faudrait une expression encore plus affirmée de vos valeurs, de vos marqueurs.

ST – Oui, c’est très politique. On parle d’un projet de société, d’une trajectoire de réduction de nos émissions et d’adaptation de notre territoire mise au service des solidarités et de la réponse aux besoins essentiels de tous les habitants. On parle de choix, en termes d’allocations des ressources, qu’elles soient économiques, énergétique ou naturelles. On parle de valeurs, effectivement, et je peux vous garantir qu’on continuera de les affirmer !

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