Neuilly-sur-Marne se raconte dans un bel ouvrage
Richement illustré et documenté, ce nouvel opus de la collection initiée par les éditions AAM, avec le soutien du Département de la Seine-Saint-Denis, s’inscrit dans la volonté de faire connaître la Marne et son patrimoine architectural sur la période 1850-1950.
De l’installation du général d’Empire François-Xavier Donzelot dans son château de Ville-Evrard, à la construction du premier asile d‘aliénés, jusqu’aux interventions de l’architecte-conseil Claude Le Goas permettant à la ville de s’inscrire dans la modernité, en passant par l’arrivée du chemin de fer et l’industrialisation, sans oublier les interventions des frères Turin dans la réalisation du tissu pavillonnaire, tout ce qui fait l’histoire, le charme et l’intérêt de Neuilly-sur-Marne est abordé dans ce très bel ouvrage.
Quand en 1826, le général d’Empire François-Xavier Donzelot se retire dans son château de Ville-Evrard, c’est toute sa renommée qui rejaillit sur la ville. Cet homme de guerre qui a participé aux campagnes d’Egypte et d’Italie ne s’empêche pourtant pas d’accueillir Alfred de Vigny ou de se prêter à la pose pour un portrait en pied. Propriétaire terrien, il constitue un patrimoine foncier important s’étendant de la Marne au plateau d’Avron. En 1863, le Conseil général de la Seine acquiert 300 hectares de son domaine pour créer un asile d’aliénés. L’ensemble formé par le château et la ferme du général Donzelot est intégré dans l’hôpital de Ville-Evrard et existe toujours.
Neuilly-Plaisance gagne son autonomie
1892 constitue une date importante pour Neuilly-sur-Marne. Elle se voit privée d’une large partie de son territoire qui donne naissance à Neuilly-Plaisance. Alors que cette dernière, mieux desservie et plus proche de Paris, voyait sa population augmenter, on ne retenait de sa voisine que les asiles d’aliénés. Certes, les peintres fréquentèrent peu ou prou Neuilly-sur-Marne, la privant du prestige des impressionnistes, mais la ville est néanmoins entrée dans l’histoire de l’art par le biais de la psychiatrie et des illustres pensionnaires que les asiles de Ville-Evrard puis Maison-Blanche accueillirent depuis 1868.
Les asiles et maison de santé
En consultant le plan de la ville (1933), on constate que Ville-Evrard (300 hectares) inauguré en 1863 et Maison-Blanche ouvert en 1900, occupent plus d’un tiers de la commune. Immédiatement reconnaissable à leur ordonnance géométrique et pavillonnaire, ils constituent les asiles de première génération aux tracés orthogonaux et symétriques. Ils sont aussi à l’image des pratiques qui au fil du temps allaient évoluer.
Parmi les pensionnaires célèbres qui firent la réputation de la commune, on compte le poète Antonin Artaud, la sculptrice Camille Claudel, le peintre graveur Josome Hodinos ou le compositeur arménien Soghomon Komitas.
De nos jours, de nombreux cinéastes ont été inspirés par ces lieux et l’on a pu voir ainsi Arnaud Desplechin tourner plusieurs scènes de Rois et Reine à Ville-Evrard et plus récemment, en 2022, Patrice Leconte se servir de l’hôpital comme décor de son film Maigret, avec Gérard Depardieu.
Une autre aventure artistique est liée à la présence de ces malades internés, c’est celle de la Fondation l’Aracine. Elle débute à la fin des années 1970 une collection d’art brut. Exposée de 1984 à 1996 au château Guérin, elle est décentralisée ensuite à Villeneuve d’Ascq au musée LaM. Aujourd’hui, désaffecté, l’hôpital de Maison-Blanche a été vendu à un promoteur immobilier pour y construire des logements résidentiels.
L’arrivée de chemin de fer
Sans ligne ferroviaire, la commune peinait à se développer. Il fallut attendre 1928, à la faveur de la création d’une ligne complémentaire de la Grande ceinture de Paris reliant Bobigny à Sucy-Bonneuil, pour que Neuilly-sur-Marne se voie rattachée à un réseau d’importance régionale. « Lors de sa mise en exploitation, écrit Antoine Furio, historien au service du Patrimoine du Département, la ligne ne fait cependant que traverser le territoire, sans le desservir. Visant avant tout à décharger le trafic marchandises de la Ceinture et dans un second temps à faciliter le transport militaire vers l’est de la France, elle ne comprend initialement aucun service local de fret ou de voyageurs. Face à la mobilisation des habitants et des élus locaux, la Compagnie se résout toutefois à engager la construction de quatre gares dont une à Neuilly-sur-Marne ouverte au service en 1932. »
L’industrie au fil de l’eau
Si la commune n’est pas à proprement parler une ville industrielle telle qu’on en rencontre dans le bassin parisien, à l’instar de La Courneuve ou Saint-Denis, elle bénéficie néanmoins d’un site majeur, l’usine des eaux, édifiée en 1886. Premier établissement industriel d’importance à s’installer sur les bords de Marne et le seul à s’y être maintenu. Cette usine s’inscrit dans un réseau de la Compagnie générale des eaux, qui gère quatre établissements à Méry-sur-Oise, Nogent-sur-Marne, Choisy-le-Roi et Neuilly-sur-Marne. Etendu sur 7 hectares, le site puise son eau dans la Marne et alimente une grande partie des communes du nord et de l’est de Paris raccordées à son réseau de distribution. « L’usine actuelle, souligne Antoine Furio, exploitée par Véolia Eau d’Ile-de-France pour le compte du SEDIF (Syndicat des Eaux d’Ile-de-France) n’a rien de comparable avec celle d’origine en partie disparue au milieu des années 1970 dans le cadre d’un projet de réaménagement global. »
Cette usine, qui a employé plusieurs centaines de salariés, constitue un site d’importance pour l’histoire de la commune. Elle s’est bien sûr modernisée, adaptée aux évolutions de l’hygiène mais aussi à celles des besoins en eau. Le nombre d’abonnés n’a cessé de croître au fur et à mesure des années. Aujourd’hui, ce site industriel est d’une importance régionale et emblématique de l’histoire industrielle.
Salle omnisports Marcel Cerdan, Claude Le Goas, architecte, 1971
Photo : Fonds Henri Baranger
D’autres établissements spécialisés liés au chemin de fer et au tramway, – en raison de la présence d’une importante compagnie de chemin de fer, le Chemin de fer nogentais, installée à Neuilly-Plaisance en limite de Neuilly-sur-Marne – voient le jour au début du XXe siècle. Ils fabriquent du matériel électrique de traction pour les chemins de fer et les transports urbains. Ainsi l’Union équipe notamment la ligne ferroviaire de Chamonix et celle du tramway les Halles-Malakoff.
Le vélo, autre mode de déplacement dont l’essor à partir de 1900 dynamise des secteurs entiers d’activité, s’implante aussi dans la commune. Ainsi, Daroles transfère ses ateliers parisiens à Neuilly-sur-Marne en 1904. Alfred Nortier, quant à lui, ancien salarié de la manufacture et repreneur de l’affaire, diversifie les activités en proposant des pneus pour automobiles mais aussi des tuyaux de gaz et des flexibles de douches.
Aux côtés des grands établissements regroupés le long de la rivière, tout un tissu d’artisans et de petites entreprises essaiment sur tout le territoire (ébénistes, serruriers, menuisiers, blanchisseurs).
Le logement pavillonnaire
Hélène Caroux, elle aussi historienne au service du Patrimoine du Département, s’est particulièrement penchée sur le logement pavillonnaire et les réalisations de deux frères architectes, Albert et Maurice Turin, qui ont pu développer une activité exceptionnelle via la société L’Habitation Moderne. Pas moins de 140 permis de construire ont été signés par les deux architectes pour construire des pavillons à Neuilly-sur-Marne.
L’Habitation moderne est une société d’épargne, de prévoyance et d’habitations à bon marché des personnels de la Ville de Paris, du Département de la Seine, qui œuvre à la création de logements en location ou l’accession à la propriété pour des personnes peu fortunées. A Neuilly-sur-Marne, l’implantation des hôpitaux psychiatriques de Ville-Evrard (1868), de Maison-Blanche (1896) et de quelques usines comme celle des Eaux, fait de cette ville un territoire tout désigné pour répondre aux buts de L’Habitation Moderne. En effet, celle-ci ne s’adresse qu’aux ouvriers, agents et employés de la Préfecture de la Seine et aux personnels de la Ville de Paris, de la Préfecture de police, de l’Assistance publique, du Métropolitain, des Eaux, Omnibus, Tramway, etc. Par ailleurs, celle société ne construit que des maisons individuelles.
« L’habitat de Neuilly-sur-Marne, écrit Hélène Caroux, se caractérise par le nombre important de maisons en pierre de meulière. Cette pierre dure, légère et inaltérable, bien que largement utilisée dans le Bassin parisien, l’est tout particulièrement dans cette ville en raison de sa proximité avec les carrières d’extraction et de la présence de la Marne qui en facilite l’approvisionnement. »
En se promenant dans la ville, sans hésiter à emprunter les ruelles, on découvre tout un habitat pavillonnaire de qualité édifié jusque dans les années 1950, où la pierre meulière domine et participe à son homogénéité.
Les frères Turin
C’est en 1911 qu’a lieu la première intervention des deux architectes. Année faste s’il en est, puisque pour la société pour laquelle ils travaillent, 74 maisons sont déjà habitées, 19 terrains loués sous forme de jardin et destinés à recevoir une maison et enfin, 6 maisons en cours de construction dont une à Neuilly-sur-Marne, la première d’une longue série. Si les frères Turin perçoivent des honoraires pour chacune des maisons qu’ils dessinent, la construction est déléguée à des entrepreneurs de la ville.
La très belle et présente iconographie avec un album photos conséquent, ne manquera pas d’intéresser les Séquano-dionysiens amoureux de leur territoire et avides de découvertes. C’est le nez en l’air, armé d’un carnet, d’un stylo et de son appareil photo qu’il faut arpenter le territoire pour bien l’apprécier. Mais si vous cherchez une plaque de rue consacrée aux frères Turin, vous ferez chou blanc. Pas la moindre artère, voie, rue ou avenue ne leur a été attribuée. Dommage ! Il n’est pas trop tard pour réparer cet oubli.
Claude Bardavid
Neuilly-sur-Marne
1850-1950
Art nouveau. Art déco
AAM Éditions
Parmi l’équipe de rédacteurs, on peut lire les recherches d’Hélène Caroux, Antoine Furio et Benoît Pouvreau du Service du patrimoine culturel de la Seine-Saint-Denis.