La guerre des bouchons : face aux lingettes, la lutte pour préserver les canalisations
- Usage de lingettes, augmentation des rejets de graisse ...
- Avec l'accroissement de ces usages, les agent·es de la direction de l’eau et de l’assainissement du Département luttent chaque jour contre un nombre croissant de bouchons dans les canalisations
- Reportage.
« Les lingettes ce n’est pas fait pour être jeté dans les toilettes » Véronique Gaugain chargée d’étude qualité des eaux à la direction de l’eau et de l’assainissement du Département, n’en démord pas. « Le souci, c’est que sur les emballages des lingettes, il y a un logo indiquant qu’il est possible de les y jeter. Alors que contrairement au papier toilette, elles ne se désagrègent pas. »
Les agent·es de la DEA mènent régulièrement des ateliers de sensibilisation auprès des collégien·nes. « Nous leur donnons deux bocaux remplis d’eau, l’un avec du papier toilette l’autre avec une lingette et on leur demande de secouer les bocaux. Le papier toilette se désagrège très vite, tandis que la lingette reste intacte. » Ces lingettes, on les retrouve ensuite dans le réseau d’assainissement « partout où se trouve un point d’accroche : un branchement, un coude, des grilles sans les postes de refoulement… Elles forment d’énormes paquets agglomérés qui obstruent les réseaux ». Et s’il n’y avait que les lingettes ! Mais bien souvent, elles s’agglomèrent avec des graisses et alors… Geoffroy Belhomme, chef du bureau qualité des eaux, explique : « Lorsque vous jetez de la graisse dans votre évier, vous risquez qu’en refroidissant elle bouche votre siphon ou vos canalisations. Mais lorsqu’elle arrive en réseau, il y a un phénomène de saponification, la réaction chimique utilisée pour fabriquer du savon. » La graisse liquide devient alors aussi dure que de la pierre, forme ce qu’on appelle des pains de graisse, comme un énorme caillot qui obstrue les canalisations.
Graisse alimentaire + lingettes = grosses factures

L’amas noir, ce sont des lingettes jetées dans des toilettes qui ont bloqué une canalisation en s’entassant, bloquant d’autres déchets.
Cette graisse peut être issue d’usages domestiques, de rejets d’huile de friture notamment. Ils s’accentuent avec le nombre croissant de construction de logements sans prendre en compte la taille des réseaux d’assainissement dont la section est prévue par exemple pour des zones pavillonnaires et non de l’habitat collectif.
Mais de l’avis des agent·es de la DEA, l’essentiel des rejets proviennent d’entreprises : restaurants, restauration rapide, confection de plats préparés, équarrissage… La loi prévoit depuis 2016 qu’à partir de 60 litres par an, les professionnel·les doivent collecter leurs huiles alimentaires usagées en vue de leur traitement. Mais certains s’en passent et les rejettent dans les réseaux et les bouchent. Tout cela génère des coûts, de plus en plus importants. En 2014, les équipes de curage de la DEA récoltaient plus de 1 000 tonnes par an dans les réseaux. En 2023, c’était 4 000 tonnes ! L’impact financier suit la même courbe : le traitement des graisses en 2014 se montait à 21 960 € pour atteindre 465 998 € en 2025. Plus de 21 fois plus ! Et cela est reporté sur la facture d’eau des habitant·es…
Un travail aussi dangereux qu’utile
Sur le terrain, les équipes de curage de la DEA ne chôment pas entre les opérations d’entretien et les interventions d’urgence. « Nous trouvons de tout, surtout des graisses et des lingettes, raconte Madiba Kanté, chef d’équipe curage, lors d’une intervention d’entretien program mée rue de l’Yser à Épinay-sur-Seine. Nous venons là tous les 3, 4 mois, avant que ce soit bouché. C’est un des points noirs que nous avons repérés. » Madiba descend une rétro-buse et un gros tuyau de pompage. « La canalisation est à 4 m de profondeur, si on peut on évite de descendre, c’est toujours dangereux. Il y a des risques de glissade, et surtout les gaz ! Même si nous avons des détecteurs et des masques. »
Avec les bouchons, les matières organiques stagnent et dégagent un gaz mortel, l’H2S, l’hydrogène sulfuré. Avec expérience, Madiba Kanté dirige la rétro-buse qui avec 150 bars de pression, casse les blocs de graisse. « Parfois c’est difficile, on devrait augmenter encore la pression, mais ça risquerait d’abîmer la canalisation. Il faut alors la réparer en la rechemisant. Mais alors le diamètre est encore réduit et les bouchons arrivent plus vite… » Malgré les difficultés, Madiba Kanté est fier de son métier : « C’est dur, dangereux, usant, mais mon travail est utile à tous ! »

Danger de la circulation, des chutes, des gaz… La sécurité, la leur et celle des habitant·es, est une préoccupation de tous les instants des agents du service de curage.
Crédit photo : Nicolas Moulard / DEA