Shoah : la gare de Bobigny retrouve son histoire
- Ouverte depuis janvier 2023, l'ancienne gare de déportation de Bobigny a été inaugurée mardi 18 juillet en présence de nombreux·euse·s officiel·le·s, du comédien Thierry Lhermitte et de deux survivant·e·s de la Shoah.
- Témoin d'une des pires horreurs de l'histoire de notre pays, ce site a vu près de 22 500 juif·ve·s partir vers le camp d'extermination d'Auschwitz-Birkenau, à l'exception d'un convoi transféré vers les Pays Baltes.
- Retour sur une après-midi dédiée à la mémoire des disparu·e·s, dans ce lieu restauré, resté dans sa structure d'origine.
« Je suis tellement ému de parler devant vous sachant que je vais peut-être bientôt ne plus être de ce monde » déclare Henri Zajdenwergier, 95 ans, unique rescapé du convoi 73 détourné par les Nazis à Tallinn en Estonie au moment où les tortionnaires nazis tuaient plus de victimes que les fours ne pouvaient en accepter. Témoin de fusillades pendant le trajet, celui qui était alors adolescent travaillera de force sur un terrain d’aviation tenu par les Allemands, avant de rejoindre « dans des conditions horribles » le camp de concentration du Stutthof en Pologne. « On me fait trop d’honneur d’être aujourd’hui ici, j’aurais tant aimé qu’il y ait des camarades ici, avec moi… ». Après ces mots, le discours sera interrompu. Accompagné pour quitter la scène, le vieil homme est applaudi par une foule de 500 personnes, émue aux larmes.
Ne jamais oublier Auschwitz
Ginette Kolinka, qui s’est exprimée avant lui avec la même émotion, a aussi été déportée depuis la gare de Bobigny à tout juste 19 ans. Membre du même convoi que Simone Veil, elle est, comme Henri Zajdenwergier, la seule de sa famille à avoir survécue au génocide nazi. « Pourquoi moi ? Je n’en sais rien. Je n’ai pas été courageuse, j’ai simplement eu de la chance » annonce la nonagénaire survivante du camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz qui témoigne régulièrement dans les établissements scolaires. « Il n’y a pas de mot pour raconter ce qui nous est arrivé, mais je voudrais que les jeunes se souviennent que c’est la haine qui a engendré cela ».
Les deux intervenant·e·s, longtemps ambassadeur·rice·s de la mémoire de la déportation, n’auront bientôt plus la force de témoigner de leur terrible expérience. Au milieu d’un immense terrain de 3,5 hectares, ils sont venus transmettre leurs souvenirs lors de cette inauguration officielle en présence notamment de la secrétaire d’état chargée des anciens combattants et de la mémoire Patricia Miralles, du maire de Bobigny et de Stéphane Troussel, 80 ans jour pour jour après le départ du premier convoi vers les camps d’extermination. L’avocat et historien Serge Klarsfeld, venu avec son épouse Béate, a subi enfant l’internement de son père à la Cité de la Muette de Drancy avant son transfert de cette gare vers Auschwitz où il ne survivra pas. « Que les enfants puissent réfléchir au destin de celles et ceux qui ont vu ici à Bobigny un ciel français avant d’être mis à mort 72 heures plus tard dans les chambres à gaz » souffle celui qui tentera en vain dès 1982 de faire extrader de Syrie le responsable du camp d’internement de Drancy Alois Brunner afin de le juger.
Une gare restée dans son état d’origine
Ce site, choisi par Alois Brunner pour sa situation enclavée et sa discrétion, était un des maillons essentiels de toute la chaîne des lieux qui ont permis de mettre en oeuvre la Solution finale. Les prisonnier∙ère∙s étaient emmené∙e∙s de Drancy en bus et passaient quelques heures sur les quais avant d’être conduit∙e∙s de force dans les wagons. « Il y avait beaucoup de cris, des chiens, des matraques, c’était un univers très confusant (NDLR : les autorités nazies faisant croire à un transfert vers des camps de travail) » détaille Adèle Purlich, directrice du Mémorial de l’ancienne gare de Bobigny. « Si bien que les rescapés ont très peu de souvenirs de cet endroit, où ils sont restés seulement quelques heures ».
Seul site ferroviaire de déportation préservé en France, ce lieu historique a vu passer un tiers des déporté∙e∙s juif∙ve∙s de France vers les camps de la mort. Longtemps oublié, il renaît à compter de 2011 lorsque la Ville de Bobigny et la SNCF signent un accord pour réhabiliter cette friche et mettre en place un mémorial. Après la restauration de la Grande Halle des Marchandises, le conseil municipal démarre les travaux d’aménagement paysager et scénographique du lieu. « On a voulu faire une muséographie respectant le plus possible les traces et l’histoire de ce site (…) avec une scénographie plutôt sobre facilitant la réflexion des visiteurs » explique l’historien et commissaire d’exposition Thomas Fontaine.
Cette scénographie dépouillée a visiblement inspiré l’Ensemble de Musique Incidentale dirigé par Hélios Azoulay qui a donné un concert de musiques écrites dans les camps de concentration à l’issue de l’inauguration. « Ce qui est impressionnant, c’est le silence de ce site, c’est à dire la place de la musique qui est aussi un témoignage. Dans cet espace immense, je suis sûr que si je mettais l’oreille sur ces pavés, j’entendrais résonner dans les canalicules des pierres les pas des dizaines de milliers de juifs déportés à partir d’ici. Et c’est ce qui bouleverse. Cet espace est aussi vide qu’habité » confie-t-il avec gravité. Derrière la scène, une citation de Paul Eluard gravée sur le mur en béton prend tout son sens : « Si l’écho de leurs voix faiblit, nous périrons ».
Le Mémorial de la Gare de Bobigny et Seine-Saint-Denis Tourisme vous proposent de participer à une visite guidée de ce lieu de mémoire les dimanches 8 octobre, 12 novembre et 9 décembre et les samedis 28 octobre et 25 novembre à 15h. Inscription obligatoire sur Explore Paris.
Des rencontres sur le thème des femmes déportées sont attendues sur ce site le samedi 16 et le dimanche 17 septembre lors des Journées européennes du patrimoine 2023.
Par ailleurs, une programmation complète, incluant des ateliers pédagogiques, des conférences ou des performances artistiques sera mise en ligne prochainement par le Mémorial de la gare de Bobigny.
Crédit-photo : Bruno Lévy