Avec « Halloween Parc », le Créa s’ouvre, une fois de plus, les portes de l’Opéra Bastille
- Le Créa, centre de création vocale et scénique basé à Aulnay-sous-Bois, va présenter « Halloween Parc » du 20 au 25 novembre dans l’amphithéâtre de l’Opéra Bastille.
- Une comédie musicale qui reprend quelques airs d’artistes connus et qui est interprétée par trente chœurs de scène de 11 à 17 ans.
- Nous sommes allés à la rencontre de cette jeune troupe qui vit ses dernières heures de répétition avant le grand soir.
Dans un amphithéâtre plongé dans l’obscurité, des personnages peu rassurants aux visages recouverts de fond de teint blanc, attifés, pour certains, de costumes de squelette, arborant, pour d’autres, une tête de citrouille aux yeux lumineux affluent par grappe sur la scène, le pas lourd. Les lumières s’allument, le piano se met en branle, les voix, tantôt graves, tantôt aigües, résonnent.
Bienvenue à « Halloween parc », la comédie musicale au titre qui fait frémir et que trente jeunes chœurs de scène, âgés de 11 à 17 ans, répètent actuellement avant de la jouer devant le public du 20 au 25 novembre dans l’amphithéâtre de l’Opéra Bastille, lieu prestigieux s’il en est où le Créa, fort de sa renommée, s’est déjà produit à de multiples reprises. Créée il y a trente-six ans à Aulnay-sous-Bois par Didier Grojsman, cette structure d’éducation artistique basée sur la découverte du chant et des arts de scène permet à n’importe quel enfant, quel que soit son âge, son niveau social, son handicap ou pas de pouvoir vivre une démarche artistique, entouré de professionnels. Lieu ouvert sans sélection ni audition, l’association part du principe que la culture doit être accessible à tous. Au fil du temps, elle est devenue, dans son domaine, une véritable institution en France.
Pour ce nouveau spectacle, dont l’intrigue se déroule dans un parc d’attraction occupé par des vampires, des sorcières et autres zombies, le librettiste Gaël Lépingle est allé piocher dans les répertoires de Boris Vian, Michael Jackson, Tom Waits ou encore Jacques Higelin. «‘’Halloween Parc’’ est né au départ de l’envie de travailler sur le personnage de Dracula mais a finalement donné lieu à une galerie de monstres, raconte Aurélie Reybier, cheffe de chœur du Créa. Il ne s’agit pas d’une création mais d’un projet de ‘’petite forme’’ car on se sert d’un répertoire de chansons préexistantes dans lesquelles certaines paroles ont été modifiées et les musiques arrangées pour les besoins du chœur et de l’histoire. »
Accompagnée par la metteuse en scène Jehanne Carillon en ce jour de répétition, la cheffe de chœur scrute à la loupe chaque déplacement, chaque intonation et n’hésite pas à interrompre une scène pour distribuer ses instructions. « Nous sommes dans une configuration de salle en fer à cheval. Ayez en tête que le public est partout autour de vous, donc regardez à gauche, à droite et pas uniquement devant vous, et surtout, ne lui tournez jamais le dos », martèle-t-elle à sa troupe, d’une voix décidée mais toujours douce. Nous sommes le 15 novembre, la première approche à grand pas et la répétition générale n’est que dans trois jours. Si l’événement est immense – on ne joue pas tous les quatre matins à l’Opéra Bastille, y compris dans l’amphithéâtre, une salle de 500 places située dans les entrailles du bâtiment – et que la plupart de ces graines d’artistes n’ont découvert la scène que récemment, le stress ne paraît pas s’être emparé d’eux. Concentré, chacun sait ce qu’il a à faire et semble prêt à en découdre. Les quelques représentations du spectacle données un mois plus tôt au théâtre Jacques Prévert d’Aulnay-sous-Bois, refuge historique du Créa, ont permis de s’échauffer et de procéder à quelques ajustements.
Un an de préparation
Pour Léa, 13 ans, qui campe dans « Halloween Parc » une zombie et « le corps de l’homme invisible », la compagnie aulnaysienne est l’endroit idéal pour s’épanouir. « Ici, il n’y a aucun esprit de compétition, seules comptent les notions de plaisir et de convivialité. En rejoignant le Créa sur les conseils de ma grand-mère, grande amatrice de chant, il y a quatre ans, j’ai eu le sentiment de rejoindre une famille, affirme la jeune fille, qui habite à Tremblay-en-France. Cette aventure représente beaucoup de travail, d’énergie, de sacrifices mais aussi beaucoup de fierté. Jouer à l’opéra face à un public de connaisseurs, c’est une expérience dont je me souviendrai toute ma vie et que je pourrai raconter plus tard. » Casquette vissée sur la tête, appareil photo autour du cou, Tom, 16 ans, joue le rôle d’un visiteur du parc d’attraction. Il a rejoint le Créa à l’âge de 5 ans et ne l’a jamais quitté depuis. « Le Créa, c’est du chant mais pas seulement, souligne l’Aulnaysien. On nous apprend aussi à jouer et à danser, une offre globale qui a fait que j’ai tout de suite accroché. » Car « une bonne prestation vocale passe par le jeu et une incarnation totale du personnage, précise Aurélie Reybier. La relation au corps est fondamentale dans le chant ». Autre belle découverte pour Tom : le niveau vocal des pensionnaires. « Cette structure est composée d’amateurs qui, pour certains d’entre eux, n’auraient pas à rougir face à des professionnels. » Et de conclure : « Sans le Créa, je n’aurais probablement pas été le même adolescent. L’expérience que j’y ai acquise m’aide dans la vie de tous les jours, dans mon parcours scolaire notamment. Je n’ai pas peur d’exprimer mes opinions en public et me sens toujours à l’aise, quelle que soit la personne en face de moi.. »
« Halloween Parc » a nécessité un an de préparation et met en scène un des cinq chœurs que compte le Créa. Originaires d’Aulnay-sous-Bois et d’autres communes de Seine-Saint-Denis, les interprètes ont répété en dehors du temps scolaire tous les mardis soirs, un week-end par mois, une semaine durant les vacances de Pâques et deux semaines au mois d’août. La troupe est exclusivement constituée d’amateurs encadrés par des professionnels, qui apportent un surplus de rigueur et d’exigence artistique perceptibles sur scène dès les répétitions. Depuis sa fondation en 1987, le crédo du Créa n’a pas varié d’un iota : ses spectacles (70 à ce jour, dont 28 commandes d’opéra) sont toujours joués et chantés par des jeunes recrutés sur la base de leur seule motivation. Un OCNI (objet culturel non identifié, comme l’a baptisé un jour le journaliste David Abiker) qui se situe à des années-lumière de certains conservatoires qui exigent de nombreux prérequis et qui ont fait de l’audition un passage obligatoire. « On demande juste des frais d’inscription basés sur le quotient familial donc cela reste très accessible, détaille Claude Bajonco, chargé de la communication de cette structure qui compte dix salariés à plein temps. Nous sommes implantés à Aulnay-sous-Bois depuis le début, on accueille un public venant de tout horizon. »
Former des meneurs de chant
De fait, le succès des créations, dont certaines ont été programmées au théâtre du Châtelet, aux opéras de Bordeaux et de Vichy, au Grand Théâtre d’Aix-en-Provence ou encore au Forum Grimaldi de Monaco, n’est que la partie émergée de l’iceberg car le Créa passe par ailleurs un temps fou dans les écoles et les collèges pour promouvoir l’éducation musicale. En sensibilisant les parents et en jouant de ce fait un rôle de prescripteur, les équipes pédagogiques, qui sont des partenaires privilégiés, permettent ainsi à l’association d’être identifiée par tous les habitants, qui n’hésitent plus à pousser la porte de ce lieu unique en son genre. Soutenu financièrement par des partenaires institutionnels (parmi lesquels le Département et la Ville d’Aulnay-sous-Bois) et des mécènes, le Créa est aujourd’hui reconnu parmi les onze institutions partenaires de l’Éducation nationale en matière d’éducation artistique et culturelle. En sa qualité d’acteur majeur, il a notamment été missionné pour développer dans dix académies (Créteil, Grenoble, etc.) le chant choral et former ainsi des meneurs de chant. Enfin, un dernier volet est consacré à la production de ressources pédagogiques, soit la constitution d’un répertoire musical dans lequel peuvent puiser les professionnels dans le cadre de leur enseignement. À 36 ans, le Créa n’est pas près de se casser la voix.
Grégoire Remund
Photos: ©Jérémy Piot