William Keo photographe aux mille vies
- Le jeune Aulnaysien sillonne les coins chauds de la planète avec son appareil photo depuis une dizaine d'années.
- Moyen-Orient, Donbass, Birmanie... Il a couvert des conflits violents mais s'est aussi intéressé aux habitant·es des quartiers populaires de Seine-Saint-Denis.
- Rencontre avec cet aventurier authentique et attachant, récompensé par la prestigieuse agence Magnum.
Tout jeune, vous vous passionnez pour la photographie. Comment vous êtes vous formé à cet art ?
Mon amour pour les images fait partie en quelque sorte de mon héritage familial, de mes racines… Mes parents ont fui la guerre civile au Cambodge et le génocide des Khmers rouges puis se sont installés à Aulnay-sous-Bois dans les années 90. Ils ont documenté leur exil à travers la photographie, ce qui m’a ouvert au passé de ma famille. Plus tard, je me suis formé à la photographie en étudiant des livres, des magazines… et m’entraînant sur le terrain avec le Leica M240 de mon père ou mon Canon EOS 5D. En 2017, j’ai effectué un stage pour plusieurs ONG en tant qu’enquêteur humanitaire, un travail qui ressemble beaucoup à celui d’un journaliste reporter d’images. Un peu plus tard, j’ai travaillé pour l’URDA, une agence de l’ONU au Liban mobilisée dans le cadre de la crise des réfugié·es syrien·nes puis j’ai été correspondant d’associations au Bengladesh, en Turquie et au Soudan.
Mon entrée chez Magnum photo m’a permis de devenir photographe indépendant à plein temps et de réaliser des reportages aux quatre coins du monde pour illustrer des dossiers de magazines comme Libération, l’Obs, le New York Times, le National Géographic…
Des reportages sur des zones de conflits particulièrement tendus au Darfour, dans le Donbass en Ukraine, en Irak… Comment se prépare-t-on à couvrir des guerres ?
D’abord en faisant confiance à la portée de l’image qui rend le lecteur plus proche d’espaces de tragédie et à la souffrance des habitant·es, qui vivent la grande Histoire dans toute sa violence. Je suis assez timide et la photographie est pour moi le langage le plus adapté pour témoigner même si je suis conscient de la difficulté d’être complétement subjectif ou d’éviter d’être instrumentalisé par les parties. Avant de partir sur le terrain, je me documente en amont puis une fois sur place, je passe du temps à prendre des contacts et développer un réseau de confiance avec des traducteurs ou des fixeurs en tissant des liens d’amitié.
A 19 ans, j’ai couvert la crise des réfugié·es Rohingyas qui a été d’une violence émotionnelle sans nom, avec de véritables vagues humaines se piétinant pour fuir les persécutions. Cette expérience m’a incité à adopter un style plus documentaire, statique – voire contemplatif – en n’hésitant pas à revenir sur les lieux d’anciens reportages. Je me suis déplacé entre autres à Beyrouth, au Darfour, au Donbass en Ukraine, au Sénégal… mais j’ai aussi suivi des sujets plus proches comme les élections françaises ou la vie quotidienne des habitant·es de la Seine-Saint-Denis.
Vous avez pris en photo des nationalistes pro-russes en Ukraine, des soldats kurdes des Forces Syriennes Démocratiques… C’est facile de nouer des contacts avec des militaires lors de conflits ?
Dans ces situations, le risque d’instrumentalisation est permanent. Les jeunes du Donbass que j’ai rencontrés avant le 24 février 2022 avaient un discours nostalgique de l’URSS devant les caméras mais ne cachaient pas en off qu’ils aimeraient beaucoup partir en Europe. Après l’invasion russe, mon travail sous les bombardements est devenu bien plus difficile et traumatisant au vu du nombre terrifiant de civils ukrainiens tués ou qui fuyaient ce conflit. En Syrie, les Kurdes m’ont ouvert les portes des prisons où étaient enfermés des djihadistes, j’ai également rencontré les miliciens Janjawids au Soudan, avec la crainte d’être enlevé à un moment… Pour les besoins de magazines, j’ai par ailleurs couvert aussi un tremblement de terre en Turquie, la situation des personnes en situation de handicap au Maroc… Les images de mes reportages, qui illustrent fréquemment les inégalités, l’exclusion, les conflits communautaires, sont souvent dures, brutales mais j’ai l’espoir qu’elles puissent toucher les consciences ou plus modestement servir de contre-pouvoirs.
Vous vous êtes aussi penché sur les fractures françaises et l’évolution des quartiers populaires. Qu’en retenez-vous ?
J’ai suivi les dernières élections présidentielles et rencontré des électeurs frontistes, les manifestations en lien avec l’affaire Adama Traoré, le quotidien des habitant·es de cités délaissées. J’ai eu l’impression que les gens n’arrivent plus à dialoguer entre eux, à débattre et se renferment dans leur communauté. C’est dommage car cela engendre des préjugés et de l’incompréhension. Ayant grandi dans le quartier des Mille-Mille à Aulnay-sous-Bois, j’ai aussi réalisé un ensemble de projets sur les jeunes de banlieues comme Juvenile ou Offside, un reportage-photo dédié à la Coupe d’Afrique des Nations des Banlieues chez moi à Aulnay. Très attaché à la Seine-Saint-Denis, j’ai ainsi voulu casser les clichés sur le 93 en présentant des moments heureux autour du football où les communautés ont plaisir à être ensemble. Notre territoire, le plus cosmopolite de France, est plein de paradoxes : touché par la pauvreté mais aussi par la gentrification, turbulent mais bourré d’énergie. Je réalise actuellement un reportage sur les transformations urbaines que les Jeux olympiques et paralympiques ont apportées aux banlieues nord de Paris sur le plan de l’architecture, l’aménagement… qui va sortir prochainement. Une façon de rendre un peu ce que la Seine-Saint-Denis m’a apporté et exprimer par l’image tout mon attachement à ce territoire.
Port-folio sur : www.william-keo.com
Crédit-photo : William Keo