Une expo photo qui explore les origines du hip-hop en France

- A l’été 1984, des admirateurs de la culture hip-hop américaine organisaient « Fêtes et Forts », le premier festival du genre en France au Fort d’Aubervilliers.
- Le photographe Willy Vainqueur, enfant d’Aubervilliers, y était, immortalisant alors la naissance d’un mouvement qui, 40 ans après, a infusé partout dans la société française.
- A partir du 5 avril, une quarantaine de ses photos seront visibles au tiers-lieu culturel La Cour Neuve ! installé jusqu’au 12 juillet dans le nouveau collège de La Courneuve.

Le festival Fêtes et Forts, organisé au Fort d’Aubervilliers en 1984 et 1985, peut être vu comme l’un des moments fondateurs du hip-hop en France ©Willy Vainqueur
Les jeunes virevoltent sur le dos ou effectuent des figures acrobatiques, sur fond de voitures empilées attendant d’être broyées. C’est l’été 1984, la canicule assomme Aubervilliers, mais pas ces jeunes transportés par un son et des pas de danse venus des Etats-Unis. Ambiancés par ces nouveaux rythmes, les Aktuel Force ou les 3000 City Breakers – les noms des « crews » de l’époque – enchaînent coupoles et impros au sein du Fort d’Aubervilliers, alors investi par « Fêtes et Forts », le premier festival de hip-hop en France.
A 25 ans, Willy Vainqueur, jeune photographe ayant grandi à Aubervilliers, est là pour immortaliser tout ça. « Je n’avais absolument pas conscience que c’étaient les débuts d’un mouvement qui allait perdurer jusqu’à aujourd’hui. Moi, je voulais alors juste fixer sur le papier une jeunesse qui dit « on est là », se souvient-il, 42 ans plus tard.
Sur ses clichés noir et blanc, visibles à partir du 5 avril au tiers-lieu culturel « La Cour Neuve ! » installé dans ce qui deviendra à la rentrée le nouveau collège de La Courneuve, on observe à la fois l’énergie de cette jeunesse française et son affirmation. Après tout, dans les années 80, voir des visages noirs, arabes, métissés dans les médias, ce n’est encore pas si fréquent.
« C’était à la fois des années sombres, où il y avait beaucoup de violences policières, et vibrantes parce que tout d’un coup cette jeunesse investissait l’espace public. Un an avant, il y avait eu la Marche pour l’égalité et contre le racisme. Là, en 1984, c’était moins politique, mais à travers le hip-hop, comme aux States, cette jeunesse des quartiers se prenait en main. Malgré les violences, malgré l’héro qui inondait les quartiers, elle voulait croire en un avenir. », raconte Willy Vainqueur.
H.I.P H.O.P

Quelques mois avant Fêtes et Forts, des jeunes du quartier du Franc-Moisin à Saint-Denis s’exerçaient déjà. ©Willy Vainqueur
Pendant 2 ans, à l’initiative de l’association Banlieues 89 et d’activistes comme Claude Kiavué, cette jeunesse de banlieue, rejointe par quelques Parisiens qui osent alors passer le périph, va danser, mixer, graffer, exactement comme elle le voit dans l’émission H.I.P H.O.P de Sidney, diffusée alors sur TF1 à une heure de grande écoute.
Bientôt viendront les tubes de NTM, leur miroir marseillais IAM, les battles endiablées du collectif Moov’n Aktion, jusqu’à un hip hop devenu omniprésent 40 ans plus tard, mais où la Seine-Sant-Denis arrive toujours à surnager.
Pas de gloriole pour autant chez Willy Vainqueur, ce serait mal connaître le personnage. « Ces photos-là sont constitutives de l’histoire de la culture hip-hop, mais c’est surtout ce qu’elles ont à dire aux jeunes d’aujourd’hui qui m’intéresse. Cette culture qu’ils aiment, ils savent parfois d’où elle vient parce que leurs parents leur en ont parlé. Mais parfois, il en ignorent les origines : c’est donc une manière de donner une fierté supplémentaire à ces territoires », explique le photographe. Raison pour laquelle des tables rondes accompagneront l’expo, organisées entre la jeunesse du territoire et des spécialistes du mouvement hip hop comme le cinéaste Jean-Pierre Thorn.
« Aubervilliers m’a beaucoup donné »

Le photographe Willy Vainqueur
Mine de rien, cette expo à La Courneuve est aussi une manière pour Willy Vainqueur de regarder dans le rétroviseur, après toute une carrière en Seine-Saint-Denis. « Aubervilliers m’a beaucoup donné, c’est une ville qui m’a nourri, insiste celui qui, originaire de Guadeloupe, arrive à Auber dans le milieu des années 70. Formé à la photo à l’université Paris 13, il est embauché par le service communication de la ville d’Aubervilliers début 1980. « A une époque où la banlieue était déjà beaucoup décriée, cette ville m’a nourri avec sa richesse culturelle et sa solidarité. Il faut dire qu’avec quelqu’un comme Jack Ralite (ancien maire d’Aubervilliers et ministre de la Santé puis de l’Emploi), la culture et la notion de service public n’étaient pas un vain mot. »
Le festival de jazz Banlieues Bleues, les grandes heures du Théâtre de La Commune auront rythmé la carrière de ce grand curieux, non seulement à l’écoute de la musique qu’il aime tant, mais des gens en général.
Aujourd’hui, le regard que porte Willy Vainqueur sur cette Seine-Saint-Denis qu’il a tant sillonnée est tendre et critique à la fois. « Quand on voit que le Grand Paris Express arrive enfin, ou qu’un endroit comme le Fort d’Aubervilliers abrite l’association historique Villes et Musiques du Monde, on se dit que des choses ont été bien faites. Mais quand on voit le phénomène de gentrification à l’œuvre en Seine-Saint-Denis en ce moment, on se dit qu’il faut continuer le combat », dit-il de sa voix douce.
A partir du 5 avril, l’expo Fêtes et Forts est en tout cas un bon moyen pour replonger dans la banlieue des années 80 et dans les débuts d’un mouvement que personne n’imaginait aussi puissant.
Christophe Lehousse
Photos: ©Willy Vainqueur