Un ouvrage sur la Guerre d’Algérie présenté aux Archives départementales

Un ouvrage sur la Guerre d’Algérie présenté aux Archives départementales
Table ronde
  • Mardi 22 octobre, « Algérie. La Guerre prise de vues », un ouvrage collectant les recherches d’une vingtaine d’historien·nes autour de photos, pour certaines inédites, de la Guerre d’Algérie, a été présenté aux Archives départementales de la Seine-Saint-Denis.
  • Deux historiennes, Marie Chominot, à l'initiative de ce travail, et Raphaëlle Branche, qui y a participé, ont exposé leurs recherches.
  • L’événement avait été pensé en hommage à la journée du 17 octobre 1961, jour où 200 Algérien·nes furent tué·es par la police française en plein Paris, et dont la mémoire affleure lentement dans le discours officiel.

Remonter l’histoire d’une photo. C’est la formule qu’ont proposée Marie Chominot et Sébastien Ledoux à une vingtaine de leurs collègues historien·nes pour aboutir à « Algérie. La Guerre prise de vues », ouvrage sorti récemment et présenté mardi 22 octobre aux Archives départementales de Bobigny.

Pour documenter la mémoire de cette guerre décoloniale qui, de 1954 à 1962, fit entre 300 000 et 500 000 mort·es côté indépendantistes algérien·nes et 25 000 morts côté armée française, tout comme des millions de déplacé·es, Marie Chominot, spécialiste de l’image et productrice d’expositions pour l’Institut du Monde Arabe, a choisi de prolonger un projet d’abord lancé sur Internet qui s’était montré concluant.

« La chambre noire de l’Histoire avait pour but d’explorer un pan de l’Histoire en remontant l’histoire d’une photo. Le procédé est en effet très fertile : une photo pose beaucoup de questions, au-delà de qui y figure. Qui la prend ? Dans quel but ? Comment est-elle conservée ? La saison consacrée à la Guerre d’Algérie a tellement bien marché qu’on a décidé de prolonger le concept en réalisant un ouvrage », détaille Marie Chominot.

La famille Kitouni, à Aïn Kerma (Algérie), au printemps 1956 (fonds privé famille Kitouni).

Celle qui a justement mené sa thèse sur les pratiques et les usages de la photo dans la Guerre d’indépendance algérienne a prêché par l’exemple en ouvrant le recueil de « Algérie. La Guerre prise de vues ».

La photo qu’elle a choisi d’étudier montre la famille Kitouni, une famille de Constantine dont le père, Abdelmalek, commandant local de l’Armée de Libération Nationale, a pris le maquis en 1956. Sur le cliché, le père pose fièrement aux côtés de sa femme Djouhra, de leurs deux fils et leurs deux filles. Dans les bras d’un de leurs fils, Hosni, une mitrailleuse, et devant eux : un poste de radio et une sacoche. « C’est une photo destinée à montrer que la résistance indépendantiste était elle aussi structurée et qui répond quelque part aux photos de l’Armée française, détaille Marie Chominot. Avant de poursuivre : « Mais il y a un paradoxe : au même moment circulent des directives du FLN selon lesquelles il ne faut surtout pas se prendre en photo avec sa famille, parce que cela peut les mettre en danger. Les archives des bureaux de renseignement de l’Armée française de cette époque sont en effet pleines d’images de maquis qui avaient été interceptées.»

Certaines photos inédites

Un an et demi après cette photo, Abdelmalek Kitouni sera tué dans le maquis. L’image, restée enfouie dans les affaires personnelles de la famille, ne refera surface que bien plus tard, transmise par Hosni, devenu lui-même historien, à Marie Chominot pour ses recherches.

Structuré en 4 chapitres, l’ouvrage explore via les photos bien d’autres aspects de la Guerre d’Algérie : la vie quotidienne, le sort des harkis, l’annonce de l’indépendance algérienne en mars 1962, mais aussi la torture, longtemps cachée par l’Armée française et « dont l’usage ne fait aujourd’hui plus aucun doute » selon Raphaëlle Branche, autre chercheuse invitée ce soir-là.

L’historienne, connue pour ses multiples travaux et documentaires sur la mémoire intime de la Guerre d’Algérie chez les appelés du contingent et leurs familles, a elle choisi de travailler sur une série de 6 photos d’un reporter de guerre documentant une scène de torture à l’hiver 1956-57 en Kabylie. Preuve qu’une chape de plomb pèse toujours sur ces sujets, elle n’a toutefois pas eu l’autorisation des ayants droit de les reproduire et se voit donc contrainte dans l’ouvrage de les décrire longuement.

Animée par l’historien Tangui Perron, la soirée s’est achevée par la rediffusion du premier sujet connu de Journal télévisé revenant sur la nuit du 17 octobre 1961. Au cours de cette nuit dramatique, des milliers d’Algérien·nes avaient répondu à l’appel de la Fédération de France du FLN à venir manifester dans les rues de Paris contre un couvre-feu qui était alors imposé par l’État français aux Algérien·nes de France. Un mouvement pacifique brutalement réprimé par la police française du préfet Maurice Papon qui devait causer 200 mort·es et des centaines de blessé·es. Très longtemps, jusqu’aux travaux de l’historien Jean-Luc Einaudi, la thèse officielle des événements de cette nuit devait toutefois se résumer à 2 morts. La diffusion d’un sujet réalisé par Marcel Trillat en octobre 1981- soit vingt ans après les faits – est le premier sujet journalistique revenant de façon sérieuse sur les faits survenus cette nuit-là.

Ce n’est qu’2012 que le président de la République François Hollande devait ensuite reconnaître officiellement la « sanglante répression » par la police française contre les Algérien·nes cette nuit-là. Avant qu’en 2024, l’Assemblée nationale ne vote un souhait demandant au gouvernement de d’instaurer une journée commémorative de ce massacre.

Christophe Lehousse

– Algérie. La Guerre prise de vues, sous la direction de Marie Chominot et Sébastien Ledoux, CNRS éditions, 26 euros

Papa, qu’as-tu fait en Algérie? Enquête sur un silence familial, de Raphaëlle Branche (La Découverte, 2022)

– En guerres(s) pour l’Algérie, documentaire de Raphaëlle Branche et Rafael Lewandowski (retranscription chez Taillandier, 2022)

 

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Le 17 octobre 1961, la police française a réprimé dans le sang une manifestation pacifique d’Algériens mobilisés contre la restriction de leurs droits fondamentaux. Fatima Bédar, une jeune fille de Stains, a été assassinée ce soir-là.

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