Trois centres dramatiques nationaux, trois sensibilités(1)
![Trois centres dramatiques nationaux, trois sensibilités(1)](https://seinesaintdenis.fr/actualite/wp-content/uploads/2025/02/pauline-bayle-1.jpg)
- La Seine-Saint-Denis est le seul département à compter sur son territoire 3 centres dramatiques nationaux, soutenus par l'Etat et par le Département.
- Théâtre Gérard-Philipe à Saint-Denis, Théâtre de la Commune à Aubervilliers et Théâtre public de Montreuil représentent autant de chances pour les artistes et les spectatrice·eurs.
- Leurs directrices et directeurs nous les présentent. Première de la série, Pauline Bayle, du Théâtre public de Montreuil.
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Lorsqu’on apprend sa nomination à la direction d’un centre dramatique national, qu’est-ce qu’on se dit ?
J’avais beaucoup travaillé pour l’oral, mais je ne m’étais pas projetée dans l’après. J’ai tout d’abord été cueillie puis très heureuse avec en même temps une appréhension, une responsabilité. Celle d’être à la hauteur du cadeau qui m’était fait.
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Ce théâtre, est-ce un bel outil ? Pourquoi ?
C’est un magnifique outil pour plein de raisons. La première c’est qu’il est à Montreuil, une ville géniale. Une ville avec une jeunesse, une dynamique, un maillage associatif culturel vivant avec une hétérogénéité et un hétéroclisme de la population précieux. Il y a à la fois beaucoup, beaucoup d’intermittents du spectacle qui y vivent, tout comme une communauté malienne, telle qu’on dit de Montreuil qu’elle est la deuxième ville du Mali après Bamako. Cela crée une immense richesse culturelle. La deuxième, c’est le lieu lui-même avec des salles de 350 et 150 places, une équipe de 25 personnes, donc relativement réduite. Je n’y sens pas la lourdeur de l’institution et nous sommes suffisamment petits pour être réactifs et véloces. Je suis persuadée que cette échelle humaine est très propice au théâtre qui est un art artisanal.
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Qu’est-ce qui vous fait dire « ce spectacle, j’ai envie de le programmer ? »
La condition sine qua non c’est que ce soit un spectacle qui s’adresse à la fois à nos émotions et à notre raison. Si les deux sont touchés cela déclenche tout de suite l’envie d’inviter l’artiste. C’est la première condition, mais elle n’est malheureusement pas suffisante car une saison théâtrale est un regard subjectif que l’on pose sur le monde, fait d’une multiplicité de facettes. Surtout avec la diversité des formes de l’art vivant aujourd’hui, l’hybridation entre le théâtre, la danse, la musique. Une saison, c’est un voyage dans lequel on ne va pas inviter 15 spectacles documentaires ou 15 classiques, ou 15… Il faut une diversité de formes en revanche toutes unies par des valeurs communes que ce soit la porosité au monde contemporain et aux grandes questions qui traversent notre époque, mais tout en offrant des spectacles fédérateurs. Qu’ils parlent à tout un chacun sans avoir besoin d’un doctorat en dramaturgie pour comprendre. C’est un exercice complexe mais qui est passionnant !
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Quelle est votre méthode pour aller au-devant des publics ?
Un théâtre c’est un intermédiaire entre des œuvres, des artistes d’un côté et des publics. Cela peut passer par des ateliers comme ceux menés chez par Alice Zeniter dont on joue le spectacle. Nous cherchons à établir des liens forts comme ces dîners que nous nommons La tablée des artistes où le public rencontre les équipes d’un spectacle, ou bien les adelphes où un groupe de jeunes est associé à la vie du théâtre durant toute une saison pour qu’ils s’immergent dans ce qu’est la vie d’une maison dédiée à la création. Il n’y a pas vraiment de méthode mais le désir de mettre en partage la création sous ces formes et d’être créative à ce propos. Aller vers, c’est un aspect important de mon projet avec un théâtre itinérant, une troisième salle qui se promène un peu partout dans Montreuil. Cette idée d’aller vers est essentielle dans la continuité de la décentralisation théâtrale. C’est effectivement génial d’avoir des spectacles dans nos murs, mais dans le fait de défendre un spectacle en dehors de nos salles, il y a quelque chose d’un pari à la fois artistique politique : créer de nouveaux espaces de poésie dans la réalité et permettre à des personnes qui ne pousseraient jamais la porte de nos institutions d’être en contact avec l’art et la création.
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Votre rôle c’est aussi de créer des spectacles. Qu’est-ce qui vous donne envie de monter une pièce ? Un texte, un fait de société, un témoignage ?
Je suis toujours dans une nécessité intime de dire quelque chose avec d’autres mots que les miens. Un thème, une question que je ressens très fort, qui m’habite, qui m’obsède en fait ! Je suis très obsessionnelle comme beaucoup d’artistes, et cela devient une nécessité de le mettre en partage avec d’autres. Ensuite je passe à une autre obsession. La mise en scène est pour moi une manière de prendre la parole. Il y a toujours un rapport au texte, aux histoires, à la fiction qui pour moi a toujours été un refuge, quelque chose qui a façonné mon rapport au monde et qui l’a nourri. Ce détour par l’imaginaire est pour moi fondamental pour comprendre ce que je ressens. A partir de ce moment je me dis qu’il serait intéressant de mettre cette fiction en partage avec d’autres que moi, que cela fera écho en eux.
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Depuis votre arrivée, avez-vous eu de bonnes surprises ?
Oui, plein ! La première qui me vient c’est l’équipe et les relations avec les artistes que j’ai petit à petit créées. Ces dialogues avec des artistes qui viennent travailler dans nos murs, suivre de près leur processus de création… Tout n’est pas paillettes, licornes et bisounours, mais dans le monde où nous vivons, ça me donne le moral de venir tous les jours à de travailler à Montreuil et de voir que cette réalité-là est possible, elle existe !
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Qu’est-ce qui vous guidera dans la construction de votre prochaine saison ?
Une idée qui m’est revenue est d’agir non pas en en vue d’un futur hypothétique mais plutôt pour soigner notre présent. Cela passe par la parité, la diversité, mais aussi confier nos maux à nos imaginaires, se dire qu’on ne va pas sauver le monde mais qu’il est tout de même possible de créer des espaces de beauté, quel que soit l’état du monde, même si c’est de la contemplation vigoureuse, même si c’est de la contemplation saisissante.
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Avez-vous un rêve avec ce théâtre ?
Vous me prenez de court ! Le théâtre, en fait, c’est un rêve qui devient réalité, ce n’est que ça ! C’est un voyage qui part du rêve, qui parle de l’abstraction, du non palpable et qui ensuite s’inscrit dans la plus tangible des réalités, sur scène. Si j’avais un rêve, ce serait de faire s’épanouir cet outil. De puiser dans son humilité, car nous n’avons que 350 places, nous ne ferons jamais des millions de vues, mais de revendiquer cela et de provoquer un impact. Et ça, ça compte.
Photo une : Julien Pébrel