Stéphane Bak, un petit gars du Blanc-Mesnil
Originaire du Blanc-Mesnil, ce comédien a su provoquer la chance très tôt en perçant dans le stand up avant sa majorité. Après avoir joué chez Guédiguian ou Wes Anderson, il est à l’affiche d’« Un petit frère », très beau portrait de famille de Léonor Serraille, qui sort en salles le 1er février.
Dans « Un petit frère », film très touchant de Léonor Serraille, il est Jean, fils de Rose, maman solo originaire de Côte d’Ivoire venue s’installer en France avec ses deux enfants. Portrait en trois parties d’une famille à la fois africaine et française, cette œuvre, d’une justesse de ton assez bluffante, explore les défis et les rêves d’une France de l’immigration.
« Ce qui m’a attiré dans le rôle de Jean, c’est la complexité du personnage : à la fois plein d’espoir et en même temps traversé par des fêlures », explique Stéphane Bak à propos de son personnage, jeune homme brillant mais petit à petit miné par la pression que lui-même et la société lui mettent sur les épaules pour réussir mieux que les autres, lui le fils d’immigré.
Pour jouer ce rôle, l’enfant du Blanc-Mesnil, qui a grandi jusqu’à ses 21 ans au Blanc-Mesnil, cité des Tilleuls, dit être allé chercher des choses dans son histoire personnelle : « Ma mère est arrivée en France dans les années 80. Comme Rose, elle a fait les ménages dans les hôtels et j’ai donc pu puiser dans ces souvenirs là. Et comme Jean, j’ai pu me mettre une certaine pression en ayant le souci de bien faire. J’ai en effet arrêté l’école très tôt parce que j’avais une grosse envie de rentrer dans la vie active en tentant des trucs, en m’exprimant. Du coup, je me disais qu’il ne fallait pas que je me loupe… », rigole Stéphane Bak.
A 13 ans, le gamin qui s’ennuyait un peu au collège Nelson-Mandela du Blanc-Mesnil fait en effet l’école buissonnière jusqu’aux Grands Boulevards parisiens. Objet de son désir : les théâtres de stand up. « Quand j’y repense aujourd’hui, j’ai pris des risques. Mais ça m’a donné une ouverture incroyable. Le Blanc Mesnil, ça a aiguisé ma curiosité et mon sens de l’humour, des situations cocasses. Paris, c’était le frisson, la nouveauté, la scène… » Très vite, aidé par le producteur Emmanuel Smadja, ce sera le Pranzo, le Trévise ou encore le Paname, où Stéphane Bak exerce son art de la vanne. « J’ai toujours aimé ça : un homme, un micro et le défi de faire rire toutes les 20 secondes. Et puis, quand j’étais jeune, malheureusement, il était dur de voir des visages qui nous ressemblaient dans le milieu culturel. Il fallait pour ça qu’on allume la télé, dans les émissions de Jamel ou Ruquier », se souvient le comédien.
Aujourd’hui, ça va mieux, toujours à en croire l’intéressé. « Je ne donnerais pas encore un 18 sur 20 au cinéma français, mais on se porte déjà mieux qu’il y a quelques années », dit celui qui a aimé jouer des rôles non stéréotypés comme dans « Tokyo Shaking », sur le tsunami à Fukushima avec Karin Viard ou bien plus tôt dans « Les héritiers », film sur des lycéens d’un quartier populaire participant au Concours national de la Résistance.
« En même temps, je recherche aussi de plus en plus de rôles où je peux revendiquer mon africanité », continue-t-il. Dans « Twist à Bamako », le magnifique film de Robert Guédiguian, Stéphane Bak campe ainsi un révolutionnaire socialiste dans le Mali des années 60 et dans « La Miséricorde de la Jungle », de Joël Karekezi, il joue un soldat rwandais.
En 2023, Stéphane Bak espère d’ailleurs pouvoir faire le grand voyage qui l’attire depuis longtemps : aller au Congo, en compagnie de ses parents, tous deux originaires de la République démocratique. « J’en rêve, ce serait un moment vraiment fort », se projette celui que l’instabilité du pays a pour l’instant dissuadé de mener à bien ce projet.
Aujourd’hui par monts et par vaux, Stéphane Bak revient toutefois régulièrement au Blanc-Mesnil, pour y voir ses potes. « Certains sont dans la finance, la musique, les livraisons, il y a de tout. » Preuve, une fois de plus, de la bêtise de cette étiquette de « jeune de banlieue », à laquelle collent tant de clichés.
« Que voulez-vous y faire ? La vieille dame qu’est la France mérite parfois d’être un peu secouée dans ses préjugés, mais il ne faut pas s’attarder sur ça, il faut juste faire », lâche celui qui se dit extrêmement fier d’avoir présenté « Twist à Bamako » un peu partout ou d’avoir été en compétition officielle à Cannes avec « Un petit frère ». « A chaque présentation, je me rappelle que je suis ce petit gars du Blanc-Mesnil, qui en représente plein d’autres. », souffle-t-il.
Christophe Lehousse
photos : ©Magali Bragard,Blue Monday Productions
et Sipa Press
Un petit frère, grand film
Rose (magnifique Annabelle Lengronne), mère courage fraîchement arrivée de Côte d’Ivoire, se bat pour élever ses deux fils Jean et Ernest. L’aîné absorbe toute la pression sociale qui pèse sur ses épaules, lui qui à sa mère ne cesse de répéter qu’en tant que fils d’immigré, il doit en faire deux fois plus que les autres. Le cadet, joué dans un magnifique contre-emploi par Ahmed Sylla, grandit lui dans l’ombre protectrice de ce grand frère. Structuré en trois tableaux pour chacun des personnages, ce magnifique portrait de famille a le mérite de prendre le temps. De filmer les visages et les émotions au plus près, de raconter le passage de l’âge d’enfant vers celui d’adulte. Loin des éclats médiatiques ou de la recherche d’un héroïsme de pacotille, il célèbre des vies simples mais belles.