Rémy Chevillard, « Sauver le monde par la poésie »

Rémy Chevillard, « Sauver le monde par la poésie »
Portrait
  • Comédien, musicien, régisseur au théâtre du Colombier à Bagnolet, mais aussi metteur en scène, Rémy Chevillard a plus d'une corde à son arc.
  • A 6 ans, lors d'une colonie de vacances, il découvre les instruments de musique et depuis ne lâche plus son saxophone. En découvrant le théâtre, il décide adolescent d'en faire son métier.
  • Metteur en scène, il a déjà monté trois spectacles, dont le Stabat Mater Furiosa primé lors d'un festival de théâtre amateur.

Ce soir-là, le plateau dépouillé du théâtre du Colombier à Bagnolet fait place à la poésie. Dans une atmosphère de cabaret, à la fois convivial et intimiste, sont disposées des tables sur lesquelles reposent des recueils de poésie, empilés les uns sur les autres. C’est dans cette ambiance feutrée et propice à l’écoute, que Rémy Chevillard, jeune homme de 39 ans à l’allure juvénile et pas avare de sourires, va nous emmener faire avec lui un « Voyage en poésie ». Le théâtre du Colombier, il connaît bien, et même très bien. « Je suis le régisseur de la Compagnie Langaja Groupement – la compagnie qui dirige le Colombier – depuis 5 ans. J’en suis le créateur lumière et j’assure avec deux autres intermittents la régie. » En tant que régisseur général d’accueil, il a la tâche essentielle d’accueillir les compagnies qui vont s’y produire. Avec l’équipe technique de chacune de celles-ci, il aura à mettre en place tous les éléments nécessaires afin qu’elles puissent évoluer et travailler dans les meilleures conditions. Plans de feu, c’est-à-dire l’installation des projecteurs pour éclairer le spectacle, montage des décors, mais aussi, une fois le spectacle terminé, le démontage et la remise en état de la salle. Ne rien oublier. Intermittent du spectacle, Rémy collabore également avec la compagnie Okto, en résidence au théâtre du Pavillon à Romainville et la compagnie « Tout le monde dehors ! » à Pantin.

Ce soir-là donc, le régisseur du théâtre va se produire dans un seul-en-scène, car ayant plusieurs casquettes à son actif, c’est celle de comédien qu’il va porter. « J’ai fait du théâtre en amateur tout jeune enfant, et à la fin de mes études supérieures, j’ai enchaîné avec une formation en trois ans à l’école Claude Mathieu, une formation professionnalisante de comédien. » L’enseignement de Claude Mathieu « se fonde avant tout sur la personnalité de chaque apprenti-comédien qui possède en lui un univers et un talent que nous allons chercher et travailler ensemble durant toute la formation », écrivait-il, lui qui dirigea Samy Frey, Popeck, et eut comme élèves, entre autres, Gilles Segal, Marthe Villalonga ou Philippe Adrien. A la sortie de l’école, Rémy Chevillard monte ses deux premiers spectacles en 2012 et 2013 autour du répertoire poétique de Victor Hugo qu’il élargit ensuite à tout le XIXe siècle en y mêlant musique et poésie.

Voyage en poésie

Ce soir-là donc, Rémy Chevillard nous régale de quelques grands poèmes du répertoire français, nourri de son amour des mots, de la langue et des beaux textes en les introduisant, non pas d’une explication ou d’une analyse, mais en racontant « un autour » de chaque texte. « Le texte résonnera autrement, dit-il, non pas si je l’explique, mais si je raconte dans quelles conditions, moi, je l’ai rencontré. C’est de là qu’est née l’envie de ce spectacle. »

Son intérêt pour la poésie est le fruit des nombreuses rencontres qu’il a pu faire. Il a baigné tout enfant – merci papa, merci maman – dans la chanson française à texte, celles de Brassens, Brel, Moustaki, Le Forestier, Nougaro… « Non seulement, on en écoutait à la maison, mais à 7, 8 ans je connaissais leurs chansons. Et petit à petit, j’ai eu cette capacité à retenir les paroles de celles qui me plaisaient. » Une autre rencontre déterminante fut celle avec Monsieur Châtelain, qu’il ne manque pas d’évoquer dans son seul-en-scène. « C’était un professeur extraordinaire ! Un ogre de littérature qui récitait par cœur aussi bien des poèmes que des pages entières de textes théoriques ou de romans. » Quant à Claude Mathieu, chez qui il a effectué son apprentissage de comédien, grand amoureux de poésie, il invitait ses élèves à en lire et à en dire.

Rémy l’affirme : « La poésie et les vers sont écrits pour être retenus. La rythmique de la langue aide à la mémorisation et à l’apprentissage. Et souvent, la poésie est quand même écrite pour être dite. » Cela paraît tellement simple ! Mais la préparation d’un spectacle demande beaucoup de temps et notre comédien, dans ses trajets pédestres entre son domicile à Montreuil et le théâtre à Bagnolet, arpente les rues en se récitant du Victor Hugo, du Guillaume Apollinaire, de l’Aragon ou des textes de chanson de Loïc Lantoine ou Georges Moustaki.

Multi-instrumentiste

Des comédiens-musiciens, il en existe, mais pas tant que ça. Ce touche-à-tout en fait partie ! « Quand j’ai eu 6 ans, je suis parti en colo de vacances à Autrans pour un séjour « Cirque et musique ». Et je suis tombé secrètement amoureux d’une clarinettiste qui avait 5 ans de plus que moi. Durant tout le séjour, elle n’a pas daigné jeter le moindre regard sur moi ! » Une fois rentré, l’amoureux transi annonce qu’il veut jouer de la clarinette… Pas de cours de clarinette mais la possibilité de toucher au saxophone, petit frère de la clarinette au niveau instrumental et technique. Rémy opte pour un essai et adopte très vite l’instrument. C’est à 19 ans, qu’il acquiert enfin une clarinette d’occasion dans une brocante et depuis, il joue des deux instruments. « Il arrive régulièrement que des compagnies cherchent des comédiens qui soient également musiciens. » C’est ainsi qu’on fait appel à lui pour un premier spectacle, « Ecran », joué en milieu scolaire sur les risques liés aux nouvelles technologies. Avec la compagnie « Tout le monde dehors ! », rencontrée il y a une douzaine d’années, il est tout à la fois comédien et musicien. « Dans la dernière création « Roméo et Juliette on the dancefloor », je joue du saxo, mais j’ai composé également trois morceaux de musique. » Cette compagnie, basée à Pantin, se donne pour objectif de faire connaître au plus grand nombre, souvent dans les lieux ouverts comme la rue, le théâtre classique : Racine, Corneille, Shakespeare… Parfois, on lui demande d’assurer les lumières alors qu’il joue en plateau ! « Il se trouve que les technologies de la lumière évoluant, on peut assurer désormais la régie à partir d’un simple ordinateur voire d’un téléphone portable, comme relais de l’outil informatique. » Avec son téléphone arrimé à son bras, ayant au préalable encodé tout le spectacle sur son ordinateur, son portable lui sert alors de relais et ordonne les changements de lumière à l’ordinateur. Et notre comédien pendant ce temps-là, comme si de rien n’était, évolue sur le plateau avec ses camarades de jeu…

Vivre et travailler en Seine-Saint-Denis

Aujourd’hui, Rémy Chevillard, tout en assurant sa mission au théâtre du Colombier, tourne avec Roméo et Juliette. C’est en mode bal populaire, en faisant danser le public et en ponctuant le tout de digressions sur l’amour à partir des premiers émois amoureux, que cette relecture de Shakespeare se déroule. Cette rencontre inattendue entre le théâtre classique et la danse, le texte et la musique, le public et les acteurs, est l’occasion à chaque représentation de passer une play-list allant de Piaf à Brel, en passant par Stromae, Django Reinhardt et Eminem. Autant dire que le public ravi, joue le jeu à fond et à l’issue de la représentation, les yeux brillent. Un autre spectacle, – créé en 2018 – dont la mise en scène a également été assurée par lui, continue son petit bonhomme de chemin en France, en Suisse et en Belgique. A partir d’un monologue écrit par Jean-Pierre Siméon, « Stabat Mater Furiosa », le metteur en scène l’a découpé pour en faire un chœur de sept femmes, représentant toutes les femmes du monde depuis la nuit des temps. Sept femmes, – filles, sœurs, mères, épouses, amantes– se tiennent debout pour nous dire leur colère face aux hommes en armes qui n’ont pour argument que la violence et la mort. Ce spectacle, chorégraphié en hommage à Pina Bausch, est porté par l’Atelier Acte II basé à Coye-la-Forêt (Oise). C’est peu dire, par les temps qui courent, qu’il résonne avec force auprès des spectateurs. Primé lors d’un festival de théâtre amateur à Tours, il a reçu la reconnaissance des milieux professionnels pour sa qualité de jeu et de mise en scène.

Installé depuis une dizaine d’années à Montreuil où ses deux enfants sont scolarisés, Rémy a la chance de se rendre à son travail à pied ou en vélo. « La Seine-Saint-Denis n’est pas qu’une banlieue, assure-t-il. Elle a acquis complètement son autonomie. » Homme de spectacle, il souligne l’importance du réseau de cinémas qui irriguent le département. Partagé entre le Méliès à Montreuil, et le Cin’Hoche à Bagnolet, il a le choix ! « Quant au théâtre, entre la MC93, le TPM de Montreuil et bien d’autres salles, en tant que professionnel, Paris n’est plus du tout mon centre. J’ai trouvé à m’épanouir complètement ici ! » A son tour, affaire de transmission familiale, Rémy continue à chanter des chansons du répertoire français à ses enfants, et lui à qui son père a lu les Trois Mousquetaires et bien d’autres classiques, reprend le flambeau auprès de Mathilde et Arthur. « C’est quelque chose que j’ai conservé, avec beaucoup d’amour, de mon enfance et que j’essaye, à mon tour de retransmettre à mes enfants.»

Claude Bardavid

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