Quand la musique rencontre le végétal

- Inutile de chercher ses œuvres sur Deezer ou Spotify. Nicolas Frize n’a souhaité enregistrer aucune de ses plus de 130 oeuvres.
- Il s’installe le 24 mai au parc départemental du Sausset pour créer une œuvre participative au service du végétal.
Le parc du Sausset, c’est un parc que vous avez choisi ?
J’ai fait le tour de tous les espaces verts du Département. J’avais envie d’une forêt, protégée comme celle-ci (classée Natura 2000). Il n’est pas autorisé de s’y promener partout, en dehors des sentiers. Ce qui est très bien. Dès que l’homme apparaît, il piétine, ne se rend pas compte, fait n’importe quoi. Du coup, les animaux ne nidifient plus… ils vont ailleurs. Ce n’est pas très compatible.
Dans ce parc, le Département a fait le choix de diviser les espaces, la biodiversité dans la forêt. Ailleurs, il a créé des espaces d’agrément, réservés précisément aux visiteurs. Ce sont de grandes pelouses, on peut marcher, s’y allonger. Plus loin, il y a aussi un bocage, avec des haies, des animaux. Et toute une activité agricole avec un maraîcher, un vigneron, un apiculteur, une pépinière. Cette forêt, protégée, est certes modeste mais très riche et intéressante. Il y a beaucoup d’espèces rares, des écureuils, des renards, des éperviers, des boucs. C’est un endroit qui commence à construire son univers sauvage. Sa gestion y contribue.
Qu’avez-vous appris de cette résidence ?
Pour moi, un champignon, c’était ce que je mettais dans mon omelette ! Et j’apprends que ce qu’on mange n’est que la partie reproductrice du champignon, que les champignons sont en fait des filaments de plusieurs dizaines ou centaines de mètres qui relient toutes les racines entre elles. Un rhizome incroyable et très beau. Pourquoi ne le sait-on pas ? Et comment pourrais-je le traduire en musique ?
Quels thèmes allez-vous aborder ?
La présence des champignons mycorhiziens justement. Ce qui se passe sous la terre. Le rapport à l’énergie solaire. La façon dont les arbres sont en dynamique constante… Toute la musique est concentrée sur le comportement de certains végétaux. On est tous intéressés par les animaux mais on s’intéresse peu aux plantes. Personne ne sait vraiment distinguer les essences d’arbre, comment ils se développent. On est d’une incroyable cécité.
Votre objectif est de nous ouvrir les yeux sur le végétal qui nous entoure ?
Oui, et au-delà ; c’est important de mettre en valeur les efforts du Département en direction des espaces verts. Le Sausset a été un parc entièrement créé il y a 50 ans par le Département. Ces terrains auraient très bien pu partir à la spéculation immobilière. Décider d’inventer ce parc est une volonté forte et exemplaire.
J’ai aussi voulu me mettre au service de sa population qui fréquente ce lieu au quotidien. Les habitants d’Aulnay ou de Villepinte ne sont ni des notaires, ni des médecins, ni des chercheurs, ni mêmes des étudiants. Ce sont vraiment les gens qui habitent à côté du Sausset, qui utilisent le parc pour pique-niquer, se promener et se détendre, s’échappant aussi peut-être aux contraintes de leurs logements.
Être en résidence au Parc du Sausset cela signifie que vous y passez du temps ?
Une des premières demandes que je formule quand je commence une résidence, c’est de pouvoir disposer d’un bureau. Il y a le bureau des gardes, des techniciens, de la secrétaire et puis il y a un compositeur, qui arrive dans un lieu où il n’a rien à faire a priori. Dans l’usine PSA de Saint-Ouen, où j’étais en résidence, il y avait les bureaux du directeur commercial, celui des ressources humaines, ceux des syndicats… et celui du compositeur. Et c’était pareil à l’hôpital. Je trouve important qu’il y ait une implantation, où on peut venir me voir jusqu’au 24 mai.
Qu’avez-vous appris des gardiens de ce parc ?
J’ai appris à quoi ils étaient confrontés tous les jours en tant qu’écogardes. La population qui fréquente le parc est à la fois formidable, inventive mais parfois renversante de provocation, notamment par rapport aux déchets. Les écogardes sont pédagogues, savent comment s’y prendre, patients avec les enfants, très doux et bienveillants avec les usagers. Ils sont habillés en beige, comme des arbres mobiles !
Qu’entendez-vous par la population est inventive ?
Les gens découvrent des endroits où se mettre pour lire, pour s’aimer, pour ne rien faire, pour rêver, pour manger, organiser un pique-nique… certains y font des gigantesques à 30-40 personnes à l’occasion d’anniversaires, de mariages, avec toute la famille. Quand vous n’avez pas beaucoup de sous, plutôt que d’aller louer une salle, vous invitez tous vos amis à venir dans le parc et vous faites la fête. Les écogardes me racontent tout ça, me montrent les beaux endroits.
Le parc est géré par une équipe scientifique, un directeur et deux techniciens. Ils font appel à des cabinets d’étude extérieurs. Ils font des relevés, des veilles sur les animaux, posent des capteurs. Ils sont en lien avec des spécialistes de la forêt, des spécialistes des oiseaux, des spécialistes du climat. Personne ne se rend compte qu’une forêt est un vrai laboratoire scientifique. C’est un lieu savant.
Il y a ainsi trois entités professionnelles dans le parc : les responsables de la gestion scientifique, très concentrés sur la végétation et la compréhension de son évolution…, l’équipe des éco-gardes qui sont sur l’accompagnement des usagers, le conseil, la surveillance… et l’équipe culturelle, qui se préoccupe des publics potentiels, des actions de valorisation, des fêtes, de la promotion du site…
De quelle manière avez-vous associé les habitants à ce projet ?
J’ai invité plus de 50 élèves des conservatoires d’Aulnay, de Paris et d’Aubervilliers, plus d’une centaine de collégiens et de lycéens, du Bourget, d’Aulnay, de Saint-Denis, de Gonesse. Ils ont tous travaillé à des réalisations qui seront visibles aux concerts. Le projet agrège beaucoup de jeunes.
Vous leur avez fait écouter votre musique ?
On a fait des ateliers plus axés sur le végétal avec des professeurs de SVT et d’arts plastiques. Les élèves vont découvrir la musique au concert. Ce sera la traduction musicale de tous leurs travaux et toutes leurs réflexions.
Vous allez même offrir des cadeaux au public. Pour quelles raisons ?
Le public reçoit un tote-bag au départ, qui contient le programme de la déambulation.
Et pour stimuler un peu son imaginaire des reproductions de peintres, de photographes. Pour le public, il s’agit d’une expérience multisensorielle, aussi interdisciplinaire qu’inattendue.
Après avoir suivi la classe de composition de Pierre Schaeffer au Conservatoire de Paris, Nicolas Frize devient l’assistant de John Cage à New York dans le cadre d’une bourse « Villa Médicis hors les murs ».
John Cage aurait-il aimé cette œuvre ? La participation du public ? le lien à la nature, lui, qui était un grand mycologue ?
L’aspect mycologique, c’est sûr qu’il en aurait été ravi. L’aspect déambulatoire, en tout cas l’expérience collective, il aurait sans aucun doute apprécié. Dans la musique, il y a des choses assez proches de lui, comme par exemple, la partie pour percussions qui est assez aléatoire, très réinventée dans l’instant, appelant la spontanéité ou la subjectivité des interprètes. Les parties électroacoustiques sont dans la tradition des recherches de Schaeffer. Très concrètes, avec des sons qui sortent du sol, comme si je faisais parler des acariens, des bactéries, des vers de terre et des millepattes. En revanche, d’autres parties très écrites, plus classiques, leur seraient étrangères à tous les deux.