Quand Babcock se réinvente
- Après avoir employé des milliers d’ouvriers durant plus d’un siècle à La Courneuve, les usines Babcock et Wilcox sont aujourd’hui en réhabilitation.
- La Fabrique des Cultures, un projet mêlant tiers-lieu culturel et logements, doit émerger sur cet ancien site de fabrication de chaudières industrielles.
- Mais ce lieu historique - et les magnifiques graffitis qu’il contient - peuvent être explorés dès maintenant, au cours de visites guidées organisées toutes les semaines, jusqu’en octobre.
« Regardez cette fresque là, qui représente des tirailleurs sénégalais, je la trouve magnifique » Elisabeth ne se lasse pas de regarder les quelque 50 graffs qui tapissent les murs d’une des halles des anciennes usines Babcock. Ce n’est pourtant pas la première fois que cette habitante de La Courneuve vient admirer ces œuvres, comme en attestent les dizaines de photos qu’elle a sur son téléphone portable. Mais cette quinqua, fan de street-art, n’a pas hésité à se joindre à une nouvelle visite organisée ce vendredi dans le cadre du festival de musique Métis.
Toutes les semaines, l’association ExploreParis propose en effet des visites d’une des halles de Babcock, décorées de graffs somptueux qui en font un petit musée d’art urbain. « A partir de 2020, trois graffeurs Zkor, Sto et Namaste ont investi secrètement les lieux, profitant de la confusion créée par le Covid. Pendant 3 ans, ils ont ensuite invité jusqu’à 130 graffeurs à se joindre à eux pour créer. Il n’y avait pas de consignes particulières. Juste un petit défi : respecter un code couleur rouge, noir, blanc », expose Thomasine Zoler, historienne de l’art et guide conférencière.
Et effectivement, on ne sait pas ce qui impressionne le plus, entre ces graffs qui jouent avec le décor et ces immenses halles et leurs voûtes en béton. L’espace d’un instant, on imagine les immenses machines d’où sortaient des chaudières industrielles vendues dans le monde entier. Ici, de 1898 à 2012, des milliers d’ouvriers auront foulé ce sol en béton, avant que le géant ne se taise, victime du choc pétrolier et des impératifs de rentabilité.
Arbre de vie
Evidemment, les graffeurs de la Babcockerie – le nom qu’ils se sont donné – n’auront eux pas fait dans la production en série, mais de bien beaux ouvrages font écho au travail des ouvriers d’antan.
Un arbre de vie signé Zkor, qui fut le premier à entrer dans le bâtiment, arrête le regard. Un peu plus loin, de curieux pigeons qui épousent la forme du mur nous amènent à nous demander si on ne serait pas devant un miroir. L’œuvre, signée Djalouz, est peut-être un clin d’œil à Banksy, qui avait déjà dessiné des pigeons pour protester contre la montée de l’extrême droite. Et sur le mur du fond, un chevalier terrassant un lion, tracé par Horor, nous rappelle les saint Georges des musées.
« Je trouve que ça dit quelque chose de notre territoire, et j’aimerais beaucoup que ces œuvres puissent être préservées lorsque les halles seront réhabilitées », souffle encore Elisabeth qui, ado, venait déjà faire du skate dans ce décor de cinéma.
Lieu de mémoire ouvrière
Car oui, les fameuses halles Babcock et Wilcox vont bientôt entamer une seconde vie, déjà amorcée en 2017 avec le nouveau site de la Banque de France qui se dresse en face des halles voûtées. Un projet de réhabilitation est en cours, mené par deux promoteurs immobiliers, Emerige et la Compagnie de Phalsbourg. En 2025 devrait ainsi s’élever ici la Fabrique des Cultures, un programme mélangeant tiers-lieu culturel – avec un cinéma, des galeries d’art – et un quartier de vie comprenant 250 logements, des commerces et des restaurants. « Mais, dans la mesure du possible, sauf impératif de sécurité, on va garder les halles telles qu’elles sont pour respecter la mémoire du lieu », insiste Arthur Toscan du Plantier, directeur de la stratégie chez Emerige.
Une bonne nouvelle pour Sylvie, dont le papa Marcel, aujourd’hui âgé de 88 ans, a travaillé durant 2 ans chez Babcock. « Je suis vraiment contente qu’ils gardent les halles. Pour moi, c’est un lieu de mémoire ici. Il faut de toute façon qu’on garde notre patrimoine industriel, parce que ça fait partie de l’histoire de la Seine-Saint-Denis», insiste cette Courneuvienne de toujours.
« Ce projet de nouveau quartier de vie, c’est une manière d’être fidèle à notre passé industriel, tout en nous tournant vers l’avenir pour y développer de nouvelles activités», abondait de son côté Stéphane Troussel, le président de la Seine-Saint-Denis, venu lui aussi se rendre compte de l’avancement du projet.
D’ici 2025, la Fabrique des Cultures devrait donc avoir redonné vie au quartier. Et on se prend à se demander si l’Arbre de vie de Zkor n’était pas un peu prémonitoire.
Christophe Lehousse
Photos: ©Bruno Lévy
Métis, déjà 20 ans
Lorsque l’équipe de Plaine Commune s’est mise en quête d’un moyen d’animer les lieux lors de la visite de Babcock, le festival Métis s’est imposé comme une évidence. 20 ans déjà que cette manifestation part à la conquête des différentes villes du nord de la Seine-Saint-Denis en faisant la part belle à différentes couleurs musicales.
Ce vendredi, c’était la musique italienne traditionnelle qui était à l’honneur, et le groupe Télamuré a fait résonner toute l’âme des Pouilles et de la Calabre sous les hautes voûtes de Babcock, dans des accents que certains ouvriers des lieux, originaires de la Botte, auraient sans doute reconnus.
« Ça fait partie de l’identité de Métis de partir à la découverte de différents territoires, d’amener des habitants d’une ville à en connaître une autre par le biais de la musique », soulignait Nathalie Rappaport, directrice du festival ainsi que de celui de Saint-Denis, dédié à la musique classique.
Marier les ambiances et les univers, c’est en effet le propre de Métis, comme on pourra encore s’en rendre compte dans le reste de sa programmation, jusqu’au 16 juillet : des spectacles jeunes publics à l’Ile Saint-Denis, ce mercredi, une fanfare à Villetaneuse le 13 juillet et un grand final au parc Georges Valbon le 16 juillet dédié à l’Iran.