Pierre-Olivier Persin tombe le masque

Pierre-Olivier Persin tombe le masque
Portrait
  • Maquilleur effets spéciaux, Pierre-Olivier Persin, alias POP, est l’homme derrière la transformation physique de Demi Moore dans The Substance.
  • Pour son extraordinaire travail dans ce film, celui qui possède son atelier à Montreuil a reçu coup sur coup en 2025 le Bafta (les César britanniques) et l’Oscar du meilleur maquillage. Rien de moins.
  • En exclusivité pour notre magazine, cet homme suroccupé nous a gentiment ouvert les portes de son « laboratoire » et est revenu en longueur sur son parcours.

Les ateliers de POP FX font travailler, suivant les commandes, entre 3 et 15 personnes.

Situé à Montreuil, à quelques jets de pierre de l’A86, dans un bâtiment discret au fond d’une cour, l’atelier de Pierre-Olivier Persin est une véritable caverne d’Ali Baba pour n’importe quel amateur de cinéma fantastique. Ici, une tête de cochon, là, un corps éventré, plus loin, une jambe salement amochée surmontée d’une tête (d’humain ?) complètement déformée – Elephant Man peut aller se rhabiller. Sur une étagère, une carcasse de chèvre ultra-réaliste nous interpelle. « Elle a été fabriquée pour le film ‘’La Nuée’’ [un film d’épouvante français sorti en 2020], elle ne finit effectivement pas très bien », ironise Pierre-Olivier Persin. Mais ce maquilleur effets spéciaux, que toute la profession surnomme POP, tient à prévenir : « Le gore et le ketchup dans mon métier n’est que la partie émergée de l’iceberg. C’est ce qu’on retient car c’est spectaculaire mais la majeure partie de notre travail est plus subtile qu’il n’y paraît. » Pour appuyer son propos, il cite quelques-unes de ses dernières réalisations : le masque de Pierre Niney, dans Le Comte de Monte-Cristo, le maquillage de Juliette Binoche campant Coco Chanel dans la série The New Look, ou encore les multiples prothèses portées par Tahar Rahim dans Monsieur Aznavour.

Avec plus de 150 films, séries et téléfilms, Pierre-Olivier Persin, à travers sa société POP FX, est l’un des designers et créateurs d’effets spéciaux de maquillage les plus réputés d’Europe. Et peut-être même du monde depuis qu’il a remporté un Oscar en mars dernier (après avoir empoché un Bafta, l’équivalent britannique, quelques semaines plus tôt) pour son extraordinaire travail dans The Substance, un film anglo-américain réalisé par la Française Coralie Fargeat et tourné en partie dans les studios d’Épinay-sur-Seine. Dans ce drame de « body horror », qui se veut une critique de l’âgisme, Demi Moore incarne (ici, ce mot n’a jamais autant pris son sens) une ancienne star de cinéma reconvertie dans le fitness mais qui est rattrapée par son âge. Virée par son patron, elle a recours à un procédé qui donne naissance à un double, une version jeune d’elle-même. La suite ? Une fable tragique et déjantée dans laquelle les réalisations de POP et de son équipe – des modèles en silicone qui s’ouvrent en deux, des têtes en gélatine qui explosent… – occupent une place centrale. « C’est un projet hors-norme, le plus long de ma carrière. Entre la préparation et le tournage, j’ai eu les mains plongées dans le silicone [mais aussi l’époxy, le vinyle, et l’acrylique] pendant onze mois », confie le maquilleur. Dans ce film, l’IA, une fois n’est plus coutume, est aux abonnées absentes et les images numériques réduites à leur portion congrue. Pour renforcer le côté « réel », les effets spéciaux sont organiques. « Coralie Fargeat y tenait, poursuit Persin. Il n’y a quasiment aucune différence entre les images à l’écran et ce que les acteurs voyaient en direct pendant le tournage. »

Un cadavre pour la police scientifique

Si ses étagères ont accueilli ces derniers mois une nouvelle statuette (l’Oscar) et un nouveau masque (le Bafta), moins horrifiques que les autres, ces récompenses n’ont pas bouleversé sa vie. « Je travaillais déjà beaucoup mais il est vrai que depuis qu’on m’a remis ces distinctions, j’ai rarement refusé autant de projets, se marre l’intéressé. Je ne serai jamais une rock star et je ne m’en porte pas plus mal. Lors de la soirée des Oscars, Howard Berger, une légende américaine du maquillage, m’a dit ceci : ‘’Tu verras, l’avantage dans notre boulot, c’est que malgré tous les prix qu’on remporte, on continuera de traîner des mannequins sur les tournages comme à nos débuts.’’ Il a raison, depuis que je suis rentré en France, je n’ai jamais éprouvé le besoin de porter des lunettes noires. » Il n’empêche, le 2 mars dernier, POP, habituellement tapi dans l’ombre et dont le nom n’apparaît, au mieux, qu’à la trentième ligne des génériques de films, était sous les crépitements des flashes. Au moment de gravir les marches du prestigieux Dolby Theatre d’Hollywood, « mes jambes flageolaient et mon cœur battait à mille à l’heure, se souvient-il. Ce fut une expérience hallucinante, le soir-même mais aussi les mois précédents. Car une nomination aux Oscars vous vaut de faire campagne des semaines durant. De septembre 2024 à février 2025, c’est devenu mon boulot à mi-temps, j’ai donné des dizaines et des dizaines d’interviews. À la fin, je n’en pouvais plus, mais c’est une expérience à vivre au moins une fois dans sa vie. On est catapulté dans un autre monde. »

Depuis, Pierre-Olivier Persin a repris ses vieilles habitudes : courir de plateau en plateau, quand il n’est pas dans son atelier, à Montreuil. Sa société, POP FX, emploie, selon la longueur et la difficulté des tournages, entre trois et quinze personnes. Certaines opérations, telles qu’une sculpture complexe, un vieillissement de la peau, peuvent demander cinq à six semaines de travail. Tandis qu’une prothèse, conçue à partir du moulage du visage du comédien, a une durée de vie ne dépassant en général pas 24 heures. « Frustrant » et « chronophage » sont des termes qu’on entend souvent dans le métier. « C’est simple, si le tournage dure trente jours, j’aurai besoin de trente jeux de prothèses », résume POP, qui s’entoure aussi bien de professionnels polyvalents qu’ultra spécialisés, qui dans la perruque, qui dans le poil, etc. Actuellement, une équipe de cinq personnes travaille sur un mannequin, un cadavre pour la police scientifique. La vraie, et non celle, pour une fois, qu’on retrouve dans des séries télé telles que Les Experts ou R.I.S. « Il s’agit d’une dépouille d’homme adulte, tout ce qu’il y a de plus réaliste, qui servira à former des magistrats et des policiers. Quand d’autres fabriquent des voitures ou des robes de haute couture, on réalise des mannequins. La différence, c’est qu’on s’arrête au prototype, on ne produit jamais en série », analyse le Montreuillois.

Pour le cinéma, il collabore depuis quelques semaines avec le réalisateur belge Lukas Dhont, auteur du très remarqué Girl (2018), dans le cadre de son prochain opus, Coward, qui se déroule pendant la Première Guerre mondiale. Connu pour ses gueules cassées, cet épisode de l’Histoire ne manquera pas d’inspirer Persin… Il travaille également sur des projets dans lesquels Michaël Youn apparaît vieillissant et où Pierre Niney porte des prothèses dentaires. Enfin, il vient de signer un contrat avec Ladj Ly, qui prépare un film sur le père d’Alexandre Dumas, ainsi qu’avec le duo de réalisateurs du Comte de Monte-Cristo, Alexandre de la Patellière et Matthieu Delaporte, qui s’attaquent à une adaptation des Rois Maudits, de Maurice Druon.

Un parfait autodidacte

The Substance, Le Comte de Monte Cristo, Monsieur Aznavour sont quelques-uns des films qui ont eu recours au savoir-faire du studio POP FX.

Comme plein de gamins de son époque (il a 51 ans), POP a été marqué par la saga Star Wars (« ma première claque », confesse-t-il) et, plus globalement, les maîtres du cinéma fantastique : John Carpenter, George Romero, Wes Craven, David Cronenberg… « Quand j’étais ado, à Noël, on m’offrait du latex et du plâtre, révèle, tout sourire, celui qui est né à Aulnay-sous-Bois et qui a grandi dans les Yvelines. Je tentais maladroitement de recopier des masques que j’avais vus dans des films. Je me baladais aussi souvent en forêt avec ma caméra Super 8 pour reconstituer des scènes de films d’horreur. J’ai très vite su que j’allais en faire mon métier. » Le hic : à l’époque, cette profession est exercée en France par seulement deux hurluberlus qui espéraient faire entrer le cinéma français dans une nouvelle ère, où le genre fantastique le disputerait au cinéma d’auteur. « Ma chance est que quand je m’y suis mis, d’autres s’y sont mis avec moi. Je suis un parfait autodidacte qui s’est construit en même temps que ce métier », lequel requiert selon lui 90 % de boulot, un zeste de talent, un soupçon de chance et un bon grain de folie. En France, le Landerneau du maquillage effets spéciaux compte à l’heure actuelle trois principaux ateliers, dont celui de Persin, qui se partagent l’essentiel du travail tandis que le marché compte une petite centaine de professionnels.

Avant d’officier dans son coin, POP travaille toujours en étroite collaboration avec les réalisateurs et les acteurs en amont. Après avoir lu le scénario, il rencontre le cinéaste pour comprendre ses intentions et définir un budget. Une fois le partenariat acté, le maquilleur rencontre les acteurs, étudie leur morphologie et s’adapte à leurs desideratas. « Il faut qu’ils soient le plus à l’aise possible, si ce que je fais constitue un frein à la création, c’est que j’ai forcément raté quelque chose, je suis là pour servir l’histoire », explique Pierre-Olivier Persin. Pour ce faire, il ne compte pas ses heures. Dans la série Tapie, le maquillage sur Laurent Lafitte a parfois nécessité cinq heures de travail pour un résultat visible seulement quelques minutes à l’écran. À Montreuil, une ville qu’il chérit, il a déjà connu trois ateliers depuis 2009. « Hors de question d’aller ailleurs, c’est l’endroit idéal pour vivre et travailler », affirme-t-il. Et jure, la main sur le cœur, que pas même les chants des sirènes d’Hollywood n’auront d’effet (spécial) sur lui.

Grégoire Remund

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