Pétra Werlé, l’amie du pain

Pétra Werlé, l’amie du pain
Art contemporain
  • En découvrant qu’en modelant la mie de pain, elle pouvait donner naissance à des figures fantasques et des personnages hors du commun, Pétra Werlé est devenue sculptrice. C’est tout un monde miniature qui compose son œuvre.
  • Elle a appris au fur et à mesure à découvrir toutes sortes de pains venus du monde entier et à en tirer toutes les saveurs possibles pour ses créations.

Elle aurait pu travailler la terre, la pétrir, la malaxer pendant des heures pour en tirer un vase au long col effilé ou, pourquoi pas, jeter son dévolu sur la pierre ou le bois, pour mettre à l’épreuve ses talents de sculptrice. Mais non ! C’est la mie de pain que Pétra Werlé a choisie, ou peutêtre estce le pain qui l’a choisie …

La série Mémoires de Pétra Werlé

Avant de poser, en 1997, son sac à dos et tous ses rêves à Montreuil, elle a vécu à Strasbourg. Caissière d’un petit cinéma, qui quelques années plus tard se transformera en un complexe cinématographique, elle délivre tous les jours de 14 à 22 heures des tickets pour chaque séance. Que faire en attendant le prochain spectateur ? Elle commence à pétrir et triturer machinalement un morceau de mie de pain de son cassecroûte et en tire un personnage qui lui plaît bien, mais elle en tire aussi du plaisir. « Dès que les clients étaient rentrés dans la salle obscure, je sortais de mon sac, mon pain, mon curedent, une pince à épiler, mes ciseaux» Elle sculpte sans relâche, avec pour ingrédient indispensable sa propre salive pour cimenter la mie de pain. « Les enzymes de ma salive mélangées au gluten de la mie, créent le liant. » Une fois séchée, la matière durcit et résiste au temps qui passe. A l’attention de celles et ceux qui voudraient se lancer, il ne faut surtout pas utiliser de l’eau, sinon on crée une bouillie ! « Depuis que Pétra a entrepris de cultiver les miettes pour triturer des avortons railleurs et complices de la gravité de son projet, elle rêve de panification universelle », a écrit Daniel Sardet.

Son univers est un étrange défilé de créatures fantastiques, de farfadets sortis de nulle part, de personnages lunaires, des timides, des railleurs, des coquettes aux lèvres rougies et aux ongles peints, une véritable comédie humaine qu’elle met en boîte ou sous cloche. Ses premières œuvres sont exclusivement en pain croûte et mie , pour s’ouvrir ensuite à de nouveaux matériaux issus du monde animal, végétal et minéral : papillons, scarabées, plumes, coquillages et crustacés, fleurs et mousses et séchées. Travaillant par séries, elle découvre l’imagerie populaire au gré de ses flâneries aux Puces ou dans les salons de vieux papiers. Elle intègre alors dans ses créations des gravures anciennes. Aujourd’hui, elle récupère d’anciennes photographies prises en studio pour les accommoder à sa manière. « J’ai tout de suite été inspirée et imaginé réaliser des photos en trois dimensions. » Des photos d’amoureux, de salles de classe, de groupes d’enfants, de première communion, des photos de famille, de gitane, de bouchers… Elle ne se refuse rien ! Elle sculpte de nouveaux visages, tous différents, lèvres au rouge aquarellé ainsi que les mains et les souliers, rajoute parfois un accessoire tel un chapelet de saucisses, et les colle sur les photos. « Je vais à l’essentiel, ditelle. En exhumant une photo ancienne, je redonne vie aux personnes. »

 

Döner, lavash, nans… elle fait bois de toute mie

Le pain est la grande affaire de sa vie. « Quelle chance j’ai eue à 20 ans, d’avoir cette idée de triturer de la mie de pain ! C’est succulent de travailler le pain ! Une matière extraordinaire ! » Universel, intemporel, il traverse toutes les civilisations. « Le pain a toute une histoire, c’est la fraternité, la liberté, lance Pétra Werlé dans un élan lyrique. Quand j’ai commencé, se souvientelle, j’achetais de gros pains à la boulangerie à 7 heures du matin et revenais chez moi. Ces gros pains étaient comme des cœurs palpitants dégageant une chaleur incroyable, une fois ouverts. Il éveille tous les sens. Quand je dépenaillais un pain, je sentais ma mère. Aussi bon que du lait chaud. J’étais comblée. » Matière sensuelle, douce, tendre ou craquante et croustillante. Pour sa série Processions, elle souhaitait des croûtes différentes. Elle écume son quartier pour trouver toutes sortes de pains, dans les döner kebab, les pains lavash dans les restos libanais, des nans chez les Indiens… Elle découvre et apprend la technique en officiant au quotidien. « Confiner le pain dans une pochette en plastique sous un matelas, permet, après quelques jours, d’obtenir une croûte toute fine, aussi souple que du cuir. Il ne me reste plus alors qu’à emberlificoter les corps de mes personnages sans aucune cassure. » Pain plâtreux ou plus humide, elle apprend à connaître les différentes variétés. « Pour les jambes et les pieds, il me faut du pain bien frais, élastique et bien humide afin qu’il ne soit pas cassant. Pour les visages, le pain de la veille peut convenir. Les craquelures feront bien les rides… »

C’est dans son bureauatelier, véritable caverne d’Ali Baba sont entreposés mille et un trésors glanés au cours de sa vie qu’elle se réfugie tous les matins dès 5 heures. Elle s’adonne à un rituel immuable qui lui donne une pêche d’enfer et lui permet de déplacer des montagnes. A peine debout, elle prend des nouvelles du monde, tout en buvant son café. Le temps de la méditation lui permet de revenir à elle, de se recentrer, et de laisser aller ses pensées là où bon leur semble mais aussi de se connecter aux autres. Un peu de sport indispensable pour garder la forme complète ce rituel matinal. Après avoir révisé son psychisme et son physique, elle est d’attaque, après une bonne douche, pour affronter sa journée et se mettre au travail.

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