Pauline Bayle : « Pour un metteur en scène, il y a du sens à venir créer en Seine-Saint-Denis »
Pauline Bayle dirige depuis tout juste un an le Théâtre Public de Montreuil (TPM). Connaissant bien la Seine-Saint-Denis où sa compagnie fut pendant plusieurs années en résidence, séduite par le dynamisme de la ville de Montreuil, la diversité de sa population et la richesse de son tissu associatif, la jeune metteuse en scène et comédienne multi-récompensée a déjà imposé sa patte et entend continuer à ouvrir le théâtre à tous les publics. Entretien.
Cela fait un an que vous êtes à la tête du Théâtre Public de Montreuil (anciennement Nouveau théâtre de Montreuil).
Comment vous sentez-vous dans ce costume de directrice ?
Pauline Bayle : Très bien. C’est une fierté d’avoir été nommée à Montreuil. Depuis que j’occupe ce poste, je découvre qu’il y a de nombreuses similitudes entre diriger un centre dramatique national (CDN) et diriger une compagnie [en 2011, elle a créé la compagnie À Tire-d’aile]. Dans les deux situations, on s’appuie sur une équipe avec laquelle on réfléchit à la manière de transformer un projet abstrait en un tout cohérent, en lien avec le lieu et le territoire. On évolue dans un collectif où sont réunis différents profils et qualités pour vivre une aventure commune, c’est très excitant. La nouveauté depuis un an porte sur les projets à mener en parallèle des créations. Le défi pour moi est de trouver un équilibre entre la vie de la maison théâtre qu’il faut faire tourner et ma recherche créatrice en tant que metteuse en scène. J’en suis encore au stade de l’apprentissage. Mais j’ai la chance d’être très bien entourée.
Pourquoi à l’époque avez-vous candidaté pour diriger ce théâtre ?
P.B : J’aspirais à un rêve de théâtre qui dépassait le cadre de mes créations. J’ai eu envie de développer une pensée et une action qui transcendent le simple fait de créer des spectacles les uns après les autres et de m’ancrer sur le long terme dans un territoire en particulier. C’est en toute humilité que j’ai candidaté car il est très rare d’être nommée dès la première tentative. Pourquoi Montreuil ? Car c’est une ville qui me parle et que je connais très bien pour ses studios de répétition et ses nombreux intermittents (sourire). Entre la jeunesse, la diversité de la population, la richesse du tissu associatif, il y a ici un terreau très enthousiasmant pour un projet théâtral. J’ai brigué ce poste justement parce que c’était Montreuil. Je ne souhaitais être nulle part ailleurs. A peine arrivée, j’ai reçu le soutien des habitants, des associations, des élus… Montreuil a beaucoup de chance d’avoir ce théâtre et celui-ci a aussi de la veine de compter sur une telle population.
A votre arrivée, vous vous étiez donné pour mission de toucher les spectateurs de tous les âges, de toutes les origines et de tous les milieux. Le contrat est-il déjà rempli ?
P.B : Nous ne disposons pas encore de statistiques précises sur le profil des spectateurs mais on constate tout de même un net rajeunissement des publics et un taux de fréquentation fort réjouissant – plus de 90 % – malgré la lente reconstruction du spectacle vivant après le Covid. Et si à l’instar des autres CDN, un tiers de nos salles sont réservés aux scolaires, la poursuite des partenariats avec plusieurs festivals emblématiques – le Festival d’Automne à Paris, les Rencontres chorégraphiques de Seine-Saint-Denis, Banlieues bleues, Africolor – permet d’attirer des spectateurs qui ne fréquentent pas habituellement les théâtres.
On sait que la transmission vous tient à cœur et que vous avez réfléchi à la possibilité de constituer un groupe de jeunes rattaché au théâtre sur une à deux saisons. Où en est ce projet ?
P.B : On collabore depuis le début de la saison avec un groupe de quinze jeunes âgés de 18 à 25 ans autour d’un projet qui parle de sororité et de fraternité. Dans un premier temps, des artistes ont fait travailler ces jeunes sur diverses expériences théâtrales. Ils ont découvert le jeu d’acteur, la mise en scène… En janvier, ils ont attaqué la deuxième partie du dispositif. Avec le collectif Bajour – qui fait partie des équipes pluridisciplinaires que nous avons choisies d’accueillir dans le théâtre -, ils montent un spectacle qui sera présenté au public au printemps prochain. Ils assistent aussi à tous les spectacles qu’on diffuse. Depuis, nous avons créé un lien privilégié. C’est une aubaine pour un théâtre d’être envahi par la jeunesse. Il existe finalement peu d’endroits dans une ville où les différentes générations se croisent. Après les bibliothèques et les piscines, il y a le théâtre de Montreuil.
Vous aviez également l’objectif de créer un théâtre ambulant appelé à s’implanter dans l’espace public départemental. Qu’en est-il ?
P.B : Sur ce dossier, différentes pistes sont à l’étude. On avance bien mais ce projet baptisé « TP Mob » ne devrait pas voir le jour avant la fin de 2024 car nous avons besoin de temps pour proposer des formes théâtrales ambitieuses. Les lieux, le public, la technique, la production (qui est au centre de la création) et les artistes qui imagineront les spectacles sont autant de maillons essentiels sur lesquels nous voulons apposer de la qualité. Notre ambition est de créer des spectacles aussi pertinents et profonds que ceux que l’on retrouve dans le théâtre en salle en nous déployant dans des zones éloignées du maillage culturel, que ce soit à Montreuil ou dans le reste du département. Cette structure nomade pourra abriter une trentaine de personnes, créant ainsi une relation de grande proximité voire d’intimité, propice à une première expérience théâtrale puissante.
Vous avez apporté dans vos bagages différents artistes et collectifs. Comment se déroule cette association ? Et que font-ils ?
P.B : Je me suis entourée de toutes ces personnes de talent dans le but de leur offrir une maison qui puisse les accompagner sur le long terme. On gère la production et l’administratif (qui représentent de sacrés poids), et eux se concentrent uniquement sur la création. Ils est prévu qu’ils aillent à la rencontre de la population pour faire rayonner leurs actions au-delà des murs du théâtre. En plus du collectif Bajour (voir plus haut), Baptiste Amann prépare le spectacle « Jamais dormir » qui se jouera dans des classes avec un lit superposé. Et dans son concept La Bibliothèque, Fanny de Chaillé bâtit des récits à partir de la vraie vie des habitants.
En novembre dernier, le TPM a accueilli le spectacle « 7 minutes », une production de la Comédie-Française. Comment ce partenariat avec une telle institution a-t-il été possible ?
P.B : Rares sont les habitants du département qui se rendent à la Comédie-Française, pourtant proche géographiquement. Leur faire découvrir une partie de son répertoire et sa troupe m’a semblé important car cette institution culturelle n’est pas l’apanage des Parisiens, elle appartient à tout le monde. De par son sujet – la question de l’émancipation des femmes ouvrières -, la pièce « 7 minutes » (de Stefano Massini, mise en scène par Maëlle Poésy) s’est imposée d’elle-même. Mais pour l’heure, la collaboration s’arrête à ce projet.
Vous connaissez très bien la Seine-Saint-Denis puisque votre compagnie À Tire-d’aile y a été en résidence. Quel regard portez-vous sur ce département ?
P.B : Ma compagnie a occupé l’Espace 1789, à Saint-Ouen, pendant trois ans. A travers cette expérience, j’ai appris à connaître – et à apprécier – la Seine-Saint-Denis qui est un département d’avenir eu égard à sa jeunesse et au dynamisme de sa population. S’il y a encore beaucoup à faire, de formidables choses ont déjà été réalisées. Pour moi, il y a du sens de venir créer ici. Cela se vérifie au fil des collaborations que l’on mène avec des structures conventionnées du département.
Quelles sont justement les structures avec lesquelles vous travaillez ?
P.B : Avec d’autres structures labellisées Seine-Saint-Denis – les théâtres Gérard-Philipe (Saint-Denis), la Commune (Aubervilliers), la MC 93 (Bobigny), la Maison des jonglages (La Courneuve), notamment -, le TPM a intégré le collectif La beauté du geste, un événement artistique, festif et fédérateur créé dans le cadre des Jeux olympiques et paralympiques à Paris. Depuis un peu plus d’un an, nous mettons notre énergie en commun pour organiser en juin 2024 une grande parade [composée de plus de 1200 jeunes] issue d’un projet au long cours imaginé en étroite collaboration avec les habitants. A Montreuil, nous avons mis en place des « Rêve parade » (en 2022 puis en 2023), qui sont portés par les artistes de la compagnie La Fauve. Au programme : cirque, danse et construction de chars en vue du défilé olympique.
Propos recueillis par Grégoire Remund
Photos : ©Sylvain Hitau
Qui est Pauline Bayle ?
Metteuse en scène et comédienne, Pauline Bayle a été formée à Sciences Po Paris, l’Ecole supérieure d’art dramatique (ESAD) puis au Conservatoire national supérieur d’art dramatique. Avec sa Compagnie À Tire-d’aile, elle vit durant dix ans une aventure artistique, politique et humaine jalonnée de succès (L’Iliade, L’Odyssée, Chanson douce à la Comédie-Française ou plus récemment Illusions perdues).
Grégoire Remund