Un dur à cuivre nommé Fabrice Wambergue

Un dur à cuivre nommé Fabrice Wambergue
Savoir-faire
  • À Montreuil, Fabrice Wambergue exerce un métier rare : luthier spécialisé dans les instruments à vent.
  • Jadis cadre dans une entreprise de textile, cet autodidacte a tout plaqué il y a quinze ans pour se consacrer à sa passion qui remonte à l’enfance. Rencontre.

Ce lundi matin de juin, Fabrice Wambergue est affairé. Entre les conservatoires qui profitent de la future coupure estivale pour faire réviser leur parc instrumental, les professionnels qui s’apprêtent à courir les festivals et les particuliers désireux d’un ripolinage avant de réattaquer à la rentrée, le carnet de commandes de ce luthier, passé maître dans l’art de la réfection des instruments à vent, est bien rempli. Dans son petit atelier d’une vingtaine de mètres carré, planqué au fond d’une cour d’immeuble, à Montreuil, son prochain « patient » est un saxophone aux touches fatiguées. « Il a besoin d’un retamponnage complet, ce qui va me prendre du temps car c’est un instrument fragile et celui-ci a visiblement bien vécu », sourit-il.

Pour ne rien arranger à la difficile tâche qui attend notre « mécano des soufflants », on peut aussi ajouter que le saxophone, qui fait partie de la famille des bois et non des cuivres, contrairement à ce que beaucoup pensent, et qui est constitué de plus de 600 pièces, est un instrument complexe, nécessitant des savoir-faire rares. « Ma spécialité, ce sont plutôt les cuivres », précise Fabrice Wambergue, parmi lesquels « la trompette, un instrument simple de conception avec ses tuyaux et ses trois pistons, qu’on peut facilement customiser. » L’artisan de 54 ans en est tellement fan qu’il ne se contente pas de le réparer, depuis quelques années, il le fabrique.

« Je ne touche pas au pavillon et au bloc-piston que je fais faire car je n’ai ni le matos, ni les compétences. En revanche, je fais tout le reste : je courbe le laiton, j’usine les pièces sur mesure » et, fait nouveau dans l’histoire de cet instrument, assemble d’un seul bloc les tiges et les boutons, une spécificité pour laquelle il a déposé un brevet à l’INPI (Institut national de la propriété intellectuelle). « Fabriquer des trompettes, je n’aimerais faire que ça mais pour l’instant, ce n’est pas possible car je travaille tout seul et je ne veux surtout pas perdre ma clientèle, qui est fidèle et qui compte sur moi. Les luthiers, ça ne court pas les rues… » À Montreuil, ils sont deux à exercer cette fonction. En France, 2800 entreprises sont concernées, de près ou de loin, par ce business.

Un burn out et ça repart

Reconnu par ses pairs, apprécié par sa clientèle qui n’a de cesse de s’étoffer, la renommée de Fabrice dépasse les frontières de Montreuil et de la Seine-Saint-Denis. Le virtuose russe de la trompette Sergueï Nakariakov ne peut se passer de ses services. Éric Le Lann et Nicolas Genest, deux autres artistes souffleurs mondialement connus, ne jurent également que par lui. Quant à Seun Kuti, saxophoniste de son état et fils du célèbre Fela, il en est baba. Pourtant, celui qui a été fraîchement labellisé Maître artisan en métier d’art n’officie que depuis quinze ans. « Mon parcours est atypique, je suis un autodidacte», dit-il.

Fils de mélomanes, passionné par tous les instruments de musique depuis son plus jeune âge, Fabrice Wambergue a fait des études… de droit. « Je n’avais aucunement envie de devenir avocat, j’ai fait ça après le lycée pour faire plaisir à mes parents. » Il obtient tout de même sa licence mais abandonne en milieu de maîtrise. Possédant une belle collection de guitares, il décide d’en faire son beurre : il achète des grattes à Londres qu’il revend ensuite à Paris à travers une société d’import-export créée à cet effet. Débrouillard et motivé, il scelle même un partenariat avec le célèbre fabricant Breedlove. Mais le retour sur investissement est insuffisant et le projet tombe à l’eau au bout d’un an.

Sur ces entrefaites, le jeune homme met ses ambitions musicales de côté et se met en quête d’un boulot alimentaire. Ses recherches le conduisent dans une grande enseigne de textile. « J’ai commencé comme vendeur de jeans dans un centre commercial à la patte d’oie d’Herblay (Val-d’Oise). De fil en aiguille, j’ai gravi les échelons et j’ai fini par intégrer le siège pour devenir gestionnaire de stocks puis responsable des achats. » Il gagne alors très bien sa vie. Mais entre un boss qui le maltraite et une charge de travail devenue insupportable, Fabrice pète les plombs. « J’ai fait un burn out ». Pour ne pas y laisser sa peau, il claque la porte. Et revient à ses premières amours, les instruments de musique. « Pour en arriver là où je suis aujourd’hui, je n’ai pas suivi la voie royale, l’ITEMM [Institut technologique européen des métiers de la musique] en l’occurrence, la seule école du genre en France, ni aucune autre formation. Je me suis gavé de tutos sur YouTube. C’est comme ça que j’ai découvert le luthier suisse Vincent Liaudet avec qui j’ai sympathisé et qui m’a pris sous son aile. C’est lui qui a validé mon projet et encouragé à poursuivre dans cette voie ».

Un métier en voie de disparition ?

Doué d’une âme de mécano (il est par ailleurs féru de belles motos), Fabrice Wambergue se met à bricoler des vieux instruments qu’il restaure et revend. Le déclic a lieu le jour où un acheteur titulaire d’un CAP à l’ITEMM (tiens, tiens) le félicite pour son travail. « J’avais besoin de cette deuxième validation pour me lancer pleinement dans cette aventure », confie-t-il. Avant de créer son site, atelierwparis.com, Facebook sera sa première vitrine commerciale. « Quand on lance une affaire, les réseaux sociaux peuvent être d’une grande utilité. En deux ans, je suis parvenu à me faire une petite réputation et, surtout, à gagner ma vie. »

Sur les étagères de son atelier, les trompettes et les trombones, de vieilles épaves qui servent de déco, prennent la poussière. D’après le luthier, ils sont en très mauvais état et devront patienter avant de passer sous ses mains d’orfèvre. Fabrice a beaucoup à faire. Une intervention peut prendre d’une heure à une semaine. Plus, parfois. « Sur les grosses restaurations, je ne compte plus mes heures, il ne vaut mieux pas d’ailleurs… » À l’ère de la mondialisation et alors qu’émergent de nouveaux marchés, en Chine notamment, d’aucuns prédisent la disparition du métier de luthier d’ici quelques années. Une prophétisation que l’artisan montreuillois balaie d’un revers de main. « Cette profession a la chance de ne pas être impactée par l’intelligence artificielle donc elle ne disparaîtra jamais. Par contre, on a le droit de s’interroger sur la qualité des instruments qui sortent d’usine depuis quelques années et qui sont de conception low cost pour réduire les coûts…  Luthier est un métier de passion, qui n’est pas toujours facile, qui exige de la patience et du temps mais tant qu’il y aura des artistes pour exiger la meilleure qualité pour leurs instruments, nous aurons du travail. » Luthier envers et contre tout.

Grégoire Remund

Photos: ©Pierre Toury

En savoir plus : Atelier W, vente et réparation de saxophones et d’instruments de la famille des cuivres, 76 rue Marceau, à Montreuil. Tél. : 06 64 27 46 75 ou contact@atelierwparis.com – Site : atelierwparis.com.

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