Manolo Mylonas, un regard intime sur la Seine-Saint-Denis
- Installé depuis 35 ans en Seine-Saint-Denis, Manolo Mylonas arpente le territoire pour en « capturer l'humanité et les liens qui se tissent dans les interstices urbains ».
- En 2022 et 2023, c’est au parc départemental Georges-Valbon que le photographe s’est intéressé.
- L’exposition est à découvrir jusqu’au 30 septembre.
On vous connaît plutôt comme un photographe de l’urbain. Comment vous êtes-vous intéressé au parc Georges-Valbon ?
J’ai commencé en 2022 à la suite d’une demande du service départemental du Patrimoine culturel pour un livre à paraître*. Au départ, je devais photographier les éléments architecturaux remarquables du parc, comme la surprenante réplique d’un théâtre grec antique abandonnée en plein air. Moi qui suis un photographe plutôt du béton, me retrouver dans cet écrin vert était très apaisant. Ma première image a d’ailleurs été les cerisiers japonais en fleurs au printemps, avec deux promeneurs assis devant, comme en méditation. Tous les chemins devraient mener à Georges-Valbon ! J’y suis venu une quarantaine de jours en tout. J’ai aussi réalisé des portraits qui ont été retenus et le projet a été bien au-delà de mes attentes, avec des rencontres inattendues.
Comment se sont faites ces rencontres ?
En prenant le temps de faire mes tours à vélo ou à pied. Dans notre société, les gens sont de plus en plus pressés. Le parc Georges-Valbon marque une pause au milieu du métro boulot dodo. C’est un parc attachant où les habitants des alentours qui ne partent pas en vacances ont pris l’habitude de se retrouver en familles ou entre amis. J’ai reçu de chaleureuses invitations à goûter le thé, des plats antillais, algériens, afghans, turcs, etc. C’est un parc-monde, où on retrouve toute la richesse de la diversité du 93. Le terme est un peu politique mais c’est vraiment ça. On passe du parking où les Antillais se retrouvent à jouer aux dominos toute l’année, qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige. On avance vers le lac et on retrouve les Sri Lankais. Puis sur les grandes pelouses, je tombe sur un rassemblement de 1000 personnes pour un nouvel an bangladais annoncé nulle part.
Vos photos nous plongent dans l’intimité de ces moments. Comment les gens réagissaient à votre présence et à l’appareil photo ?
La plupart du temps, je demande aux gens l’autorisation de les photographier même si, de temps en temps, je capte à la volée des moments extraordinaires comme celle de cette femme qui bronze seule au milieu de cette immense pelouse. En général, les gens sont accueillants et m’invitent, me proposent leurs plats, rigolent quand je goûte ceux épicés. Je pense que c’est une histoire de confiance. J’ai à cœur d’être avec eux, de partager un moment. Les moments du thé ont aussi été de belles rencontres. Les familles viennent avec de très belles théières traditionnelles et les femmes préparent le thé avec de nombreux petits rituels.
Vous avez également travaillé au drone…
La photographie aérienne m’a permis d’inclure le parc dans son environnement urbain, de montrer les résonances avec le quartier. C’est un parc qu’on dit artificiel mais il n’en est rien. La richesse de ses paysages – des cerisiers du japon aux pins des Landes – est un voyage visuel. C’est un écrin qui apporte de la plénitude. Se donner les moyens d’avoir un tel endroit est un beau cadeau et c’est nécessaire. Tous ces éléments naturels qui ont poussé et grandi sur un terrain vague sonnent aussi comme une revanche sur le sort. Cela me touche.
Comment avez-vous commencé à travailler sur la Seine-Saint-Denis ?
J’y suis installé depuis 35 ans. J’ai commencé par photographier ce territoire qui m’était familier. Puis, petit à petit, mon champ d’action s’est élargi. Je procède souvent ainsi, en partant du plus proche, du plus familier, du plus intime. J’ai aussi été marqué par les émeutes de 2005 consécutives à la tragique disparition de Zyed et Bouna à Clichy-sous-Bois, ainsi que par le traitement stigmatisant et caricatural de nombreux médias, j’ai ressenti le désir de revisiter ce territoire pour mettre en lumière une autre réalité.
Quelle est selon vous cette réalité ?
Celle d’espaces publics vivants, dans lesquels l’individu affirme sa personnalité, persiste à s’amuser, à s’ennuyer, à s’aimer, malgré toute l’égalisation architecturale. Une réalité où la rue, qui peut être source d’angoisse et lieu de violence, révèle aussi une vie vibrante et une communauté non résignée, capable de surmonter les difficultés. Mon intention photographique est de capturer l’humanité et les liens qui se tissent dans les interstices urbains, en abordant également le thème de la solitude.
Vos photographies sont souvent à la frontière entre réel et imaginaire…
Je réalise des photographies documentaires sans mise en scène mais ces instants saisis s’accordent avec mes obsessions intérieures et laissent surgir l’imaginaire. C’est au spectateur d’effectuer sa propre lecture, d’interpréter, de « terminer » l’histoire commencée par le cliché.
Propos recueillis par Stéphanie Coye. Photographie de Bruno Lévy.
* Patrimoines et paysages en Seine-Saint-Denis. Les parcs de Marville et de Georges-Valbon. Les productions du Effa, 192 p., mai 2024.
Informations pratiques :
Exposition « Visages, paysages » à découvrir jusqu’au 30 septembre, sur le trottoir de la Circulaire (à proximité de la Maison Édouard-Glissant) au Parc Georges-Valbon, 55 Av. Waldeck Rochet, La Courneuve. Accès libre et gratuit.
Pour découvrir les autres travaux du photographe : https://manolomylonas.fr/
MANOLO MYLONAS EN 3 LIEUX
La ressourcerie-recyclerie Amelior à Noisy-le-Sec.
« Elle valorise les déchets et accueille les récupérateurs biffins au marché Croix de Chavaux. »
Le cinéma Le Trianon à Romainville
« C’était le lieu de tournage de La Dernière Séance, l’émission sur le cinéma présentée par Eddy Mitchell à laquelle j’ai été biberonné toute mon enfance. »
Le bal L’Olympic à Saint-Ouen
« Je l’apprécie pour le chaleureux accueil des serveurs et la ferveur des supporters du Red Star. »