Les Archives départementales mettent le journal L’Humanité à la une
- Le 18 avril 1904, Jean Jaurès fondait le quotidien L'Humanité. 120 ans plus tard, les Archives départementales de la Seine-Saint-Denis, qui hébergent depuis 2003 les archives du journal, organisent une exposition permettant de se plonger dans l'histoire du titre.
- Luttes ouvrières, critique du colonialisme, relations avec le Parti communiste : en retraçant l’histoire du journal, on remonte aussi toute l’histoire du XXe siècle.
- Entièrement gratuite et ouverte jusqu’en décembre, cette expo sera également rythmée par quelques tables rondes dans les mois à venir.
« Je suis rentré en 1967 à l’Huma, d’abord comme correspondant puis comme photographe attitré. Cette expo, ça me fait ressortir plein de choses, des souvenirs, des gens que j’ai connus. » Etrangement, il y a deux Joël Lumien devant nous. Ce photographe, aujourd’hui à la retraite, prend la pose à côté du cliché qui le montre plus jeune devant un bac à développer, lorsqu’il exerçait encore au journal, alors installé boulevard Poissonnière à Montmartre.
Ses photos, mais aussi celles de nombreux autres photographes, tout comme des documents d’époque – pour certains inédits – sont mis en valeur dans « 120 ans d’Humanité », une exposition conçue par les Archives départementales de la Seine-Saint-Denis. Celles-ci abritent en effet depuis 2003 tout le fonds photo et documentaire du journal communiste, sur une période s’étendant de 1920 à 1994. Alors, à l’approche des 120 ans de la première édition de L’Humanité, le 18 avril 1904, il était logique de marquer le coup.
« On ne souhaitait pas traiter des 120 ans du journal de manière entièrement chronologique. On voulait surtout faire comprendre ce qu’était ce quotidien particulier dans le paysage médiatique français: un journal politique, populaire qui va traiter d’événements locaux jusqu’à des événements qui ont une répercussion mondiale. », explique Alexandre Courban, historien et commissaire scientifique de l’exposition.
Organisée en grandes rubriques thématiques, comme si l’on naviguait dans un grand journal, l’exposition donne un fidèle reflet de l’histoire du quotidien, à nul autre pareil. De l’esprit de Jean Jaurès, son fondateur assassiné en 1914 – son credo: « donner par des informations étendues et exactes à toutes les intelligences libres le moyen de comprendre et de juger elles-mêmes les événements du monde » – aux relations avec le Parti communiste dont il fut l’organe central de 1920 à 1994, tout y est décrypté de manière accessible.
Plaques d’impression de 1968
Les amateurs d’histoire apprécieront des pièces assez rares comme ces plaques d’impression de 1968 prêtées aux Archives par un ancien salarié du journal, Eugenio Vasquez, ou ces carnets d’un ouvrier, Marius Magnien, envoyé par l’Huma en Chine en 1950 pour y chroniquer l’émergence de ce nouveau grand «pays frère».
Est aussi rappelée à travers des photos la dimension «grande famille» du journal, avec son réseau de correspondants – le plus souvent des ouvriers ou militants communistes – et ses bénévoles des CDH, les fameux Comités de Diffusion de l’Humanité, connus notamment pour vendre l’édition de l’Huma Dimanche sur les marchés. Difficile aussi de faire l’économie d’une rubrique «Fête de l’Huma», tant cet événement, fondé dès 1930 pour soutenir le journal, aura marqué l’histoire du titre mais aussi de la Seine-Saint-Denis. «Je me souviens notamment de la venue de Mercedes Sosa, chanteuse argentine en 1982. Je couvrais alors la grande scène en tant que photographe. Elle était tellement ravie de l’accueil que lui avait fait le public de La Courneuve qu’elle m’avait enlacée en sortant de scène.», se souvient par exemple Joël Lumien.
Mais surtout, on retrouve dans cette expostion l’esprit du journal, ce souhait d’être «depuis toujours aux côtés de ceux qui luttent tout en cherchant des solutions pour un monde meilleur», comme le rappelait Fabien Gay, directeur du journal et sénateur communiste qui avait fait le déplacement depuis Saint-Denis, toujours siège du quotidien. Luttes ouvrières, soutien aux combats anticolonialistes et plus récemment préoccupations pour l’environnement et les droits des femmes : tout cela ressort en effet à la vue des photos et textes choisis pour cette exposition.
« Nous sommes fiers que L’Humanité ait choisi les Archives départementales pour lui confier son fonds photo. Retracer l’histoire de l’Humanité, c’est retracer l’histoire tout court: un compagnonnage avec tous les mouvements sociaux, une critique féroce du colonialisme et de ses exactions… L’Huma enfin, c’est une voix discordante dans un paysage médiatique de plus en plus uniformisé et concentré entre les mains de puissances financières », rappelait pour sa part Stéphane Troussel, président de la Seine-Saint-Denis.
Christophe Lehousse
Photos: ©Jérémie Piot
– A noter aussi une table rondes avec des focus particuliers sur l’histoire de l’Humanité :
* Jeudi 6 juin à 14h, La moitié de l’Humanité sur la place des femmes et du féminisme dans l’histoire du journal avec Fanny Bugnon, maîtresse de conférence en histoire contemporaine à Rennes, Marc Giovaninetti, historien spécialiste du mouvement ouvrier, Nicolas Hatzfeld, professeur d’histoire à l’université d’Evry et Rosa Moussaoui, grand reporter à L’Humanité