La Préfecture de police dégaine ses archives
Situées au Pré-Saint-Gervais, les archives de la préfecture de police ouvrent leurs portes au public le 17 septembre prochain. L’occasion pour elles de valoriser leurs trésors, et de rappeler qu’il s’agit d’un bien commun et accessible à tous.
Il règne une certaine effervescence, ce vendredi 9 septembre après-midi, dans les locaux des archives de la Préfecture de police, situés rue Baudin, au Pré-Saint-Gervais. L’orage approchant, et l’annonce du week-end n’y sont pas pour rien. Mais on doit par dessus tout cette agitation à la conjonction entre le décès de la Reine Elizabeth, la veille, et l’arrivée à grands pas des journées « portes ouvertes », dans le cadre des Journées européennes du Patrimoine, qui met les 23 agents-archivistes en émoi. Le délai est parfait pour exposer quelques-uns de leurs meilleurs documents, protocoles et photos traitant des voyages officiels d’Elizabeth II en France. Royal, pour la deuxième édition de l’évènement : les archives organisent des visites guidées toute la journée du samedi 17 septembre (voir ci-dessous).
De l’ordre dans les papiers de la police
Ouvrir grand les portes et les fenêtres de la police sur les documents qui constituent sa mémoire n’est pas chose évidente pour une institution, qui, si elle n’a pas pour surnom « la grande muette », n’est pas non plus une grande bavarde. D’ailleurs, rien ne permet d’identifier, de l’extérieur, qu’il s’agit d’une succursale de la Préfecture. Pourtant, conscients de la dimension publique du trésor qu’ils ont entre les mains, ceux qui se sont attelés, depuis une dizaine d’années, à la reprise en main des archives de la préfecture ont à cœur de les mettre à disposition des citoyens. « On ne garde pas des kilomètres de papier pour se faire plaisir », estime Cécile Lombard, adjointe au Département Patrimonial de la Préfecture de police. Son service est chargé de professionnaliser la gestion des archives, ce qui n’était pas, jusqu’à il y a une dizaine d’années, la priorité de l’institution. « Bien ranger ses documents permet à la police de mieux travailler, et à nous, de mieux valoriser cette mémoire », explique celle qui est auparavant passée par les archives de Paris, de l’Agence nationale de sécurité du médicament et de l’INA.
Un perpétuel pari sur l’avenir
La visite prévoit d’expliquer au curieux la trajectoire d’une archive. « Nous sommes en train de revoir la politique de collecte des documents. Comme il s’agit d’un service régalien, les fonctionnaires de police nous consultent pour savoir ce qu’ils peuvent détruire, et ce qu’ils doivent verser aux archives. Nous leur fournissons des tableaux de tri avec les durées de conservation des documents, et leur donnons les autorisations de destruction. Un fonctionnaire qui détruit des documents sans autorisation s’expose à une peine de 12 ans de prison », explique la conservatrice.
Seulement 5 à 10% des documents produits par tous les services que compte la police – des commissariats à l’institut médico-légal, de la gestion des associations à celle des titres d’identité, de la gestion des armes aux débits de boissons – atterrit dans les rayonnages des archives, dont 6 kilomètres sont entreposés à Créteil, et 5 kilomètres au Pré-Saint-Gervais. 40 kilomètres sont encore en souffrance, attendant d’être récoltés et traités, dans les « services producteurs ». Quant aux archives informatiques, il n’existe pas encore de système d’information qui les centralise. Les archives comptent quatre pôles. La collecte d’abord, qui consiste, après un dialogue entre le service producteur et l’archiviste, à choisir ce qui sera gardé, et ce qui sera jeté. « On ne sait pas ce qui intéressera les historiens dans cinquante, soixante-dix ans. Nous sommes donc en permanence en train de faire des paris sur l’avenir », explique Henri Zuber, chef du département patrimonial des archives et du musée de la Préfecture qui se trouve dans le Ve arrondissement, et accueille actuellement une exposition sur l’histoire de la circulation à Paris.
Ravaillac, police scientifique ou Mai 68
Le traitement ensuite, qui consiste à compléter les descriptions des archives afin qu’elles puissent être retrouvées facilement. C’est ce service qui déniche les pépites et trésors méconnus : le registre où sont consignées toutes les tortures faites au régicide Ravaillac (plomb fondu sous la langue, écartèlement, tripatouillage des entrailles etc), les fichiers de la police des mœurs sur les « femmes galantes », parmi lesquelles on comptait l’actrice Sarah Bernhardt, ceux qui permettent de documenter le comportement de la police pendant la rafle du Vel d’hiv, les enregistrements de la salle de commandement de la police en mai 68, et les photos du préfet Grimault devant les barricades, les fonds du préfet Bertillon, père de la police scientifique et de l’anthropométrie… Des échantillons de ces reliques seront exposés dans la salle de lecture à l’occasion de ces journées.
Dernier pôle : celui de la salle de lecture. C’est là que nos archivistes espèrent attirer, grâce aux journées portes ouvertes, plus de curieux tout au long de l’année. Parmi les 3000 visiteurs par an, les historiens sont majoritaires : Laurent Joly y a collecté les archives pour réaliser son ouvrage « La Rafle du Vel d’hiv », paru le 25 mai dernier, le spécialiste de l’histoire des polices Jean-Marc Berlière vient s’y nourrir, Pierre Piazza vient y chiner les pièces qu’il présente dans son exposition « La science à la poursuite du crime ». « Et il faut souligner que beaucoup d’historiens s’intéressent à la prostitution », relève Henri Zuber. Mais les archives aimeraient attirer un public plus large que ce cercle d’universitaires. « Si vos aïeux avaient des activités politiques, associatives, journalistiques ou des mœurs considérées à l’époque comme particulières, il y a de grandes chances pour que nous en ayons la trace ! Nous voyons passer ici des gens qui sont à la recherche de l’histoire de leurs grands-parents déportés, de leur grand-mère prostituée, de leur immeuble, lorsqu’ils ont un problème de copropriété, des filles de général, qui voulaient des photos des obsèques de leur père… », énumère Henri Zuber. Cinq ou six personnes sont aussi venues, depuis l’année dernière, demander des documents sur l’un de leur parents victime d’assassinat.
Une volonté d’implantation territoriale
Quelques précautions, au cas où ces lignes déclenchent chez vous une soudaine soif de savoir : ne sont communicables que les documents administratifs produits il y a plus de vingt-cinq ans, et les documents judiciaires produits il y a 50, voire 75 ans… mais des dérogations peuvent être délivrées, en fonction du bon vouloir des services et de l’objectif poursuivi par le demandeur, pour consulter des documents moins anciens. Ces délais de déclassification ont fait l’objet, ces dernières années, de batailles très politiques.
Pour attirer ce public plus large, les archives de la préfecture de Police commencent par le plus simple : ses voisins gervaisiens. Les archives ont développé un partenariat pour animer des ateliers auprès de deux classes de petits Gervaisiens dans le cadre des « Enfants du patrimoine », et veulent creuser ce sillon. Ils ont aussi aidé les agents de la ville à retracer le tragique destin des enfants déportés dont les noms figurent sur les plaques mémorielles de la ville. Ce travail commence à porter ses fruits : il faut croire que la présence de cette discrète institution éveille la curiosité des habitants de la ville, largement majoritaires parmi les 300 visiteurs de l’année passée- 150 ont d’ailleurs été refusés, faute de places. Alors, du Pré ou d’ailleurs, réservez avant qu’il ne soit trop tard !
Visites, le 17 septembre dans le cadre des Journées européennes du Patrimoine à 9h30, 11h, 12h20, 14h, 15h30 et 17 heures, sur inscription au 01 53 71 61 15 ou par mail.