La Martiennerie, anatomie d’un ovni
- Anne Mars et Richard Manière ont installé leur atelier d'impression artistique et de design en mars 2023 au cœur de « L'Usine des transitions », à Noisy-le-Sec. Ils y animent La Martiennerie, un laboratoire de recherche et de création graphique, à destination des artistes et des élèves.
- Grammage, texture du papier, type de couleur : chaque année, c'est dans cet écrin de poésie que la graphiste Juliette Nicot choisit le support de ses fameuses cartes de vœux dédiées au 93.
Au rez-de-chaussée du petit cube de béton posé sur le site de l’ancienne SAFT, les murs sont bordés d’énormes machines d’impression, et les œuvres d’art qu’elles crachent sont, à l’occasion des portes ouvertes, ce 5 octobre, exposées sur la grande table centrale, suspendues au plafond, accrochées aux murs. Le papier est partout, présentant des « risographies », un procédé d’impression inventé au Japon dans les années 1980, qui joue avec les superpositions de pochoirs et de couleurs. Là, une planche représente différentes figures de sorcières, une autre, ici, un arbre jaune flamboyant sur un fond bleu de mer.
L’éditrice et le typographe
Bienvenue dans la partie du royaume de Richard Manière. Imprimeur de formation, ce dernier commence sa carrière en tant que maquettiste de magazines de petites annonces. « Puis je suis rentré à l’Education nationale en tant qu’imprimeur, au rectorat, sur des machines offset d’une seule couleur », se souvient l’amoureux des machines. Il reprend alors ses études, passe son bac et une licence d’arts plastiques à 30 ans, et devient professeur en lycée d’art appliqué. Sur son temps libre, Richard, musicien autodidacte et auteur-compositeur, pratique la guitare. « Je cherche le rapport entre la musique et la pratique de l’impression. Comment utiliser le son des machines, quel imaginaire il convoque. Sur ma musique, je laisse les sons parasites, les bruits, je les mets en boucle, j’essaye de les mettre en rapport avec la mélodie. A côté de ça, je suis un amoureux des mots. Je suis devenu typographe parce que je voulais toucher les textes. Je fabrique et j’achète des livres, ils sont partout ».
C’est en 2020, au lycée Eugène Henaff qu’il fait la rencontre professionnelle-et amoureuse- d’Anne Mars, spécialiste du papier découpé et à la tête de Martine’s éditions, qui règne sur la deuxième partie de la Martiennerie. A l’étage, elle nous présente les diverses créations de ce drôle de lieu : livrets de toutes taille, cahiers « azulejos », faits de chutes d’impression, herbiers, fanzines, origamis, lampions de papier découpé…
Partitions pour un duo
« On a commencé à travailler ensemble. J’écrivais de la musique, et elle fabriquait des objets, on a appelé ça des « dialogues musicaux » ». Le couple doit présenter une de leurs œuvres le lendemain au Parc du Sausset, pour la fête de la Vigne : Anne lira un texte sur le vin, pendant que Richard jouera de la guitare. Les auditeurs pourront suivre la partition imprimée par leurs soins. « On essaie de matérialiser ces pratiques dans des petits livres de papier découpé, des objets faits main, des formes hybrides. Avant, on prenait un vinyle, on s’asseyait et on écoutait la musique. Avec les plateformes, on a perdu ce lien matériel avec les textes. En proposant un objet éditorial lié à la musique, on questionne ce rapport, on travaille sur l’instant de contemplation », détaille Richard.
Le couple commence par travailler leurs créations sur les machines du lycée, en échange de quoi ils mènent, pendant les vacances, des ateliers intergénérationnels. « Mais très vite, on a eu un problème d’espace et envie de maîtriser nos moyens de production. En 2019, on a trouvé un atelier à Bagnolet, et créé une entreprise… Mais le Covid est venu fragiliser le projet. On aurait coulé sans la proposition d’Est Ensemble, qui adore ce qu’on fait, de nous installer ici », retrace Richard. Ici, c’est « L’Usine des transitions » à Noisy-le-Sec, aux côtés d’autres artisans-artistes tels que « Brute de fonte » ou le collectif Arti/chô, ou encore le Sprinkler.
Un lieu hybride
La Martiennerie est un lieu difficile à définir. « Nous ne sommes pas seulement une imprimerie, mais un lieu de culture, un lieu hybride : à la fois un laboratoire de recherche et un lieu de ressources pour le design graphique », explique Richard. Les deux inventeurs accueillent des artistes qui ne savent pas encore comment mettre en forme leur création. « On crée un espace de synergie intellectuelle. On apporte de la valeur à leur travail, on essaye d’inventer quelque chose, dans la bienveillance. Les artistes savent qu’on est là, qu’eux et leur production sont bien traités », poursuit-il. Les créateurs peuvent faire appel à la Martiennerie entre une demi-journée et dix jours pour réfléchir à la manière dont ils veulent imprimer leur œuvre, le nombre d’exemplaires, la diffusion… et aussi à la réutilisation écoresponsable de leurs éventuelles chutes.
Parmi leurs partenaires, Marina Ledrein, une chercheuse plasticienne et ancienne art-thérapeute, intervenante dans des ateliers avec d’anciens patients d’hôpitaux psychiatrique à l’hôpital Robert Ballanger. Elle veut laisser une trace de ces ateliers : la première année, une carte mentale de de l’hôpital psychiatrique est imprimée, la seconde, un livret présente le chemin de la sortie de l’hôpital, un texte lu par un ancien patient en arpentant la cour de l’hôpital lors d’une performance.
La photographe Marie Docher est une autre amie de la Martiennerie. Avec elle, ils impriment des images comme si c’étaient des photos, en risographie, sur lesquelles elle écrit en direct au cours d’une performance artistique. Un petit catalogue de ses photos, sur du papier bible, est aussi le fruit de cette coopération. La petite entreprise a également aidé un collectif de graphistes à réaliser un dépliant à destination d’habitants dans le cadre de la rénovation urbaine, ou « Flâneries », un fanzine féministe. « On fait des essais, des choix, et en trois heures, on est fixés sur le type de couleur et de papier. Anne fait le design du livre, et moi l’impression. On travaille aussi sur tout ce qui tourne autour du design graphique : la manière de montrer l’objet, d’y accéder », poursuit Richard.
Un laboratoire pédagogique
La Martiennerie, devenue récemment un lieu IN Seine-Saint-Denis, du nom de la marque de territoire créée par le Département, est aussi un laboratoire pédagogique. « On co-construit un projet avec un enseignant et une quinzaine d’étudiants : un petit livret, des cahiers… Cette année, on va réaliser un petit livre de recettes associé à des sons avec des étudiants en arts appliqués qui ont choisi l’option « design culinaire » ». Anne et Richard animent également des ateliers de typographie pour enfants avec l’aide de tampographes ou de normographes, des séries de tampons, constituent avec eux des herbiers, des cartes, des pliages. Le label « Entreprise solidaire d’utilité sociale » décroché par la Martiennerie peut également en faire des partenaires privilégiés des collectivités. « On a un côté sensible, même pour un petit projet, on fait quelque chose de beau, qui a de la valeur », conclut Richard. Si toutefois l’envie vous prenait, pour Noël, d’offrir à vos proches un cadeau original, la Martiennerie tiendra son marché de Noël le 13 décembre dans sa boutique, en même temps que l’exposition « Parasites-moi » d’Anne Mars. Ils présenteront à 19 heures une performance d’une de leurs « partition plastique », dont l’expérience vaudra plus que mille mots. A vos réservations !
Elsa Dupré
Réservations : lamartiennerie@gmail.com