L’hommage de Grand Corps Malade à « Monsieur Aznavour »

L’hommage de Grand Corps Malade à « Monsieur Aznavour »
Cinéma
  • Le slameur de Saint-Denis signe avec son complice Mehdi Idir un biopic sur Charles Aznavour, en salles le 23 octobre.
  • Les deux réalisateurs ont pu compter sur des archives inédites, provenant des collections privées du chanteur.
  • Avec un excellent Tahar Rahim pour incarner « Monsieur Aznavour », le film se concentre notamment sur la période des débuts du chanteur aux 1200 chansons. Interview.

En 2024, Charles Aznavour aurait eu 100 ans. Mais j’imagine que si vous avez voulu lui rendre hommage, c’est aussi parce que vous l’avez connu personnellement ?

GCM : Oui, on a eu cette chance avec Mehdi. On l’a bien connu grâce à son gendre, Jean-Rachid Kallouche, qui est aussi mon producteur depuis mes tout débuts. Donc oui, on voulait autant montrer le chanteur que l’homme. Le chanteur, avec sa force de travail incroyable et ses 1200 chansons ! Et l’homme, qui avait la classe, à tous points de vue ! Il y avait donc de l’admiration mais aussi de l’affect parce que, sa famille nous ayant donné les droits du film, il ne fallait pas se tromper, être à la hauteur du bonhomme !

©Antoine Agoudjian

Dans une vie aussi riche, il faut forcément faire des choix. Quels ont été les vôtres ?

Mehdi Idir : Ce qu’on a voulu montrer avant tout, c’est que c’était un être humain qui, sa vie entière, a été guidé par une passion : l’écriture. Il a travaillé avec acharnement, sans jamais lâcher ses objectifs, alors qu’à ses débuts, la presse n’était pas tendre avec lui. Mais dès le moment où il s’est découvert cette sorte de super pouvoir qu’était l’écriture, il n’a cessé de croire en lui.

Fabien, vous qui avez même écrit une chanson avec lui (Tu es donc j’apprends), est-ce que c’est quelqu’un qui vous a inspiré en tant que chanteur ?

GCM : Quelque part oui. Il fait partie de mon panthéon, mais qui est très large. A la maison, mes parents écoutaient Brel, Brassens, Barbara, Ferrat, un peu moins Aznavour même s’il était présent. Mais oui, il m’a inspiré, car il a raconté des histoires très précises en disant « je ». Dans « Comme ils disent », il se met à la place d’un homosexuel, ou dans « La Bohème », il décrit les galères d’un début de carrière. C’est un procédé qui me parle.

Sur un plan formel, vous le montrez beaucoup sur scène et chacune de ces scènes est différente…

M.I : On voulait montrer ce qu’on voit rarement : le processus de création en lui-même, à l’écriture, en studio mais aussi sur scène. C’est là où notre passé nous a servi. Moi j’ai fait pas mal de clips ou de captations de stand-up et de concerts. Donc ça nous a permis de varier les techniques lorsque Charles est sur scène. On voulait employer un maximum de techniques différentes, mais en même temps, il fallait que ça colle avec ce que Charles est en train de vivre.

Le fait d’avoir été proches de sa famille vous a-t-il donné accès à des archives inédites ?

GCM : Oui, on s’est appuyé sur certains manuscrits, mais aussi sur beaucoup de films familiaux. Il faut savoir que Charles adorait filmer, il avait une passion pour la technologie. Très tôt, il a tourné des films super 8 de ses proches, de ses voyages… Ca nous a beaucoup aidés pour voir le style vestimentaire de l’époque, et ça a beaucoup aidé Tahar Rahim, qui l’entendait ainsi parler au naturel.

Avez-vous tout de suite pensé à Tahar Rahim pour incarner Monsieur Aznavour ?

GCM : Non, la vérité c’est qu’on n’y a pas pensé tout de suite. C’est notre directeur de casting, David Bertrand, qui, un jour, nous dit : « j’imagine que vous avez déjà pensé à Tahar ? ». Et non, on y avait pas encore pensé. C’était d’autant plus étrange qu’on le consultait régulièrement sur des détails du scénario. La première fois qu’on lui a suggéré l’idée qu’il soit Aznavour, il nous a dit : « mais vous êtes dingues ! ». On a su après qu’il avait regardé des heures et d’heures d’archives d’interviews pour voir s’il pouvait prendre sa diction. Et quand il a estimé que c’était possible, il s’est lancé.

Charles Aznavour était venu rendre visite en 2004 à des lycéens de Bartholdi de Saint-Denis, avec l’association Zebrock.

En 2004, Aznavour était venu rendre visite à des lycéens de Saint-Denis grâce à Zebrock, une association s’appuyant sur la musique. Il avait alors beaucoup parlé de sa double culture à des jeunes dont beaucoup ont eux-mêmes des origines immigrées. C’est quelque chose dont il était fier ?

GCM : Oui, et c’est aussi une dimension, quasi politique, sur laquelle on voulait insister dans le film. Lui, fils de réfugiés, a traversé des moments durs, il a connu des propos racistes. Et pourtant, il est devenu un monument de la chanson française, au point d’incarner la culture française dans le monde. A l’heure où il continue d’y avoir des gens contraints de partir de chez eux, on aimerait que notre  société comprennent ce message-là : oui, des fils et filles de réfugiés peuvent devenir des symboles de la France, avec leur bagage culturel personnel.

Mehdi Idir et Grand Corps Malade sur le tournage de Monsieur Aznavour ©Tukimuri

Tous les deux, vous en êtes maintenant à votre 3e film. Vous avez commencé par un film autobiographique sur vous, Fabien (Patients), un film sur l’école qui parle aussi beaucoup de vous, Mehdi (La vie scolaire), et donc un biopic. Vous aimez varier les plaisirs on dirait ?

M.I : Ce n’est pas une volonté principale, non. Ce sont davantage certains thèmes qui nous attirent : une volonté d’aller de l’avant malgré les difficultés par exemple. Vous retrouvez ça dans nos trois films. Ou alors ce thème de la bande de potes aussi, avec qui on crée : c’est commun à Patients, La vie scolaire et même Monsieur Aznavour puisque ses débuts sont marqués par le duo qu’il formait avec Pierre Roche, dans lequel on s’est pas mal reconnus.

En musique, cet héritage avec Aznavour vous a notamment inspiré un clip « A chacun sa bohème ». Votre Montmartre et vos lilas à vous, c’est le « clocher de la mairie de Saint-Denis » et « les omelettes frites à quatre balles ». Etes-vous nostalgique de vos débuts dans la chanson ?

GCM : Oui mais je suis un grand nostalgique en général. Mais ce n’est pas une nostalgie qui me plombe, c’est plutôt quelque chose qui me donne de l’énergie. Oui, je suis nostalgique de ces premiers temps de découverte, ces soirées slam fabuleuses des années 90-2000. Il m’arrive encore de faire des soirées slam, mais ce n’est plus pareil : quand on m’annonce sur scène, les gens dressent forcément l’oreille. Ce n’est plus comme dans ces premiers temps où personne ne t’attendait et où c’était à toi d’aller chercher le public. Et puis l’émulation avec les copains, les battles de textes, l’écoute mutuelle. Ca c’était vraiment bien.

Propos recueillis par Christophe Lehousse

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