Gianpaolo Pagni, plasticien à l’âme d’enfant
- De Turin à Paris, Gianpaolo Pagni a choisi de s’installer en Seine-Saint-Denis. D’abord Montreuil, puis Aubervilliers avant de poser ses valises au Pré-Saint-Gervais, il y a une vingtaine d’années.
- Ses créations personnelles reposent sur des éléments précieusement emmagasinés de son enfance.
- S’il a goûté à la presse et à l’édition, il collabore également avec de grandes maisons prestigieuses, Pierre Hermé, le pâtissier ou la maison Hermès.
Derrière ses lunettes à montures noires qui lui donnent un air sérieux, on devine le regard malicieux de l’enfant qu’il a dû être. C’est dans son atelier du Pré-Saint-Gervais, une ancienne imprimerie réhabilitée, qu’il imagine, affine et réalise ses compositions. Un vaste espace lumineux aux murs blancs qu’il partage avec sa compagne, elle-même plasticienne.
Son dernier livre, un livre d’artiste (Lendroit éditions) qu’il a entièrement imaginé et créé, présente les 100 meilleurs artistes contemporains d’après le classement établi par le Journal des arts en 2020. Selon un protocole bien précis (nombre et lieux d’expositions affectés de points calculés selon un certain coefficient), le classement est non seulement présenté, mais est accompagné d’un sticker représentant chaque artiste. Il y en a une centaine! A la manière des albums Panini qui ont bercé son enfance, il ne reste plus qu’à coller les stickers en respectant la numérotation officielle. « On peut aussi créer son propre classement avec ses critères, afin que cet album soit unique, explique Gianpaolo Pagni dans un sourire. Habituellement, on trouve des footballeurs dans ces albums. J’ai repris le portrait de chaque artiste, à la manière d’une gravure, en noir et blanc. Personnellement, j’en ai rempli deux : l’un, en respectant le classement, l’autre par ordre de sourire ! Du plus souriant à celui qui ne sourit pas du tout ! »
Les images de son enfance
Enfant, à Turin, il adorait pousser la porte du marchand de journaux. « C’était une ouverture au monde ! Je voyais des images, de la bande dessinée italienne, des journaux. Une véritable source d’images ! Elles étaient partout ! » Et puis bien sûr, ces fameux albums avec les pochettes de vignettes. « Je pense que l’envie du livre, de l’édition, de l’image viennent de mon enfance. L’album est devenu pour moi, un outil très intéressant. » Derrière toute cette mécanique du hasard – on ignore quelles images sont à l’intérieur de la pochette – il y en a une autre, celle de l’échange, avec les doublons qu’on souhaite troquer avec ses amis. « C’est un peu comme l’art, souffle l’artiste. Tractation, échange, valeur, rareté… »
Quand il quitte l’Italie, il n’oublie pas d’emporter ses albums (faune, flore, Sandokan, Jésus, Tarzan, Rox et Rouky…), mais aussi ses cahiers et ses livres d’école (mathématiques, biologie). « Je suis un conservateur d’objets qui ne servent à rien, mais qui pourraient servir ! » Finalement, c’est toute sa vie qui lui sert de champ de création.
Le dessin au tampon
On ne peut évoquer son travail sans parler de ses tampons. Il en a fabriqué des centaines et des centaines, soigneusement rangés dans des boîtes, empilées sur des étagères. « J’utilise le tampon que je fabrique moi-même ou que je commande à une entreprise. Je l’utilise comme un outil. De l’outil au sujet en passant par le support, je veux maîtriser et personnaliser le tout. Je choisis des papiers qui ne sont pas forcément faits pour dessiner, des outils qui se sont pas destinés à dessiner, mes peintures ne viennent pas de magasins des beaux-arts mais de marchands de couleurs ! » Ses tampons constitués de formes abstraites et d’éléments graphiques avec lesquels il joue, en utilisant le rouge, le jaune, le vert « confèrent à l’ensemble une architecture rigoureuse », véritable signature de l’artiste.
Il s’est toujours intéressé à l’empreinte et aux traces, grâce à sa pratique de la gravure, taille-douce, lino, eaux–fortes. « Ce sont des procédés complexes et longs. Avec le tampon, je suis en phase avec l’idée de traces, d’empreinte et de répétitions mais avec beaucoup plus de légèreté et de rapidité. »
Souvenir et traces
Quelques tampons encreurs dont il ne manque jamais de rappeler la marque en fin d’ouvrage, un dateur et un numéroteur, histoire d’archiver, et d’offrir un semblant de sérieux à un travail où l’humour est loin d’être absent, voilà ses outils. Ses livres d’artiste, nombreux, sont aussi divers que variés : livres uniques, imprimés, peints, tamponnés, édités ou auto-édités, reliés ou pas… Enquêtes au tampon reprend toutes les enquêtes réalisées pour le magazine mensuel, Le Tigre. A la façon d’un détective, notre artiste plasticien retourne sur les lieux visités ou habités par des personnalités pour y collecter des traces imaginaires à partir d’objets retrouvés sur place, encrés, tamponnés et répertoriés. Des Bee Gees à James Ellroy, en passant par Sophie Calle, Sigmund Freud, Michel Houellebecq ou Charlotte Gainsbourg, il mène l’enquête et pas un détail ne manque à son rapport.
Quand il découvre l’œuvre de Georges Perec, pour qui le souvenir, la trace et l’art de la contrainte constituent le fil rouge de ses créations, il ne peut s’empêcher de retourner au Café de la mairie, place Saint-Sulpice, là même où l’écrivain s’était installé pendant trois jours, pour observer et noter tous les détails qui se présentaient à lui. Cette Tentative d’épuisement d’un lieu parisien, Gianpaolo Pagni lui a rendu hommage dans une enquête au tampon, mais également en sous-titrant l’un de ses livres (Mirandola) Tentative d’épuisement d’empreintes d’objets tamponnables. Autre hommage rendu à l’auteur de La vie mode d’emploi, ce travail effectué avec des lycéens autour de la fameuse phrase de l’auteur « Je me souviens ». Cela a produit un beau livre « Mémoire tampon » où l’on retrouve, rédigées en français, anglais et espagnol, chacune des phrases produites par les élèves. « Quant à moi, ajoute Gianpaolo Pagni, j’ai produit les images. Comme chez Perec, il y a chez moi quelque chose qui tient du jeu. »
Des macarons et des carrés de soie
Quand il présente son travail plastique en 1995 à Flammarion, des monotypes en peinture sur papier, il est loin de penser que l’affaire est gagnée. Une image est choisie et achetée par l’éditeur, elle fera la couverture du livre de Michel Houellebecq Rester vivant. Il réalisera par la suite de nombreuses couvertures, pour Italo Calvino, Tahar Ben Jelloun, Michel Houellebecq. Quant à ses collaborations avec la presse, elles sont nombreuses et variées : Le 1, Libération, le Monde, Télérama, le Washington Post, The New York Times, la Stampa…
En fin d’année dernière, on a pu découvrir à l’occasion de Noël, la touche de Gianpaolo Pagni dans un univers qu’il n’avait jamais encore exploré : la pâtisserie. Et pas avec n’importe qui ! Pierre Hermé, élu meilleur pâtissier du monde en 2016, dont la réputation a fait le tour du globe, le contacte et ils se lancent dans un projet commun. Il imagine, entre autres, de superbes boîtes, véritables écrins pour accueillir les collections de fameux macarons. « J’ai abordé la création comme à mon habitude, en réfléchissant à mes compositions, aux formes. Je suis convaincu que la géométrie est très importante en pâtisserie. On retrouve des arrondis, des sphères, des cônes, des parallélépipèdes. Preuve en est, la mappemonde et la bûche en demi-sphère qui, outre le goût, rejoignent par le visuel le monde des arts. »
Pour l’Epiphanie, Gianpaolo Pagni poursuit sa collaboration avec le pâtissier en réalisant un trio de fèves que gourmets et gourmands ont pu apprécier et collectionner. Touche-à-tout, l’artiste a réalisé pour Hermès, la grande maison de luxe, des carrés de soie en édition limitée. Aujourd’hui, quand on l’interroge pour savoir quel territoire il aimerait explorer, il annonce, après réflexion, la céramique. « J’aimerais l’essayer, mais d’une façon non conventionnelle. Mais pour cela, il faut connaître les techniques. » On peut lui faire confiance.
Claude Bardavid