Frieda, libre comme l’air (de musique)

Frieda, libre comme l’air (de musique)
Musique
  • Artiste hors des normes au look extravagant, la chanteuse montreuilloise Frieda s’apprête à sortir une série de singles aux sonorités entêtantes mâtinées de gospel et de pop préalables à un premier EP.
  • Engagée dans plusieurs combats (féminisme, émancipation des minorités de genre), la jeune femme bénéficie d’une belle popularité sur les réseaux sociaux et s’est constituée une fanbase qui l’aide à faire naître ses projets musicaux.

Ces temps-ci, Frieda court beaucoup. Chez elle d’abord, pour se préparer à la hâte une salade avant que ne démarre cet entretien, éteindre un four qui chauffe dans le vide et se parer de ses plus beaux atours pour la séance photo. Sur scène ensuite, où deux jours plus tôt, elle a participé coup sur coup au Festival international de musique universitaire (FIMU) de Belfort et au festival des Petites Folies, en Bretagne, aux côtés de Joey Starr, Ibrahim Maalouf ou encore Mass Hysteria. En studio, enfin, où elle travaille sur les derniers réglages du clip de Freedom, le premier single d’une série de quatre ou cinq titres en préambule d’un EP, Derrière le Soleil, qui sortira dans quelques mois. « Le tournage de Freedom s’est déroulé à la bourse départementale du travail de Bobigny qui nous a ouvert grand ses portes, raconte la chanteuse, installée à Montreuil depuis quelques années. Un décor à la fois futuriste et rétro des années 1960 [œuvre de l’architecte brésilien Oscar Niemeyer] qui se prêtait parfaitement à ce qu’on souhaitait voir apparaître dans ce clip. »

Freedom, qui, tiens, tiens, résonne comme Frieda, est une ode à la liberté « qui commence d’abord par un non », chante l’artiste. Libre, la Montreuilloise l’est assurément. Son futur EP a été réalisé en autoproduction, une norme pour de nombreux artistes, jeunes et moins jeunes, qui choisissent de se passer des labels pour éditer leur musique. « Se produire soi-même permet d’avoir une prise de parole complètement libre, de ne pas faire quelque chose qui ne nous ressemblerait pas et perdre ainsi son âme, plaide-t-elle. Le risque sur un tel projet est que, face à l’immense charge de travail que cela représente, la création en pâtisse. Mais j’ai de la chance, entre mon tourneur, ma manageuse et mon attachée de presse, je suis bien entourée. »

Pour concevoir son opus, Frieda, Pauline de son vrai nom, a fait appel au financement participatif et obtenu une partie de la somme souhaitée en un temps record. Pas étonnant pour une chanteuse qui compte sur Instagram quelque 10 000 followers et qui a fait de la relation directe avec le public sa marque de fabrique. « Les live et les réseaux sociaux m’ont ouvert une foultitude d’opportunités », reconnaît-elle. Grande, ultra-lookée (les tenues scintillantes et extravagantes qu’elle porte en concert valent le coup d’œil), inventive et engagée, Pauline en impose. Son passage aux Petites Folies lui a valu l’accueil très chaleureux d’un public qui n’avait jamais entendu parler d’elle ainsi que les éloges de la presse locale qui a qualifié sa prestation scénique d’« envoûtante ». « Les gens se sont peu à peu approchés de la scène et ont fini par chanter avec moi alors que quelques minutes auparavant, ils ne savaient pas qui j’étais, ça a été une expérience magique, se remémore avec émotion celle qui écrit, compose et interprète toutes ses chansons. Un artiste émergent est confronté à de nombreuses difficultés : il doit sans cesse faire ses preuves, convaincre, ne pas craindre de se mettre en danger car pour lui rien n’est acquis. Cet inconfort est une belle école. »

Une face cachée derrière le soleil

Pour autant, cette trentenaire, qui met un point d’honneur à ne jamais révéler son âge exact, se sent aujourd’hui en paix. « Après m’être longtemps cherchée, je sais où je vais. L’enjeu pour moi va être de conquérir un public nouveau, qui découvre mon personnage et ma musique. C’est notamment pour cette raison que j’ai fait le choix d’écrire des morceaux uniquement en français. Si l’anglais reste la langue de mes influences musicales, je me devais de renouer avec ma langue maternelle pour parler au plus grand nombre et transmettre des messages. Par contre, faire groover le français n’a pas été chose facile, c’est le moins qu’on puisse dire (rire). »

Ses chansons, qui fusionnent pop, gospel et trap (genre musical issu du hip-hop), évoquent, pêle-mêle, l’intime, le mythe de la méritocratie, l’addiction aux écrans, l’alcoolisme mondain, les relations amoureuses toxiques et la quête d’amour-propre. « Mon entourage me dépeint toujours comme quelqu’un de solaire et lumineux mais j’ai aussi une face cachée que je mets à nu dans mes morceaux. Derrière le soleil Frieda, il y a aussi Pauline, sincère et transparente. Ce projet est la rencontre de ces deux identités. » À l’en croire, la rencontre Pauline/Frieda, qui remonte à cinq ans, s’est faite naturellement. « Frieda s’est imposée à moi. C’est un nom de scène qui est moins un clin d’œil à Frida Kahlo que l’envie de féminiser le prénom germanique Friedrich, qui signifie ‘’puissant et paix’’. J’aime cette rencontre du féminin et du masculin, de cette puissance affichée et de cette vulnérabilité supposée. » Frieda ne serait pas Frieda sans ses tenues de scène excentriques : son chapeau traditionnel africain aux mille paillettes, sa robe corset chatoyante et ses étoles aux couleurs vives sont déjà des pièces iconiques. « Quand j’ai découvert l’univers du « drag », j’ai compris qu’une tenue de scène était une forme d’art et un moyen d’expression à part entière. Avec les fringues, on casse les codes, les genres, les identités et on s’accorde un vrai moment de liberté », glisse-t-elle.

Surnommée la « queen de l’empowerment »

Enfant, Pauline était « Madame parfaite ». Une élève studieuse et assidue, que ce soit en classe ou à l’école municipale de musique de Cergy-Pontoise (Val d’Oise) qu’elle rejoint dès 5 ans en section piano. Pour être acceptée des autres, bien vue en société et « se donner les chances d’obtenir tout ce que [elle] voulai[t] de [s]es parents », sourit-elle, elle s’évertue à être irréprochable dans tout ce qu’elle entreprend. Être la première, toujours la première. Face à cette quête permanente de la performance, qui génère inévitablement stress et anxiété, elle trouve refuge dans la collection de vinyles de son père. Jazz, musique classique, variété française, artistes de la Motown… la jeune fille se forge une solide culture musicale. Dont elle ne se départira jamais. Mais ne nous égarons pas : avant de songer à la musique, il faut penser carrière. Ses brillants résultats scolaires la conduisent en prépa HEC puis à la prestigieuse école de commerce EM Lyon. « La première chose que j’ai faite a été d’intégrer le bureau des arts (BDA) de l’école, précise-t-elle. On organisait des soirées « café-théâtre » qui me permettaient de pousser la chansonnette dans des bars lyonnais. J’ai adoré cette période. » Un stage de fin d’étude dans une célèbre entreprise de cosmétique la convainc définitivement de travailler dans le domaine de la musique. Pauline devient programmatrice musicale pour le compte d’une petite boîte et fait monter sur scène les plus grands artistes internationaux. Pression, rythme effréné, journées à rallonges, la jeune femme finit par craquer : c’est un début de burn-out, lui confirme son médecin. « Mon cerveau ne répondait plus de rien, je n’arrivais plus à prendre le métro pour aller au boulot. » Alors, elle s’arrête quelques semaines et ne retourne au travail que pour dire au revoir à ses collègues. Frieda ne peut plus nier l’évidence : elle sera chanteuse ou ne sera pas.

Pendant trois ans, elle va peaufiner sa musique, travailler sa voix, écrire, enchaîner les tremplins (Afropunk, le Prix Chorus, Give Me Five) et les concerts. Grâce au bouche-à-oreille et aux vidéos qu’elle poste sur Instagram, elle se forge une petite réputation, se crée une communauté qui la suit de près, sur le plan artistique et dans ses combats politiques. D’aucuns la qualifient de « queen de l’empowerment ». L’« empowerment », ce processus sociopolitique né dans les années 1970 aux États-Unis qui, au nom de la lutte contre les discriminations (de genre, d’assignation raciale ou ethnique, etc.), encourage les minorités à être actrices de leur intégration sociale. « Je n’aime pas trop les étiquettes mais si à travers ce terme, on sous-entend que je défends la représentativité des femmes et des minorités dans la musique, je réponds : ‘’d’accord’’, tient-elle à préciser. Je veux juste ne pas être essentialisée par une quelconque communauté. Je ne fais pas de militantisme gratuit pour gagner des followers. Je m’adresse aussi bien à la mère de famille du fin fond de la Bretagne qu’aux queers de Montreuil. »

Montreuil, justement. Depuis qu’elle y a posé ses valises, Frieda voue un culte à cette ville, refuge d’artistes de tout poil et symbole du vivre-ensemble. « J’ai grandi en banlieue, dans un quartier où il y avait beaucoup de mixité, ce que je retrouve complètement ici. » Dans le cadre de ses concerts, elle a aussi beaucoup écumé les scènes du département, notamment dans le cadre du WomenBeats, un programme de soutien aux artistes issus des minorités de genre au centre Mains d’œuvres à Saint-Ouen et au café La Pêche à Montreuil. Dans le cadre des Scènes Nomaades, elle se produira le 13 juillet au parc de la Bergère, à Bobigny. Envoûtement garanti.

Grégoire Remund

Photos: ©Nicolas Moulard

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