Fred Musa, premier sur le rap

Fred Musa, premier sur le rap
Musique

27 ans que cet enfant de La Courneuve anime « Planète Rap » sur Skyrock, la plus grosse émission consacrée à ce genre musical en France. NTM, Diam’s, Tiakola, il revisite avec nous son parcours et ses coups de coeur.

Il nous accueille ce jour-là dans les studios de Skyrock pendant qu’au dehors, le Paris du 2e arrondissement se barricade contre une enième manif contre la réforme des retraites. Le temps de boucler l’enregistrement du « Planète Rap » du jour – Lord Esperanza, un rappeur du 17e arrondissement en est l’invité – et « Fred de Sky » peut nous recevoir. Sa passion pour les ondes, ses premiers pas à Skyrock, le pari de la radio sur le rap, musique montante des années 90, le renouvellement des générations… le p’tit gars de La Courneuve évoque tout ça avec plaisir. 30 ans de radio défilent dans son flow ininterrompu.

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Quand vous commencez « Planète Rap » en 1996, percevez-vous l’ampleur que le rap va prendre ?

Cette musique j’y croyais, c’est une musique qui fait partie de ma jeunesse. Maintenant, qu’elle prenne cette ampleur-là, franchement je ne m’y attendais pas. J’explique ça par la force des artistes, qui fait que cette musique se renouvelle en permanence. Les groupes fondateurs des années 90 ont été relayés par d’autres générations qui ont apporté leurs influences. Et le nouveau continent du rap pour moi, c’est l’Afrique : le Nigeria avec Rema, Burna Boy, des villes comme Abidjan, ce sont des pôles musicaux à part entière…

Comment avez-vous commencé la radio ?

A la maison, aux Six-Routes à la Courneuve, la radio était toujours allumée. Et moi, j’étais à la fois un dingue de musique et de radio, dont je collectionnais les stickers, les pin’s… Dans les années 80, je me suis rendu compte que la radio Voltage avait son antenne départementale à Rosny, au bout de la ligne de bus 143 qui passait juste devant chez moi. A force de faire le pied de grue devant les locaux de Voltage, j’ai un jour pu y faire un stage d’une semaine. Puis en 1992, je suis rentré à Skyrock par l’intermédiaire d’une journaliste que j’avais connue à Voltage. Curieusement, tout s’est toujours enchaîné pour moi : j’attribue ça à ma passion et quelque part aussi à une bonne étoile.

Au tout début, votre musique n’est pourtant pas le rap, mais la funk.

J’écoutais un peu de tout – dans mes incontournables de jeunesse, il y a aussi Authentik de NTM. Mais c’est vrai qu’ado, j’étais très funk. Shalamar, D. Train, Midnight Star, Kool and the gang, Imagination : on écoutait tout ça. J’avais une platine et je me faisais le tour des disquaires : on allait chez Champs Disques, sur les Champs-Elysées, ou dans le 94. A l’époque, c’était pas comme maintenant : se procurer un album, c’était un vrai jeu de piste. Il fallait attendre que l’animateur radio donne la référence du morceau que tu venais d’entendre et qui te plaisait, que tu files chez le disquaire ensuite pour te l’acheter. Bref c’était une autre époque.

Vos débuts à Planète Rap sont indissociables de ceux de NTM…

Bien sûr. A l’époque, c’est un gros groupe dont on scrute les sorties. Et comme ils représentaient en plus la Seine-Saint-Denis où j’avais grandi, j’étais fan. C’est vraiment un des premiers groupes à avoir revendiqué sa fierté de venir du 93. A l’époque déjà, c’est plutôt quelque chose que tu cachais. Au moment de postuler à un emploi par exemple, tu avais tendance à mettre l’adresse de ta tante qui habitait ailleurs… Eux non, ils sont parmi les premiers à assumer d’où ils viennent et aussi à dire : « arrêtez de nous regarder comme des animaux dans un zoo. »

Vos coups de coeur en 27 ans d’émission ?

NTM forcément, même si mon premier « Planète Rap » avec eux, c’était chaud, car Joey Starr et Kool Shen n’étaient déjà plus en bons termes. Diam’s ensuite, que j’ai eu la chance de pouvoir filmer pendant la réalisation de son album « Dans ma bulle ». Sinon je citerais Doc Gyneco, Damso, Orelsan, Koba LaD. Et aussi deux gamins de la Courneuve : Dinos et Tiakola. Ce dernier, pour moi, va vraiment marquer les prochaines années.

Le 93 est donc aussi présent sur la scène rap qu’aux débuts ?

Vu son histoire, ça reste une place forte du rap français. C’est peut-être moins « Saint-Denis » qu’aux commencements. D’autres villes comme Sevran ou la Courneuve ont aussi vu éclore des talents. Mais ça reste clairement un gros pôle du rap français. Je ne comprends d’ailleurs pas pourquoi on n’a pas déjà un grand musée des cultures urbaines qui célébrerait ça comme il se doit à Saint-Denis ou ailleurs, en tout cas dans une ville du 93…

Dans votre livre « Ma Planète Rap », vous évoquez l’importance des rencontres et des modèles quand on vient de banlieue.

Oui, moi ça m’a beaucoup aidé par exemple de tomber sur un journaliste comme Laurent Petitguillaume à Skyrock. Déjà parce que c’était quelqu’un d’inspirant et aussi parce qu’il évoquait régulièrement le fait qu’il avait de la famille au Bourget. Je me rappelle m’être dit plusieurs fois : « mais alors, si ce mec vient du Bourget et qu’il est à Skyrock, moi aussi je peux le faire ». Aujourd’hui, je cherche à mon tour à rendre ce qu’on m’a donné. Parce que je sais la force qu’on peut tirer de certaines rencontres.

Pour la petite histoire, vous racontez dans Ma Planète Rap que vous êtes allé dans le même collège qu’Amel Bent et avez eu le même prof de musique…

Oui, au collège Politzer. On s’en est rendu compte avec Amel en discutant entre Courneuviens. M.Planque, il s’appelait. Il nous passait « La Montagne » de Jean Ferrat. Autant vous dire qu’à l’époque ça me passait complètement au-dessus de la tête, mais plus tard j’ai compris toute la portée de ces textes et je lui en ai été reconnaissant. Par contre, on ne peut pas dire qu’il ait eu le même résultat niveau musical avec moi qu’avec Amel Bent : il s’est raté quelque part avec moi…

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Ado, vous dites aussi que la chanson « Envole moi » de Goldman résonnait en vous. Comme un écho à un certain déterminisme social quand on grandit de l’autre côté du périph. 30 ans après, ce plafond de verre est-il toujours le même ?

Dans la musique, le cinéma, la culture en général, je dirais qu’on a avancé. Regardez le nombre d’artistes ayant grandi en banlieue qui ont percé ! Mais c’est aussi parce qu’ils ont su se faire leur place… Hors musique, je pense toujours que quand tu grandis aujourd’hui à la Courneuve, tu pars avec moins de chances que quand tu es dans un collège à Neuilly-sur-Seine. C’est toujours le même combat à mener : pourquoi, dans des endroits où les besoins sociaux sont plus importants, il y a moins de moyens ? Pourquoi dans certains quartiers, tous ces services publics fermés ? Pourquoi tout ce manque de moyens dans les écoles des quartiers populaires ? Sur la retraite, c’est pareil : une fois de plus, les plus pénalisés vont être les premiers de corvée, tous ceux qu’on a applaudis de manière un peu hypocrite lors du Covid. Et dont on avait oublié l’existence quelques mois après. Le constat que je fais, c’est que ce n’est pas que la faute des pouvoirs publics : c’est une amnésie collective, dans laquelle on a tous notre part de responsabilité.

Vous aimez aussi vous servir de l’outil radio pour partager. Par exemple, vous intervenez dans des ateliers radio en prison. Pourquoi en prison ?

C’est un truc perso. Très tôt, j’ai vu des proches aller en prison : quand ils sont ressortis, je ne les ai pas tout à fait reconnus. Dans leur regard, quelque chose avait changé : ils étaient devenus méchants. Je ne suis évidemment pas pour une société sans prison. Quand on a commis un délit ou un crime, il faut payer. Mais comme dans la plupart des cas, ces personnes vont ressortir, mieux vaut que la prison joue son rôle de réinsertion. Ce qui n’est malheureusement pas du tout le cas, pour des raisons évidentes de conditions de détention inhumaines. Et donc, je suis tombé un jour sur l’association Wake up café. Voilà maintenant dix ans que j’interviens avec eux dans plusieurs maisons d’arrêt.

Vous faites rapper les détenus ?

Oui mais pas uniquement. En général, on part sur 10 semaines d’atelier à raison de deux heures par semaine avec une dizaine de détenus. Au bout de ces 10 semaines, on anime une émission de radio en public devant les autres détenus. Le but est de les amener à utiliser l’outil radio, à travers des interviews, des papiers radio. C’est une petite goutte d’eau dans l’océan, mais si au moins à travers ça, j’amène des gens incarcérés à retrouver une envie, à se dire que leur détention n’est pas dénuée de sens, je m’estimerai content.

Propos recueillis par Christophe Lehousse/ Photos : Bruno Lévy

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