Denis Pouppeville, le carnaval de la vie

- C’est à Montreuil que Denis Pouppeville a posé son chevalet, ses toiles et ses tubes de peinture, mais aussi ses rêves perdus et réalisés.
- Peintre, dessinateur, graveur, il est collectionné par de nombreux amateurs. Quant à ses incursions dans le monde l'édition, elle se sont traduites par des collaborations avec des auteurs variés (Jean Paulhan, Gilbert Lascault, Louis Calaferte, Alfred Jarry, Jules Renard…)
- On ne compte plus les nombreuses expositions collectives et individuelles qu'il a à son actif. En décembre prochain, on pourra découvrir à Nantes une soixantaine d'œuvres de tous formats avec en prime un catalogue.
Il n’est pas rare, quand le jour se lève et que Montreuil s’éveille, de le voir descendre l’escalier de sa maison-atelier, prenant soin d’éviter les livres d’art empilés sur les marches, et rejoindre ses tableaux. Certains sont accrochés au mur, d’autres, de toutes tailles, empilés ou posés sur une grande table. Il les regarde, en choisit un, le prend à pleines mains, l’observe attentivement, l’avance, le recule et finalement le dépose près de sa palette et de ses tubes de couleurs. Une petite touche de blanc serait la bienvenue à ce tableau qui semblait bien être achevé. Denis Pouppeville vit la peinture intensément, avec toujours en fond sonore la radio, fréquence bloquée sur France Culture. Chez lui, tout est peinture, du sol au plafond, de la cuisine aux combles de la maison, en passant par la salle de bains ou la chambre à coucher. Elle fait la loi, et c’est avec grâce que le maître des lieux se plie aux désirs de cette maîtresse si encombrante. Sa maison est un vaste atelier-galerie où il entrepose son travail depuis fort longtemps après avoir occupé un autre atelier dans le Bas-Montreuil. Au fil du temps, il est passé de la toile au papier, de la peinture à une mixité technique où tout est possible, tout est permis. Fusain, plume, pastel, peinture à l’huile et même café…. « Tout sauf l’acrylique ! Trop plastique ! » peste l’artiste-peintre. « Denis Pouppeville, grand faiseur de bonhomme, s’en donne à cœur joie ! » a écrit l’un de ses amis. « Toutes éclaboussées et griffées de vie, des scènes grotesques et érotiques allient la violence à la tendresse dans un carnaval qui dure toute l’année. » Il se retrouve tout à fait dans cette idée de carnaval qu’on associe aisément à celle de comédie humaine. Ses toiles, ses dessins, ses gravures grouillent de personnages, rencontres d’hommes et de femmes se jaugeant, s’interpellant, s’apostrophant. Visages grimaçants aux lèvres carminées, danses joyeuses ou macabres… « Le fait que les gens soient toujours dans le carnaval de la vie ne me déplaît pas », avoue tranquillement le peintre, ponctuant sa phrase d’un petite rire, en guise de signature. « Quand je commence une toile, je pose un personnage, puis un autre, souvent sous forme d’esquisses… Ils font la fête ou vont la faire. Aucun ne nous regarde, c’est entre eux que cela se passe. » Vient ensuite le plaisir de la couleur. Un nez rouge auquel on rajoute un bleu de Prusse, additionné de blanc. Tout est dans la nuance. « Les couleurs pures, je n’aime pas trop ça ! »
Une mère modiste, un père pêcheur
Denis Pouppeville est né au Havre après la Deuxième Guerre mondiale. Fils unique d’une modiste et d’un officier-mécanicien passant la moitié de l’année du côté de Terre-Neuve, on ne sera pas étonné de découvrir, dans son coin atelier, au milieu d’une avalanche de tubes vides de leur couleur, quelques vieilles boîtes de maquereaux, refuges à pinceaux, ni de cette quantité invraisemblable de couvre-chefs de toutes sortes dont il coiffe ses personnages. La seule marine qu’il ait peinte est accrochée dans les combles de sa maison : le bateau de son père « Le Minerve » qu’il peint à 15 ans. Dans cette ville ravagée par la guerre, il est mis en pension par ses parents. Dans les familles de marins, le père navigue et c’est la mère qui décide de tout. Petite santé, mais grande curiosité. Denis Pouppeville découvre à 15 ans au Musée du Havre, Jacques Villon puis à 17, James Ensor, et son fameux tableau « L’entrée du Christ à Bruxelles » qui depuis 1987, trône à Los Angeles au grand dam de Pouppeville.. C’est un choc esthétique. Olivier Despax a consacré un livre au peintre montreuillois. Il écrit : « James Ensor nourrira incontestablement son œuvre. Il y a des similitudes du point ce vue biographique : la présence des femmes dans l’entourage familial. Des thématiques à venir : Ostende, la station balnéaire. L’importance de la mer. La richesse de tout ce qu’elle cache. Mais aussi bien sûr, les masques, les faux nez et les foules de carnaval. Les masques semblent avoir des traits humains. Les visages ont des allures de masques. Jusqu’à ne plus former qu’un tout indissociable .» L’univers pouppevillien, osons le mot, est composé d’êtres humains, beaux, moches, de joyeux drilles séduisants ou inquiétants, truculents, impotents, ventripotents. Ils portent souvent un chapeau, tantôt chapeau-oiseau, chapeau-cafetière, tantôt chapeau-poisson, chapeau haut-de-forme, galurin, casquette ou chapeau-melon. Sont-ils acteurs de notre propre vie, peut-être, mais ce petit théâtre nous renvoie à nos voisins du quotidien. Salut amical à Queneau, Havrais comme lui, clin d’œil fraternel à Beckett, ses atmosphères nocturnes rappellent bien sûr Ensor et la peinture flamande qu’il affectionne. « Le grotesque nous sort de la réalité pesante, la mise en scène m’enchante et la jubilation est essentielle, même si j’aime bien que le tragique apparaisse. » Il a sûrement ponctué la fin de cette phrase qu’il a prononcée il y a quelques années de son rire empreint d’autodérision, histoire de (se) masquer et de brouiller les pistes.
La rigueur de la composition
Denis Pouppeville revendique sa timidité – « je m’améliore avec le temps ». Il n’est pas de ceux qui s’imposent par un ton péremptoire, le coup de gueule facile ou l’entourloupe mal intentionnée. Son travail parle pour lui. Il est de la famille des taiseux, mais quand il est en confiance, la verve est au rendez-vous. Autour d’un plat ou pourquoi pas au téléphone, sa générosité orale est sans limite. Tout y passe! L’histoire de la peinture qu’il a enseignée, les rencontres, les influences, sa jeunesse havraise, ou son maître Jean Maufay à l’école des Beaux-Arts du Havre à qui il doit une reconnaissance éternelle. C’est ce dernier qui insista auprès des parents du jeune Denis pour qu’il monte à Paris faire les Beaux-Arts. Avec un conseil que le sage jeune homme a suivi pour le concours : « Si on te demande de peindre le printemps, tu peins le printemps, mais la nuit ! »
Si l’on évoque Georges Braque, le voilà parti sur des considérations touchant à la construction d’un tableau, – lui qui enseigna le dessin à Dieppe, puis plus tard à l’Ecole nationale supérieure des Arts décoratifs à Paris mais aussi à la faculté des Arts à Amiens. Il ne manque pas alors de citer l’ancien compagnon de Picasso : « J’aime la règle qui corrige l’émotion. »
Peintre et… dessinateur de presse
Avant de consacrer tout son temps à la peinture et à la gravure, Denis Pouppeville a galéré pour se faire connaître et gagner sa vie. Etalagiste chez Manfield, il s’occupe des vitrines à Paris et dans quelques villes de province pour attirer le chaland, mais cette activité dans la chaussure n’est pas trop à son goût. Attiré par le dessin d’humour, lui qui croque à belles dents dans la caricature, il toque à la porte de Jean-Pierre Desclozeaux, dessinateur au Nouvel Observateur, une pointure dans ces années 1970, pour demander quelques conseils. Carton sous le bras, il rencontre le géant nîmois, qui au bout d’une heure et demie, – examen de passage réussi – lui demande de le rappeler le lendemain : « Je te donne cinq adresses, tu les contactes en disant que c’est de ma part. » Quatre commandes sur cinq démarches ! Il sera dessinateur de presse à l’Express, au Monde de l’éducation, au Magazine littéraire… et dans bien d’autres titres.
Aujourd’hui, Denis Pouppeville continue à peindre sans relâche et à dessiner pour des ouvrages de grande qualité. A son actif, une quarantaine de livres dont le dernier « Les Clowns, les espiègles des banlieues » publié chez Tarabuste en 2024 avec un texte de Gilbert Lascault, décédé avant d’avoir pu voir l’ouvrage. Pour le Journal de Jules Renard qu’il réalisa avec la collaboration de Claude Roffat pour le choix des extraits, il passe un an entier à lire et relire et à discuter avec son interlocuteur des choix respectifs. On peut y découvrir certaines sentences qui ont dû faire mouche et exciter sa verve créative : « Chaque jour, je suis enfant, homme et vieillard »… « Si l’on bâtissait la maison du bonheur, la plus grande pièce serait la salle d’attente . »
En décembre prochain, il sera à la fête à Nantes, dans deux lieux différents. Franck Moinel, responsable de la galerie Le Triphasé où près de 60 œuvres seront exposées : « Denis Pouppeville un personnage merveilleux ! Il a créé tout un monde qui n’appartient qu’à lui, avec une technique fabuleuse ! D’une grande modestie, il possède des références incroyables… » Alors, amis de la Seine-Saint-Denis, si vous passez par Nantes du 9 décembre au 28 février, n’hésitez pas, un Montreuillois y posera ses valises pour faire connaître un petit bout d’humanité, un petit bout de son humanité. Ça vaut largement le détour.
Claude Bardavid
Photos: CB