Claire Robert, claire sur toute la ligne
- Cette dessinatrice de presse n'hésite pas à s'attaquer à des sujets graves, mais son rendu est léger grâce à son dessin et au ton décalé qu'elle adopte. La pertinence des dialogues conduit ses lecteurs à réfléchir et à s'interroger.
- Très attachée à la Seine-Saint-Denis et à Montreuil où elle habite, elle y a toujours vécu. C'est à Saint-Ouen qu'elle commence à suivre les cours des ateliers de dessin, à 6 ans.
- Du 10 au 12 octobre, on pourra la rencontrer et voir ses dessins lors des Portes ouvertes des ateliers d'artistes de Montreuil
Elle n’a pas les yeux revolver ni le regard qui tue. En jeans, baskets et pull, Claire Robert respire la bienveillance et un petit sourire quelquefois moqueur ne manque pas de se transformer en un rire retenu, quand elle balance une plaisanterie. Pourtant, cette dessinatrice de presse qui a commencé sa vie professionnelle il y a trente ans, comme graphiste, porte un regard inquiet sur le monde qui nous entoure et l’avenir légué à ses enfants comme aux nôtres. Ses dessins, toujours dialogués, sont légers et même, pourrait-on dire gentils, même s’ils abordent des sujets graves. Ni violence ni méchanceté, tout est dans la pertinence des propos échangés par les personnages. « Souvent on me demande ce que je fais, alors je dis que je fais du dessin de presse mais pas dans la presse ! dit-elle avec des yeux rieurs. Trente ans après, j’ai compris que je fais de la vulgarisation pédagogique par le dessin. » Et comme elle n’a peur de rien, elle n’hésite pas à s’attaquer à des problématiques lourdes comme le droit du travail, le harcèlement, l’inceste, la dette publique ou des questions touchant à l’agriculture et à l’environnement. D’emblée, elle affiche la couleur en ouverture de son site : on y voit un p’tit bonhomme brocolis, large sourire, tenant fièrement un gigantesque coquelicot rouge.
La Seine-Saint-Denis, son territoire
Elle habite Montreuil, après avoir vécu ses premières années à Saint-Ouen, et jusqu’à sa majorité à Aubervilliers. « Pendant plus de dix ans, je me suis formée aux ateliers de dessin de la ville de Saint-Ouen, de 6 ans à 16 ans ! Ils m’ont mis dehors parce que j’étais trop grande ! lâche-t-elle en rigolant. Il y avait du dessin, de la peinture, de la poterie, tout ce que font les gosses dans les ateliers. Et j’ai fait tout ça ! » Forcément, elle ne voyait pas son avenir professionnel ailleurs que dans le dessin. Admise à l’Ecole Estienne, elle suit un BTS d’expression visuelle qui logiquement aurait dû la conduire dans le monde de la pub. « La pub ? Moi, jamais ! » Elle sort d’Estienne avec l’idée bien ancrée de ne pas faire ce métier. Alors elle décide de partir loin, très loin. Un an en Amérique du sud, histoire de se colleter au monde et de le découvrir, gagner en autonomie et revenir plus forte. « J’intègre au milieu des années 90 un collectif de graphistes réuni en atelier où nous réalisons en indépendants des maquettes, des affiches, du dessin de presse, pour des milieux militants. »
Un dessin responsable
Claire Robert a les idées bien claires sur ce qu’elle produit. Elle y a longtemps réfléchi pour se donner une ligne de conduite à laquelle elle ne déroge pas. « Le dessinateur de presse porte une responsabilité. Moi, en ce qui me concerne, j’ai décidé de travailler pour la paix, toujours. Et donc, je ne choisis que des clients qui s’inscrivent dans cette démarche, parce que la paix ça se travaille, ça se construit, ça se prépare. Quand j’accepte un nouveau boulot, je me pose toujours la question : ce que je suis en train de réaliser, sert-il la paix dans la société? Par exemple, se moquer de gens racistes, ça ne sert à rien en fait, mieux vaut essayer de leur montrer un aspect qu’ils n’avaient pas vu. Il est important qu’il n’y ait pas d’accusation, de moquerie, de dévalorisation des lecteurs. Monter le niveau sans diviser les gens est ma ligne de conduite. »
En 2019, SUD-Solidaires initie une démarche éditoriale en invitant plusieurs dizaines de personnalités (écrivains, psychanalyste, inspecteur du travail, artiste, syndicalistes…) à suivre le procès en appel des deux ex-dirigeants de France Télécom, condamnés en première instance pour harcèlement suite à la vague de suicides qui a eu lieu dans l’entreprise. Chacune de ces personnalités devait rédiger un récit d’audience, tandis que Claire Robert réalisait chaque jour des croquis. « C’est une expérience inoubliable, se rappelle la dessinatrice. Je ne devais assister qu’à la première audience, mais, j’ai été tellement prise et secouée, que j’y suis retournée le lendemain et le surlendemain. J’ai essayé de me rendre à toutes les audiences, mais ce n’était pas toujours possible… Trois mois de procès ! » Armée de ses feutres et de ses feuilles de papier, elle réalise ses croquis à vif, chope au vol des phrases d’avocat, la plupart des ténors du barreau, pour une fois chez elle, les scanner et les envoyer pour être mis en ligne. L’ensemble a donné lieu à un ouvrage « La Raison des plus forts. Chroniques du procès France Télécom », édité à l’Atelier.
Ayant pris beaucoup de plaisir à travailler en direct et dans l’urgence, elle se fait, dans la foulée, accréditer par l’Assemblée nationale pour saisir et croquer les députés depuis les loges du « guignol ». C’est ainsi qu’on nomme ces loges, tandis qu’en face les photographes – installés dans leur guignol à eux – mitraillent les députés depuis bien plus longtemps. Durant trois mois, elle se rend une fois par semaine, pour suivre les questions au gouvernement. « J’étais présente lors des débats sur la réforme des retraites… C’était chaud ! Très chaud ! Je l’ai fait pour le plaisir du dessin et parce que très souvent, j’écoute la chaîne parlementaire chez moi, en dessinant. Et là, je suis passée de l’autre côté du miroir. »
Pour la CGT dont le siège est à Montreuil, elle s’est attaquée à la question de l’égalité femme-homme, aux discriminations et aux violences sexuelles. Toutes ces expériences ont fait écho chez elle au travail qu’elle menait sur la question de l’inceste, ce qui lui fait dire qu’ « une famille marche comme une entreprise et une entreprise comme une société ».
Défenseure de la Terre et du climat
Ayant toujours vécu en milieu urbain en banlieue, Claire est passionnée par les questions touchant à l’écologie. « Cela fait 15 ans que je creuse ces questions avec de nombreuses associations. » C’est avec la FADEAR (Fédération association pour le développement de l’emploi agricole et rural), un réseau réparti sur toute la France, réunissant des paysans désireux de proposer un modèle agricole permettant de vivre décemment de leur travail, qu’elle pose un premier jalon dans cet univers. D’autant plus facile pour elle que le siège de cette association se trouve à Bagnolet et partage ses locaux avec la Confédération paysanne. Elle réalise deux bandes dessinées sur l’alimentation et l’agriculture et les enjeux écologiques qui en découlent. « Nous nous sommes tout de suite accordés, d’autant plus que je travaillais la question des pesticides et celle du climat. »
De la dégradation du climat à la disparition des insectes, il n’y a qu’un vol de bourdon… Claire Robert s’est attaquée à nos amis les arthropodes, autrement dit les insectes. Trop souvent perçus comme indésirables, les insectes sont rarement les sujets d’actions de préservation, mis à part les abeilles. Pourtant, les scientifiques, depuis plus de vingt ans, tirent la sonnette d’alarme : le déclin des insectes s’accélère. Claire en bonne défenseure de la biodiversité, s’est penchée sur la question, a lu de nombreuses communications, rencontré des spécialistes, et s’est mise au travail pour faire connaître cette grande famille apparue il y a 400 millions d’années et qui représente 80% des espèces animales. Parmi les prochains sujets qu’elle aimerait aborder, elle pointe la fiscalité. « J’y crois beaucoup , dit-elle sérieusement. Mon objectif est que ce sujet devienne un sujet public de société. Mais pour le réaliser, je dois travailler avec des spécialistes, rencontrer des organisations, des associations, des experts. Eux ont l’expérience, moi je dessine. Je me considère comme au service des collectifs. »
Claude Bardavid
Exposée à Saint-Just-le-Martel et à Montreuil
Lors du prochain Salon international du dessin de presse et d’humour de Saint-Just-le-Martel (Haute-Vienne), Claire Robert exposera 20 panneaux avec ses arthropodes. « Après une première expo de dessins sur les femmes, une deuxième sur l’agriculture regroupant 10 ans de dessins, ce sera ma troisième participation à ce salon », précise la dessinatrice.
Rappelons pour mémoire que deux dessinateurs montreuillois ont remporté le prix de l’Humour vache à Saint-Just, Jean Solé et Tignous. Le lauréat, chaque année, reçoit le temps d’immortaliser en photo l’événement en compagnie d’une … vache limousine, qui une fois le cliché pris, retourne à ses pâtures.
Les 10-11 et 12 octobre prochains, les ateliers d’artistes de Montreuil ouvrent leurs portes au public. Vous pourrez admirer les dessins et rencontrer Claire Robert dans les locaux des Ateliers99, invitée par l’artiste-peintre Solenn Marrel et la céramiste Anne Lebécel.