Christine Salem : « Je chantais déjà dans le ventre de ma mère »
Attachée au festival Villes des Musiques du monde, cette artiste réunionnaise a notamment tiré de l’oubli le maloya, un genre musical chantant la mémoire de l’esclavage, longtemps interdit par les autorités. Les 21 octobre et 13 novembre, elle montera sur scène en compagnie d’écoliers de La Courneuve et de Montreuil. Interview.
C’est déjà votre troisième participation au festival Villes des Musiques du Monde. Qu’est-ce qui fait votre attachement à cet événement ?
J’aime son ambiance. Certaines personnes sont devenues des gens de confiance. Et j’aime aussi le public devant lequel je joue : il est toujours très diversifié, il y a des gens de tous les horizons.
Vous allez y chanter avec des écoliers. Que voulez-vous leur transmettre ?
Globalement de la joie de vivre. Je veux que pour eux ce soit un moment de plaisir et de joie, car tout n’est pas toujours rose dans la vie. Donc tout ce qui peut donner de l’énergie et de la joie est bon à prendre. Je veux aussi leur transmettre de la fierté, qu’ils soient fiers de ce qu’ils sont, de leurs différentes cultures. C’est ça qui forge notre personnalité, qui nous donne confiance en nous.
Quels titres allez-vous chanter ?
Un mélange en fait. Pas mal de titres de mon dernier album, dont « Tyinbo », qui traite de la résilience, notamment par rapport aux violences faites aux femmes – et « Laye Layé », qui est plus dansant, inspiré des rythmes de séga.
Vous, enfant, comment vous est venu le goût du chant et de la musique ?
Comme je dis toujours, je pense que je chantais déjà dans le ventre de ma mère. Alors, depuis, ça a continué. Moi, j’ai pour habitude de toujours faire ce qui me plaît et que j’aime, et c’est ça aussi le message que je veux passer : ne pas se laisser engloutir par l’extérieur. Si on est bien à l’intérieur de soi-même, on peut se tourner vers l’extérieur. Mais il faut d’abord être bien à l’intérieur.
Née un 20 décembre
Avant ça, vous aviez déjà chanté avec des enfants de Marseille. Villes des Musiques du Monde a d’ailleurs l’intention de faire monter prochainement sur scène enfants de la cité phocéenne et de Seine-Saint-Denis. Que permet ce genre de projets ?
Evidemment la rencontre, l’affirmation de soi aussi. Pendant 25 ans, j’ai travaillé à la cohésion sociale avec des enfants ou des jeunes adultes venant de quartiers dits difficiles, à Saint-Denis de la Réunion. Et ce genre de projets rejoint complètement ce que je faisais. La culture pour moi, c’est avant tout un partage.
Vous êtes une des grandes représentantes du maloya, un chant et une danse traditionnels de la Réunion. Pourquoi vous êtes-vous tournée vers le maloya ?
C’est une longue histoire, mais globalement, c’est tout un rapport à l’histoire de notre île. Chez moi, ça part d’un sentiment de révolte. Un jour à l’école, notre instituteur nous a parlé de « nos ancêtres les Gaulois ». J’ai regardé ma peau et je me suis dit que ce n’était pas possible que mes ancêtres soient Gaulois. Du coup, ça m’a passablement énervée qu’on me mente à ce point, au point de décrocher de l’école. J’avais le sentiment qu’on ne racontait volontairement pas mon histoire à moi. C’est là, vers 10-12 ans que j’ai découvert le maloya, que des amis musiciens jouaient dans le quartier. Le maloya, c’est une musique très ancienne, importée par les esclaves africains, qui a en plus été interdite dans les années 50-60 sous la pression de l’Église. En plus, comme je suis née un 20 décembre, jour de l’abolition de l’esclavage à La Réunion, j’y ai vu un signe. Donc je me suis mise à fond dans le maloya, comme un défi, pour aller chercher notre histoire.
Le maloya, c’est donc un peu le blues de la Réunion…
Oui c’est ça. En fait, il y a deux versants : le maloya mystique, des origines on va dire, destiné à honorer les ancêtres, et le maloya que je dirais politique, pratiqué par des auteurs-compositeurs récents.
Vos chansons ne sont cependant pas que du maloya…
Non, sur mes deux derniers albums, « Larg pa lo kor » et « Mersi », j’ai voulu explorer d’autres domaines aussi. En fait, je suis longtemps restée dans le côté traditionnel. Mais comme je me suis aperçue que des jeunes s’étaient maintenant aussi emparés du maloya, que j’avais passé le témoin, je me suis dit que je pouvais aussi penser un peu à moi, aller vers d’autres musiques qui me plaisaient.
Votre dernier album s’intitule « Mersi ». A qui dites-vous Mersi ?
A tous mes ancêtres, aux gens qui m’ont voulu du bien, qui m’ont aidée à avancer dans la vie.
Christine Salem, le 21 octobre au centre culturel Houdremont de La Courneuve (19h) et le 13 novembre, à la Parole Errante de Montreuil (16h30).
Le festival Villes des musiques du monde du 7 octobre au 13 novembre. Retrouvez tout le programme ici : https://www.villesdesmusiquesdumonde.com/festival/agenda/