Brigitte Lecordier, la voix de Dragon Ball, c’est elle

Brigitte Lecordier, la voix de Dragon Ball, c’est elle
Portrait
  • Dans les années 1980-90, Brigitte Lecordier a été la voix française de Son Goku, le petit héros du dessin animé japonais Dragon Ball.
  • Un rôle qui, aujourd’hui encore, colle à la peau de cette comédienne, qui a passé une grande partie de sa vie en Seine-Saint-Denis et qui est devenue une grande figure du doublage.
  • Depuis, elle court les salons dédiés à la pop culture japonaise (manga, jeux vidéo, cosplay) où l’attendent des centaines de fans de plusieurs générations.

Son nom ne vous dit certainement rien mais sa voix aura marqué plusieurs générations d’enfants. Brigitte Lecordier, petit bout de femme de 68 ans et comédienne de son état, est la voix française de Son Goku, l’enfant à la queue de singe et héros du dessin animé japonais Dragon Ball, diffusé dans le Club Dorothée de la fin des années 1980 au milieu des années 1990. Phénomène au Japon, ce manga créé par l’auteur et dessinateur Akira Toriyama, connaîtra un succès immense en France auprès de plusieurs générations d’enfants, lesquels ont pu profiter des multiples rediffusions à la télévision. Devenu culte, son succès est aujourd’hui intact et vaut à Brigitte Lecordier, héroïne malgré elle, un bain de foule à chacun de ses déplacements dans les salons consacrés à la culture japonaise organisés toute l’année aux quatre coins de la France. « Ce personnage a changé ma vie, je luis dois énormément, concède Brigitte Lecordier. J’en suis bien sûr très proche, nous avons vécu de belles aventures ensemble. Loyal, toujours prêt à se sacrifier pour les autres, ce bambin m’a aussi apporté beaucoup de valeurs. » Un amour et une reconnaissance tels que la comédienne n’est jamais lassée lorsque à chacune de ses apparitions publiques on lui demande de lancer le fameux « Kaméhaméha », nom de l’attaque signature de Son Goku.

Pourtant, les débuts furent compliqués. Dragon Ball, au même titre que la palanquée de dessins animés qui déferlent sur les ondes françaises en provenance du Japon dans les années 1980, suscite l’inquiétude et le courroux de nombreux parents, qui considèrent ces programmes comme débiles, abrutissants ou violents. « Tous ces mangas ont été perçus comme de vulgaires japonaiseries qui allaient faire de nos enfants à coup sûr de futurs serial killers, souffle Brigitte. L’affaire est allée si loin qu’à l’époque, certains studios de voix off ont refusé de faire appel à moi considérant que je faisais du ‘’sale’’. » Et puis les années ont passé et le manga, qui a su se diversifier, a fini par s’imposer comme un véritable produit culturel dans les pays occidentaux. Aujourd’hui, en France, il représente plus d’une BD vendue sur deux et fait un carton chez les 12-25 ans.

Son rêve ? Devenir clown

Si le personnage de Son Goku a jalonné – et même bouleversé – sa carrière, on ne compte plus le nombre de projets auxquels la sexagénaire a participé. À son palmarès, figurent, entre autres, Oui-Oui, Babar, Bonne nuit les petits, les séries Alf, Alerte à Malibu, Rintintin, le film Harry Potter, Maman, j’ai raté l’avion ou encore le jeu vidéo World of Warcraft. Entre deux salons et autres conventions d’anime, Brigitte aime à retrouver la scène. En ce moment, elle se produit dans le Noël de Léon, un conte musical fantastique et humoristique joué à la salle Gaveau où l’accompagne le pianiste virtuose Nicolas Horvath. Elle prête également sa voix (décidément) au personnage de Joséphine dans Histoires comme ça, de Rudyard Kipling, actuellement présenté au théâtre des Gémeaux Parisiens. Et nous embarque dans Bestioles, une série de podcasts pour les enfants diffusée sur France Inter qui propose de partir à la découverte d’une espèce animale méconnue ou inaccessible.

Avant de devenir une voix, Brigitte a d’abord dû trouver sa voie. Et ce ne fut pas gagné. Durant son enfance, elle a vécu à la porte de Bagnolet, dans ce qu’elle appelle « la zone », une bande de terre qui entourait jadis la capitale avant l’arrivée du périphérique et où s’entassaient dans des masures de guingois des familles sans le sou. « J’ai eu une enfance difficile, très pauvre, raconte-t-elle. Mon père m’a maintes fois proposé de l’accompagner à l’usine mais j’ai toujours refusé, persuadée que je pouvais avoir un destin différent. » Ado, Brigitte quitte le XXe pour Stains puis Saint-Denis où elle intègre le lycée Paul-Éluard. « J’ai eu la chance de tomber sur des supers profs qui m’ont aidée à me sortir de mon milieu social, encouragée dans mes études et convaincue qu’il n’y avait pas de fatalité, que tous les rêves étaient réalisables. » Le sien ? Devenir clown, « un art réservé aux garçons, m’avait-on toujours laissé entendre. » C’était sans compter sur Annie Fratellini et son École nationale du Cirque, porte de la Villette. La petite Brigitte reprend espoir. Fait une demande pour rejoindre la prestigieuse école. Elle est reçue. Pendant deux ans, elle va se former à toutes les disciplines. Son numéro de clown et son timbre de voix enfantin ne passent pas inaperçus. Une compagnie de théâtre la débauche pour jouer Le Malade imaginaire, de Molière, et le monde de la pub fait appel à ses services pour des voix de petite fille. « Je n’ai rien provoqué, j’ai juste su saisir les opportunités qui se sont offertes à moi et qui ont fait ce que je suis aujourd’hui », affirme-t-elle.

Son combat contre l’IA

Lors de ses premiers doublages, il n’y avait qu’une seule chaîne, l’ORTF. « On était deux seulement, avec Jackie Berger [autre icône du doublage], à faire toutes les voix d’enfants. Puis les chaînes de télévision se sont multipliées et les dessins animés sont arrivés à la pelle, j’ai donc toujours eu du boulot. Je suis tombée dans la marmite à un moment où le doublage était en plein essor. J’ai eu du bol car aujourd’hui je suis très inquiète pour l’avenir de ma profession. » En disant ça, Brigitte fait référence à l’émergence de l’intelligence artificielle (IA) qui menace l’industrie du doublage. Depuis quelques mois, elle, et ses amis du milieu, mènent un véritable combat contre l’IA. Ils mettent notamment leur notoriété à profit dans le but de récolter des signatures pour la pétition « Touche pas à ma VF » lancée par le Syndicat français des artistes interprètes CGT (SFA) et l’association Les Voix. « Nous en sommes déjà à plus de 150 000, c’est bien, mais cela ne nous rend pas moins inquiets. L’IA, qui évolue à une vitesse incroyable, pourrait remplacer les voix des comédiens de doublage d’ici peu. » La comédienne et ses collègues, qui déplorent une certaine lenteur des institutions, réclament au gouvernement une loi qui assure la protection des artistes et leur garantisse la continuation de leur activité.

Brigitte Lecordier est également très active sur les réseaux sociaux où elle peut interagir avec ses nombreux fans. Sa chaîne YouTube compte 290 000 abonnés dont 100 000 obtenus le jour de son lancement, ce qui, sur l’année 2019, a constitué un record en France sur cette plateforme. L’aura de la Séquanodionysienne dépasse les frontières de l’Hexagone. L’an passé, elle s’est vue décerner un Crunchyroll Anime Awards, l’équivalent de l’Oscar de l’animé (une bande dessinée adaptée à l’écran) au Japon, dans la catégorie « meilleur comédien VF » pour Bojji dans « Ranking of Kings ». Un personnage… sourd et muet. Avec ou sans voix, Brigitte Lecordier est incontestablement la papesse du doublage.

Grégoire Remund

©Bruno Lévy

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *