Ave César, ceux qui aiment ton art te saluent !
- Installé à Pantin, César Bazaar fabrique des carreaux de ciment décoratifs. Ils ne sont que quelques-uns à perpétuer ce savoir-faire en France, et César est l’un d’entre eux.
- Chaque année, il organise le concours du carreau solidaire, dont le produit de la vente est reversé au Secours populaire et à SOS Méditerranée.
- Des idées, César n’en manque pas ! Des craies solidaires aux carreaux parfumés, en passant par d’autres expérimentations, il fait flèche de tout bois.
Dans son atelier aménagé au fond d’une cour de sa maison à Pantin, César Leblic, alias César Bazaar (36 ans) règne en maître. Le moindre espace disponible est optimisé afin de pouvoir réaliser avec efficacité ses carreaux et exposer son travail en toute quiétude. Visiter son atelier, c’est s’engager à prendre une leçon sur l’histoire et la fabrication du carreau de ciment. César a la parole généreuse et le tutoiement facile. On l’aura compris, si César est son vrai prénom, Bazaar est son nom d’artiste. C’est à Aubervilliers, chez des amis, qu’il découvre que la table sur laquelle ils déjeunent, est faite de carreaux de ciment. Curieux comme pas possible, il commence ses recherches vidéos et se dit qu’il aimerait bien, pour s’amuser, s’attaquer à ce domaine de création. « J’ai eu plusieurs vies professionnelles ! J’ai fait des études de socio et de philo que j’ai interrompues. J’ai monté une entreprise de sites Internet à 20 ans pour des associations, avant de reprendre mes études et devenir ingénieur moteur en travaillant dans les jeux vidéo. »
Qu’est-ce qu’un carreau de ciment ?
La fabrication des carreaux de ciment telle qu’on la pratique aujourd’hui n’a pas bougé depuis des dizaines d’années. Aucune machine, à ce jour, n’a pu remplacer le savoir-faire et l’habileté des artisans et ouvriers. César raconte : « Il y a 150 ans, on les fabriquait et ils ne coûtaient pas cher. Le coûteux carrelage, quant à lui, peint à la main et émaillé , était réservé à ceux qui pouvaient se le payer. Progressivement, les carreaux de ciment ont disparu en France et en Europe, au profit du carrelage industrialisé. Certains pays pourtant ont conservé ce savoir-faire, le Maroc ou le Vietnam. Cette renaissance du carreau de ciment, en particulier au Maroc, avec son côté artisanal, fait-main, ses petites imperfections, a permis qu’il redevienne à la mode.»
Comment les fabrique-t-il ?
Ses premiers pas, il les fait à tâtons, afin d’explorer cette nouvelle technique mais avec toujours l’idée de s’amuser. S’il n’avait pas encore acquis une presse hydraulique dans l’atelier qu’il occupait à Montreuil précédemment, il les conçoit et les fabrique néanmoins, et commence à les diffuser sur les marchés. Une rencontre avec des architectes l’encourage à participer à un concours « Faire » organisé par la Mairie de Paris. Bingo ! Il est primé et gagne la coquette somme de 10 000 euros. Ça y est, « l’impulsion est donnée », il monte son entreprise et s’équipe en matériels, en particulier une presse qu’il achète au Maroc. « Autant les moules que la presse et mon savoir-faire, tout vient du Maroc ! », avoue-t-il en souriant. Chaque carreau sorti répond à un protocole de fabrication immuable. A partir de sable, d’eau, de ciment et de pigments colorés, il va produire une pâte. « Une sorte de pâte à crêpe à partir de ces quatre éléments qui, mélangés dans une bétonnière, vont constituer un mortier. » Pour fabriquer ces carreaux, il faut ces quatre ingrédients et plusieurs couches de mortiers différents.
Dans son moule, il pose un diviseur, une sorte de pochoir en 3D qu’il va remplir de cette pâte. La dernière couche posée, à base de sable, ciment et eau, permettra de consolider le carreau. Dernière étape, la presse. « Il suffit d’appuyer sur un gros bouton quelques secondes pour que la presse fasse son œuvre. Trente tonnes qui permettront d’uniformiser l’humidité du carreau. »
Carreaux et solidarité
Au mur de son atelier, les différents carreaux de sa collection constituent une fresque colorée, aux motifs variés. Abstraits ou figuratifs, la palette est large et l’inspiration des artistes qui ont contribué à les créer n’a rien à voir avec les modèles standards proposés en magasin. « Je ne fabrique qu’à la demande, précise-t-il. J’ai plus de 60 collections à ce jour et autant d’artistes qui ont travaillé avec moi. Pour sortir 1 mètre carré de carreaux, il me faut deux jours de travail. »
« Mon entreprise, j’y mets 100% de mon énergie, j’y passe mes nuits, les mains dans le mortier 7 jours sur 7, sans compter le temps que je passe à faire connaître mon travail… Si je ne fais que cela, comment me regarder dans un miroir ! » Avec son regard critique sur la tournure que prend de jour en jour la société, César se lâche. Alors, il décide d’inclure une dimension sociale et solidaire, car pour lui, la sauvegarde passe par la solidarité. Pour la deuxième année consécutive, il organise avec le Secours populaire et SOS Méditerranée le concours du carreau de ciment solidaire, ouvert à tous. Les 3 gagnants sont invités à venir à l’atelier fabriquer leurs carreaux avec lui. Les 150 carreaux réalisés sont ensuite vendus à l’unité, présentés dans un bel emballage cartonné. Tout le produit de la vente est reversé aux deux associations. « Cent soixante personnes ont participé à cette initiative et m’ont proposé des motifs. C’est pour moi l’occasion de découvrir de nouveaux talents et à ces derniers de se faire connaître sur mon Instagram où je suis suivi par 30 000 followers. »
Des craies écolos et solidaires
En 2024, une idée toute simple lui vient en observant les restes de ciment coloré : les transformer en craies géantes.
« A la fin de chaque journée de production, il me reste toujours de la pâte de ciment colorée, fragile mais inutilisable. Alors, explique César, plutôt que de les jeter, j’ai décidé d’en faire des craies de trottoir pour les enfants. » Chacune d’elle pèse 300 grammes, coulée dans des moules et reprend les teintes colorées des collections de carreaux fabriquées dans la journée. Cette démarche qui vise à éliminer les déchets va bien au-delà. Ces craies sont vendues à prix libre lors de ses ateliers, au profit du Secours populaire. « En transformant un déchet en un objet du quotidien qui inspire la créativité, cette initiative montre qu’il est possible de concilier artisanat, écologie et solidarité. »
S’il collabore avec le SPF, César s’est néanmoins fait contacter par l’architecte de l’Elysée pour réaliser le sol d’un dressing. Pour autant, il continue d’expérimenter tous les jours ses idées les plus folles. Aujourd’hui il travaille avec des parfumeurs pour créer des carreaux parfumés. « Chaque carreau, explique-t-il, est composé de plusieurs pâtes de ciment coloré. C’est le pigment qui lui donne sa couleur. Il suffit de rajouter quelques gouttes d’huile essentielle au même moment pour obtenir un carreau parfumé ! Un rouge cannelle et pourquoi pas un jaune citron ! »
A l’heure où ces lignes sont écrites, César Bazaar, à califourchon sur sa moto, sillonne les routes du Vietnam à la rencontre de nouveaux artisans, créateurs de carreaux de ciment. Il compte affiner sa pratique et découvrir les conditions dans lesquelles ils travaillent. Tchao Pantin ! Bonjour Hô-Chi-Minh-Ville !
Site Internet : cesarbazaar.fr
Claude Bardavid