« L’amour ouf » : Ahmed Hamidi scénariste des temps présents
- Originaire de Bondy, le dialoguiste et réalisateur a participé à l'écriture de « L'amour ouf » de Gilles Lellouche, actuellement au cinéma.
- Rédigé à six mains, le film impressionne par sa mise en scène fougueuse d'une histoire d'amour et de malfaiteurs sur fond de lutte des classes.
- Rencontre avec un scénariste humaniste et prolifique, auteur notamment des légendaires « Guignols de l'info » ou du film « Le grand bain ».
Vous avez co-écrit « L’amour ouf » avec votre ami Gilles Lellouche et Audrey Diwan, en vous inspirant d’un roman de Neville Thompson. Comment passe-t-on d’une chronique sociale à un blockbuster romantique ?
Gilles souhaitait faire ce film depuis 17 ans et a acheté les droits de ce bouquin depuis longtemps. Il a tout de même voulu gagner en maturité avant de réaliser une grande fresque sociale et a attendu le succès du « Grand bain » pour réunir un grand casting d’acteurs et une large équipe technique autour du projet. Les producteurs Hugo Sélignac et Alain Attal l’ont suivi et il a voulu créer une œuvre mêlant romance et thriller, avec pas mal de références musicales.
Avec Gilles et l’écrivaine Audrey Diwan, on a multiplié les clins d’oeil aux films de Francis Ford Coppola ou de John Carpenter qu’on regardait à 15 ans… en nous inspirant de nos propres souvenirs d’adolescence pour donner à l’histoire d’amour un côté réaliste et universel.
Le tournage a duré 18 semaines dans plusieurs villes du Nord-Pas-de-Calais et la direction n’a pas lésiné sur les moyens avec des scènes de plus de 500 figurants dans les boîtes de nuit, des costumes adaptés aux trois époques que traverse le long-métrage, beaucoup de cascades de voiture, des scènes de bagarre filmées un peu à l’américaine… Les comédiens étaient ultra-impliqués et avec un budget de 35 millions d’euros, Gilles a pu faire le film ambitieux dont il rêvait en embarquant le spectateur dans une intrigue palpitante.
Un pari plutôt réussi au vu des 17 minutes de standing-ovation du public lors de son passage au Festival de Cannes il y a cinq mois…
Avec Gilles, c’était la deuxième fois qu’on montait les marches du Festival de Cannes (NDLR : après la projection du Grand bain présenté en sélection officielle en 2018) et la réception de « L’Amour ouf » nous a donné énormément d’élan et l’envie de porter le film dans tous les médias. L’équipe technique était impeccable et les acteurs très soudés, avec d’excellentes relations dans le groupe. Gilles avait déjà travaillé avec Benoit Poelvoorde sur le tournage du « Grand bain » en 2018 et les artistes à l’affiche du film se connaissent bien, ce qui donne ce côté réunion familiale et cette énergie lors des conférences de presse ou des rencontres avec le public à l’issue des projections. Ce dimanche 13 octobre, « L’amour ouf » a été diffusé en simultané dans plus de 400 salles obscures de l’Hexagone et on a fait 57 000 entrées en un jour. J’espère que ce sera de bonne augure pour la suite !
Vous avez été animateur jeunesse à Bondy puis « serveur-blagueur » au service du « concept-store » Colette à Paris. Comment êtes-vous passé de ce travail à l’écriture pour la télévision ?
A l’époque, les passerelles étaient plus faciles et les employeurs sans doute moins obsédés par les diplômes. J’ai laissé tomber les études avant mon Baccalauréat pour voyager en Europe, en Grèce… Après pas mal de petits boulots, j’ai atterri dans une boutique de luxe rue Saint-Honoré où j’ai rencontré Jamel Debbouze et le Balbynien Kader Aoun avec qui le courant passait. Ils m’ont proposé d’écrire des blagues pour Canal + puis de rejoindre la chaîne d’abord pour le Service Après Vente d’Omar et Fred puis les « Guignols de l’info » avec entre autres Bruno Gaccio, une émission où je suis resté neuf ans. On faisait des revues de presse tous les jours avant d’écrire des sketches animés en direct à la télévision par les marionnettes. C’était une belle aventure qui s’est arrêtée brutalement lorsque Vincent Bolloré a pris la direction de la chaîne. Après cette annonce, j’ai voulu maintenir l’esprit Canal en réalisant la mise en scène au théâtre des spectacles de Jules-Edouard Moustic, le présentateur parodique du royaume de Groland.
La décision de Bolloré a déprimé des millions de téléspectateurs et des centaines de politiques ont pétitionné pour continuer à voir leur marionnette sur le petit écran…
Le rire caustique joue un rôle de catharsis en permettant à une société heurtée par de nombreuses inégalités de baisser en pression et remettre en cause les puissants. J’aime cette expression qui affirme que l’humour est la décontraction de l’intelligence et répond à un besoin collectif. Jamel m’a permis de réaliser la mise-en-scène des one-man-shows de Redouanne Harjane au Marrakech du rire en 2009 et j’ai vu à quel point le rire est libérateur pour le grand public. Des années plus tard, je suis passé à la réalisation avec « Le médecin imaginaire », une comédie inspirée de Laurel et Hardy qui interroge les chocs de culture entre le monde des jet-setteurs et celui des campagnes marocaines.
Ce thème des différences culturelles et du combat pour trouver sa place est un fil rouge dans nombre de vos films. Pour quelle raison ?
Je suis issu de l’immigration algérienne, j’ai grandi dans une cité de Bondy et forcément les questions liées à l’identité ou au social me parlent plus qu’à d’autres. En 2013, un producteur m’a proposé de créer une fiction inspirée de la Marche pour l’égalité et contre le racisme lancée en 1983 suite à l’assassinat du jeune Toufik Ouanes à La Courneuve. L’écriture du scénario a nécessité un gros travail de recherche documentaire et j’ai essayé de rendre hommage à l’enthousiasme des militants qui ont participé à cet événement, montrer la reconnaissance médiatique des jeunes Maghrébins de France et les résultats de la mobilisation au niveau par exemple de l’allongement de la durée des cartes de séjour… Cette marche a aussi sensibilisé les Français à la ségrégation au sein des métropoles, qui n’a d’ailleurs pas énormément changé. Le chômage et la désindustrialisation des années 2000 ont aggravé la recherche de boucs-émissaires, un phénomène moins prégnant pendant les 30 Glorieuses quand les Français de souche et les immigrés travaillaient ensemble dans les usines et partageaient des valeurs de convivialité ou de solidarité ouvrière. J’aime bien rappeler dans les films que le sens du collectif est aussi facteur de mieux-vivre et d’une plus grande compréhension de l’autre.
« Le grand bain », que vous avez co-scénarisé en 2018 a fait plus de 4 millions d’entrées en France. Plus tard, « Golo et Ritchie » a attiré 230 000 personnes dans les salles. Comment expliquez-vous ce succès ?
Ce film choral raconte l’histoire d’hommes bien cabossés par la vie qui, à 50 ans, font un bilan assez vertigineux de leurs rêves brisés ou de leurs échecs. Plutôt que rentrer dans la déprime, ils se cherchent de petites victoires en formant une équipe masculine de natation synchronisée et en essayant de sortir des injonctions toxiques de la masculinité. Le succès phénoménal du film, qui a été nommé 11 fois au Festival de Cannes montre peut-être que la société est en train de s’éloigner des stéréotypes de genre et accepte davantage la différence ou une certaine fragilité masculine.
De même, le documentaire « Golo et Ritchie » que j’ai réalisé en 2022 avec Martin Fougerol raconte l’aventure à bicyclette de deux youtubeurs de Grigny sur les routes de France, à la rencontre du pays profond avec des agriculteurs, des religieuses… Au rebours des clichés, le long-métrage montre que les Français des campagnes aiment échanger avec des gens issus d’univers différents – ici les quartiers populaires – et qu’il y a un besoin énorme de rencontres dans la société d’aujourd’hui.
Vous venez souvent en Seine-Saint-Denis voir votre famille. Avez-vous des projets sur notre territoire ?
J’habite à Paris mais je me déplace souvent à Bondy, où vivent mes soeurs et ma maman. C’est la ville de mon enfance, de ma jeunesse, celle de mes racines personnelles… L’aspect chaleureux de cette commune m’a toujours marqué et j’aime l’authenticité des relations entre les gens. En ce qui concerne mes projets, comme je suis assez superstitieux, je préfère ne pas en parler… C’est un peu puéril mais j’ai peur que cela porte malheur !
Crédit-photo : Ahmed Hamidi