A 70 ans, le Trianon est loin de sa dernière séance

Dès que les premières paroles de la Dernière séance se font entendre, c’est la course dans tous les foyers de France, pour se précipiter devant le petit écran et assister en famille à l’émission de Monsieur Eddy. Une soirée cinéma avec deux films, un dessin animé, une attraction et en prime une ouvreuse proposant dans sa corbeille en osier des eskimos glacés. Rituel hebdomadaire dont la première séance a lieu en janvier 1982 et qui tire sa révérence en décembre 1998. Coproduite et réalisée par Eddy Mitchell et Gérard Jourd’hui, cette émission diffusée sur FR3 a permis de faire connaître le Trianon, et en a fait l’une des salles les plus mythiques de l’hexagone.

La place Carnot à Romainville, au croisement de plusieurs routes, était déjà à la fin du 19e siècle un lieu idéal pour installer un café. Les cinémas n’existant pas alors, des projections étaient organisées dans ces lieux de rencontre. Il faudra attendre 1929, pour que le certificat de naissance du Trianon comme salle de cinéma de quartier soit officialisé. Malheureusement, en avril 1944, des bombardements alliés visant la gare de Noisy-le-Sec utilisée par les Allemands, détruisent par erreur le café, le dancing et le cinéma sans faire de victimes. Il faudra attendre 1950 et les fonds de dommages de guerre pour se lancer dans un nouveau projet de cinéma. On fait appel à l’architecte Gérard Geneste pour imaginer en 1953 ce bâtiment en forme de paquebot, conservé jusqu’à aujourd’hui. Le cinéma a remplacé le café qui rouvrira néanmoins en 1962, occupant une place beaucoup plus modeste. Un dancing prévu dans les plans, n’a jamais vu le jour. Quand en 1984, le propriétaire M. Seigneur décide de prendre sa retraite, il se tourne vers les municipalités de Romainville et de Noisy-le-Sec qui décident d’un commun accord d’acquérir la salle et de confier sa gestion à un syndicat intercommunal. Pas question de fermer un cinéma de proximité.

Avec sa façade inimitable frappée du sceau de son époque, véritable totem pour les deux villes, son nom mythique inscrit dans une élégante typo, le Trianon s’impose. Parquet au sol, tentures rouges aux murs et fauteuils de la même couleur, rideau de scène, il est reconnu et inscrit à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques en 1997. Le Trianon est l’un des rares cinémas des années cinquante à faire battre encore le cœur du 7e art. Protégé, il ne finira pas en «building supermarché»… Monsieur Eddy est rassuré et nous aussi.