Trois centres dramatiques nationaux, trois sensibilités (3)

Trois centres dramatiques nationaux, trois sensibilités  (3)
Théâtre
  • int-Denis compte sur son territoire centres dramatiques nationaux, soutenus par l'Etat et par le Département.
  • Théâtre Gérard-Philipe à Saint-Denis, Théâtre de la Commune à Aubervilliers et Théâtre public de Montreuil représentent autant de chances pour les artistes et les spectatrice·eurs.
  • Leurs directrices et directeurs nous les présentent. Troisième de la série, Frédéric Bélier-Garcia, du Théâtre de la Commune.
  • Lorsqu’on apprend sa nomination à la direction d’un Centre dramatique national (CND), qu’est-ce qu’on se dit ?

Joie et anxiété ! C’est mon deuxième CND, c’est donc un remariage. J’ai certainement une conscience plus profonde des choses, mais comme c’est un tout autre territoire avec une toute autre histoire, ça fait le même effet que si c’était la première fois.

  • Ce théâtre, est-ce un bel outil ? Pourquoi ?

Oui, il est très beau, il est chargé d’histoire, et il a un côté palais d’hiver russe, surtout lorsqu’il va neiger, un peu Saint- Petersbourg au milieu des tours. Cette salle des fêtes de 1900 et son environnement donne beaucoup à penser et a un charme unique. Certes la profondeur de scène n’est pas terrible, il y a des contraintes, la grande salle est très étroite avec seulement 8 mètres d’ouverture, donc certains spectacles ne peuvent y être joués. Mais il faut faire sa programmation en fonction de cela.

  • Qu’est-ce qui vous fait dire « ce spectacle, j’ai envie de le programmer » ?

Il y a plusieurs principes. Le premier est l’étonnement. Je vais voir beaucoup de spectacles et mon attraction va spontanément aux choses dont je ne vois pas les recettes qui ont permis de les réaliser. Ensuite il y a une assez grande propension à la joie. Il faut que le spectacle, même une tragédie, soit montée avec une intensité que j’appelle joyeuse, au sens large du terme. Enfin je suis respectueux du fait que les gens viennent au théâtre pour 1000 raisons différentes. Certains pour rire, d’autres pour voir telle ou telle actrice ou acteurs, d’autres pour entendre et voir des formes nouvelles…  Je ne trouve pas qu’il y ait de hiérarchie entre ces envies-là. Après c’est aussi le rôle d’un directeur de centre dramatique que de surprendre un peu les gens par rapport à ce qu’ils viennent chercher, donc je suis oui, par nature, pour une programmation assez ouverte, sans chapelle.

  • Votre rôle c’est aussi de créer des spectacles. Qu’est-ce qui vous donne envie de monter une pièce ? Un texte, un fait de société, un témoignage ?

C’est un peu différent des autres je crois. Moi, je viens du texte, alors que la plupart des metteurs en scène sont des acteurs défroqués. Dans une sorte de vie antérieure j’étais prof de philo puis je suis rentré comme dramaturge à la Comédie française et au conservatoire et ensuite j’ai eu l’envie de passer à la mise en scène. Ce qui me donne envie de monter un spectacle, c’est d’abord un texte, un auteur. J’insiste sur auteur, une pensée singulière, une manière de voir le monde qui peut être loin de la mienne parfois, mais qui me qui me saisit. Ce n’est pas tant le thème que la capacité à me surprendre et à surprendre le public.

  • Quelle est votre méthode pour aller au-devant du public?

Le rapport au public marche toujours sur deux jambes : sur la programmation et sur l’action. Ce théâtre est un peu déraciné, le but de ces premières saisons est que les gens repèrent ce théâtre comme un lieu d’amitié, dans lequel les gens peuvent venir. Le premier objet que l’on a présenté était Portrait de famille, une histoire des Atrides (d’après Euripide, Sophocle, Eschyle et Sénèque, texte et mise en scène Jean-François Sivadier) un spectacle fleuve, mais dans lequel Sivadier réécrit la première histoire du théâtre, celle des Atrides.  Avec comme acteurs une bande du conservatoire avec des visages assez représentatifs de la France d’aujourd’hui, de la Seine-Saint-Denis. C’était important de commencer ainsi, d’ailleurs il y avait une sorte de jubilation et d’enthousiasme en eux qui portait celle du public. Puis on a programmé du jeune public, ce qui est un des axes de la maison. C’est une stratégie noble, parler aux enfants mais aussi attirer les familles qui on le sait ne viendraient pas spontanément ici. C’est toujours par la programmation qu’on s’enracine un peu.

  • Depuis votre arrivée, avez-vous eu de bonnes surprises ?

Je n’ai eu que des bonnes surprises ! (rires ) Non, pas que des bonnes surprises, ce n’est pas vrai. Je connaissais La Commune parce que j’y étais passé plusieurs fois en tournée alors que Didier Bezace en était le directeur. C’était des passages, sans s’intégrer dans le territoire. Mais depuis un an à y déambuler, je trouve qu’il y a à Aubervilliers des acteurs comme Villes des musiques du monde, chez qui nous avons déjà fait des spectacles, il y une sorte, je ne dirais pas de « vivre ensemble » car ça fait désormais appellation contrôlée, mais un charme particulier à Aubervilliers. Dans le parc Stalingrad des Chinois viennent le matin faire du taï-chi, puis ils sont remplacés par les Tamouls qui jouent au cricket, il y a là un mélange qui tient à l’habitat, ces immeubles sans grandes cités et pas toujours en forme qui abritent différentes communautés dans une cohabitation assez joyeuse et dynamique.

  • Qu’est-ce qui vous guidera dans la construction de votre prochaine saison ?

Après cette première saison qui a été construite un peu à l’arrache, la prochaine sera plus centrée sur les créations, ce qui entre dans les missions des CDN. A l’automne nous présenterons cinq créations. On a lancé une nouvelle façon de programmer. Des créations mais aussi des « pavillons » à la façon des pavillons vénitiens, où un artiste vient et métamorphose le lieu à sa manière durant 15 jours. Il présente une création, une œuvre du répertoire, et il fait venir une pépinière de jeunes artistes qu’il a envie de présenter. Pour l’instant on l’a fait avec un festival tunisien qu’on a fait venir en septembre, Dream city, qu’on a installé un peu partout à Aubervilliers.  On l’a fait avec une autrice Marie N’Diaye, avec Nathalie Béasse et aussi avec le jeune public. Il y a eu 3000 enfants sur 4 jours. En semaine on avait présenté deux spectacles et on proposait aux élèves de faire venir leur famille sur l’autre spectacle, le samedi. On a alors vu entrer dans le théâtre une population qui n’y était jamais entrée.

Cette manière d’occuper le théâtre et de proposer une sorte de lieu de vie une fois tous les deux mois, on sent que ça prend bien que cela correspond avec l’envie du territoire.

  • Entre le moment où vous êtes arrivé et aujourd’hui, votre point de vue a-t-il changé sur ce théâtre, la ville ?

Je suis arrivé craintif car c’était un théâtre qui avait un passif (NDLR : graves problèmes entre la précédente direction et les employés). Il y a une super équipe, tout le monde est parti sur le projet avec enthousiasme. Ce n’est pas une surprise, mais c’est une bonne nouvelle ! Et je découvre encore le territoire, la ville qui bouge beaucoup. Ce qui fait sa force et sa fragilité. Et les artistes et les structures comme le Campus Condorcet et l’EHESS qui s’y installent, ce sont des potentialités. Car je vois les centres dramatiques nationaux comme des catalyseurs de forces, pour proposer de lier des artistes aux doctorants de l’EHESS, qui ont eux-mêmes une volonté de ce tourner vers Aubervilliers. A nous de les embarquer, comme tous ces acteurs sociaux, culturels, artistiques, dans une aventure culture.

Photo : Hefse Guiro

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