« J’ai dessiné Drancy » : un documentaire sur un témoignage exceptionnel du camp de Drancy

« J’ai dessiné Drancy » : un documentaire sur un témoignage exceptionnel du camp de Drancy
Mémoire
  • Sorti cette année, ce documentaire poignant présente le témoignage exceptionnel de Georges Horan-Koiransky, qui durant ses 9 mois de détention à Drancy, a dessiné le camp et ses internés.
  • Ses dessins en noir et blanc montrent toute l’horreur de l’univers concentratrionnaire du camp de Drancy, d'où de 1941 à 1944, 63 000 Juif·ves partirent vers les camps de la mort.
  • Le documentaire, réalisé par Xavier et Benoît Pouvreau, historien au Département et spécialiste de Drancy, met en valeur ces documents d’une grande rareté et un destin hors du commun.

Georges Koiransky sa femme Hélène

« Je suis intoxiqué de Drancy, saturé. Toutes ces images – j’en ai fait des centaines, peut-être un millier – elles sont impressionnées dans ma pensée (…) Je dors encore sous leur maléfique influence. » C’est ce qu’écrit Georges Koiransky dans son Journal, commencé en avril 1943, juste après sa libération du camp de Drancy.

Le destin hors du commun de ce dessinateur juif, arrêté le 10 juillet 1942 sur dénonciation, interné à Drancy et finalement libéré en raison de son statut de « mari d’Aryenne », est magnifiquement retranscrit par le documentaire de Xavier et Benoît Pouvreau, « J’ai dessiné Drancy ».

Durant ses 9 longs mois de détention dans ce qui est en train de devenir le plus grand camp d’internement des Juifs de France, Georges Koiransky va en effet dessiner les détresses mais aussi les moments d’humanité du camp de Drancy, conformément à la parole donnée à un de ses co-détenus, René Blum, l’un des frères cadets de l’ancien président du Conseil Léon Blum.

Mieux encore : dans le film, ces 56 estampes publiées en 1947 à compte d’auteur sous le titre « Drancy, seuil de l’enfer juif  » et d’autres croquis vont être associés à un Journal d’internement, retrouvé par Benoît Pouvreau et publié pour la première fois en 2017.

« Si l’on ajoute à ça les lettres clandestines, gardées aussi par la famille, et les lettres officielles, ça faisait énormément de matière, dans laquelle il a fallu faire des choix. Chaque fois que les scènes décrites dans le Journal faisaient écho à des dessins, j’ai choisi de les garder, raconte Xavier Pouvreau, le réalisateur. D’autant que c’étaient souvent des scènes poignantes, comme les femmes qui jettent leur pain aux convois en partance pour la déportation, ou l’arrivée au camp des enfants, encadrés par les gendarmes. »

Il n’y a pas que dans l’esprit de Georges Koiransky que ces images restent en tête : tout spectateur qui voit ces dessins en noir et blanc de spectres luttant pour leur survie et tentant de trouver un sens à tout cela, s’en souvient forcément. La plume et les mots de ce dessinateur industriel de 48 ans saisissent sur le vif l’horreur des déportations, la misère et les trafics régnant dans le camp, l’arbitraire et le sadisme de ses gestionnaires, qu’il s’agisse des gendarmes français ou des superviseurs nazis.

Dessiner ces scènes n’est évidemment pas sans risques : à tout moment, Georges peut être surpris par les gendarmes qu’il désigne dans son Journal comme la « plaie des internés » et placé en prison. « Ce qui était très dangereux à Drancy car alors, conjoint d’Aryen ou pas, vous pouviez être pris pour compléter un convoi qui partait pour Auschwitz », rappelle Benoît Pouvreau, conseiller historique sur le documentaire. D’où le « rideau humain » évoqué par Georges dans son Journal pour qu’il puisse continuer son œuvre de témoin.

« Aussi une histoire d’amour »

« Ce n’est pas la longueur de la détention de Georges Koiransky à Drancy qui est exceptionnelle, c’est plutôt la qualité de ses témoignages, écrit et dessiné. Des détenus qui ont fait des dessins de ce qu’ils vivaient à Drancy, il y en a eu très peu parce que cela représentait un risque. Et pour ceux qui l’ont fait comme David Brainin, c’était plutôt des portraits de famille. Georges Horan, lui, dessine presque dès le départ dans un souci de témoigner. », fait encore remarquer Benoît Pouvreau. Pour mémoire, le camp de Drancy, ouvert en août 1941 dans une cité encore non achevée, a vu passer 80 000 Juifs de France au sein de ses bâtiments en forme de U. 63 000 d’entre eux ont été déportés, principalement à Auschwitz-Birkenau.

Dans les lettres clandestines que le détenu échange avec sa femme Hélène, on voit à la fois tous les égards que prend Georges pour ne pas inquiéter ses proches, et toute l’énergie de se femme, qui durant 9 mois remue ciel et terre pour trouver les bons papiers attestant de son statut de « mari d’Aryenne » qui pourrait déclencher sa libération.

« En même temps qu’un témoignage historique sur Drancy, c’est aussi une histoire d’amour. Et je voulais que cet aspect-là soit présent », ponctue Xavier Pouvreau.

Après sa libération le 13 mars 1943, Georges Koiransky prendra soin de se cacher pour ne pas subir une nouvelle arrestation, puis, revenu à Boulogne-Billancourt, il entrera dans la Résistance, y mettant à profit ses talents de dessinateur pour fabriquer des faux papiers. C’est à ce moment-là qu’il prendra le nom d’emprunt de Georges Horan.

Le documentaire de Xavier et Benoît Pouvreau, en plus de rendre accessible un témoignage exceptionnel sur Drancy, restitue bien l’humanité de ceux qui se sont retrouvés parqués là, dans l’antichambre de la mort.

Christophe Lehousse

Illustrations: Georges Horan-Koiransky, Collection particulière, Archives départementales de la Seine-Saint-Denis

  • « J’ai dessiné Drancy », un documentaire de 53 minutes de Xavier Pouvreau- Conseiller historique: Benoît Pouvreau- Squawk Films, avec le soutien de la Fondation pour la mémoire de la Shoah.
À lire aussi...
Mémoire

Shoah : avec les collégien·nes de Stains à Auschwitz 4/5

"C’est le plus grand cimetière du monde mais sans tombes", lâche Salma, élève au collège Joliot-Curie à Stains. Comme elle, ses camarades de classe ont fait le voyage jusqu’à Auschwitz-Birkenau, en Pologne, les 12 et 13 mars pour ne pas[...]

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *