« Flâneries », la revue de voyages féministe née dans le 93
- Né d’une envie commune entre plusieurs rédactrices de blogs de voyage, ce tout jeune magazine, lancé en janvier 2024, entend célébrer les voyages d’un point de vue féministe.
- Sorti notamment de l’imagination de Paule-Elise Boudou, qui habite Romainville, il est aussi imprimé à la Martiennerie, un studio d’art graphique situé dans la même ville.
- Après avoir mis à l’honneur le voyager ensemble et la cuisine, son numéro 3, qui sortira fin 2025, est consacré à la lenteur.
Une plongée dans la cuisine congolaise à vous faire venir la salive à la bouche, un voyage à Berlin qui tient finalement plus de la recette iranienne, des récits qui évoquent aussi des troubles alimentaires, quand la cuisine devient métaphore d’une culture non assumée ou rejetée… Voilà un petit mezzé des saveurs que contient le 2e numéro de Flâneries, le plus récent.
Consacrée aux écritures féministes autour du voyage, cette revue qui s’adresse autant au plaisir des yeux qu’aux engrenages de l’imaginaire, est née en janvier 2024, des envies conjointes de plusieurs rédactrices de blogs de voyage.
« On était plusieurs à avoir des blogs de voyages et à vouloir dépasser le stade du numérique pour avoir quelque chose qui reste, un objet papier. Simultanément, il y avait aussi cette frustration de constater que les récits de voyages traditionnels étaient quand même très dominés par un point de vue masculin », résume Paule-Elise Boudou, l’une des 4 co-fondatrices avec Madeleine Parpet, Justine Veillard et Tiphanya Ursula Chenu.
Et cette amoureuse des voyages et grande curieuse de préciser sa pensée : « Non pas qu’on pense qu’être femme, c’est voir les choses différemment par essence, mais parce qu’en tant que femme, on vit forcément un voyage autrement qu’un homme : dans tel pays, une femme va se heurter à des limites dans l’espace public et à l’inverse dans tel autre, elle va pouvoir avoir accès à des univers féminins dans lesquels ne peuvent entrer les hommes. »
En veilleuse donc les flâneurs, place aux flâneuses… « Le titre de la revue fait référence à un chapitre du livre de Lucie Azéma « Les femmes aussi sont du voyage » qui est un peu notre ouvrage de référence », explique encore celle qui voit dans la flânerie un art de cultiver l’aventure au coin de la rue en même temps qu’une invitation à laisser de côté les incontournables touristiques.
« Finalement, on pourrait dire qu’on défend une approche anti-capitaliste du voyage : l’idée, c’est qu’on n’a pas forcément besoin d’avoir beaucoup d’argent et d’aller loin de chez soi pour faire l’expérience du voyage.»
Imprimée à Romainville dans une ancienne usine de batteries
Et effectivement : si Flâneries nous emmène au Pérou en BD ou encore en Nouvelle-Zélande à l’issue d’une panne de van, il nous fait aussi voyager tout intérieurement autour d’un couscous ou dans un pays complexe : l’Anorexie.
Autant de contributions non rémunérées de femmes, personnes non-binaires ou transgenres qui ont envie de faire entendre leur voix. « Ce champ des appels à contribution a été décidé démocratiquement, peut-être ouvrira-t-on par la suite à tout le monde. Une constante à chaque numéro est en tout cas qu’il faut faire entendre des voix diverses tout en trouvant un équilibre d’ensemble. »
Des récits à la première personne alternent ainsi avec des poèmes ou encore de courts romans graphiques, qui ressortent particulièrement bien grâce à la risographie. Cette technique d’impression écologique – puisqu’elle fonctionne à froid et est donc peu consommatrice d’énergie – a été développée avec amour par la Martiennerie, un studio d’art graphique de Romainville où le magazine est imprimé.
« Là encore, c’est l’histoire d’une rencontre à deux pas de chez moi, avec Anne Mars et Richard Manière qui aiment créer des objets d’art très personnels, qui convoquent à la fois la ville et la nature », souligne Paule-Elise Boudou qui, alors qu’elle cherchait un lieu pour imprimer Flâneries, est tombée sur ce couple installé à deux pas de chez elle, sur l’ancien site de l’usine de batteries de la SAFT à Romainville.
Intergénérationnel, ouvert et sensible, Flâneries sait bien capter l’air du temps : pour preuve, le n°3, dont l’appel à contributions a été lancé en décembre, aura pour thème la lenteur. Là encore, la décroissance et l’éloge du voyage à dos d’âne en mode « Antoinette dans les Cévennes » ne sont pas loin. Le succès de Flâneries a lui en tout cas été fulgurant.
Christophe Lehousse
Photos: ©Nicolas Moulard et Nada
Heureuse qui comme Paule-Elise….
Une bonne dose de curiosité, une belle plume et le goût des autres. C’est ainsi que l’on pourrait définir Paule-Elise Boudou, la Romainvilloise à l’initiative de Flâneries. Avant cette revue, cette touche-à-tout de 44 ans s’était déjà frottée à l’écriture dans un exercice plus solitaire : le blog de voyages « 1916 km » dont plusieurs entrées racontent aussi ses virées dans le 93 qu’elle habite depuis 15 ans. « Cosmopolite, solidaire, inattendu, on va de découverte en découverte dans ce territoire », raconte celle qui a par exemple écrit sur les intrigantes tombes slaves qu’on voit dans le cimetière de Romainville ou qui est aussi attirée par la friche Kodak de Sevran, « cette ancienne friche industrielle, rendue à la nature parce que trop polluée, mais où tant d’images ont surgi du fait de son activité photographique ». Jamais sans son appareil photo depuis qu’elle a 16 ans, elle a aussi produit « Nickel » avec Anne Mars et Richard Manière, un ouvrage d’art sur le site de la SAFT à Romainville, une ancienne usine de batteries.
Les voyages, elle est tombée dedans quand elle était toute petite, elle dont le père était réalisateur de documentaires, et dont la mère travaillait à ses côtés. « J’ai encore le souvenir d’un voyage qu’ils avaient fait tous les deux sur les traces d’André Malraux, au Cambodge, au Vietnam… Comme j’étais petite, je n’étais pas partie avec eux, mais à travers leurs cartes postales, je suivais tout ça par procuration », se souvient celle qui concède toutefois avoir changé un peu de manière de voyager sous l’influence de son épouse Hélène.
« Avant, j’étais beaucoup dans les to-do-lists, les objectifs de voyage incontournables. Là, j’ai pas mal changé : je pense qu’on peut faire un voyage aussi inspirant à deux pas de chez soi qu’à l’autre bout de la terre », insiste celle qui a notamment interviewé pour Flâneries Jody Danasse, autrice franco-indienne originaire de Villemomble à qui l’on doit notamment le livre de recettes illustré « A la table d’une famille tamoule ». Car oui, la nourriture est le péché mignon de Paule-Elise : après tout, ce n’est pas un hasard si elle travaille comme serveuse depuis quelques mois aux Cheffes, le café-cantine de la Cité Maraîchère de Romainville, fondé par 3 femmes. « Un lieu typique de ce que la Seine-Saint-Denis peut offrir : une vraie mixité sociale dans la clientèle et de la qualité dans l’assiette », nous lâche-t-elle… avant de partir faire son marché.
CL