Salif Cissé, il était une voix…

Salif Cissé, il était une voix…
Cinéma
  • A 30 ans, cet acteur qui a grandi à La Courneuve et habite désormais Saint-Denis, joue pour la première fois – et brillamment - les têtes d’affiche dans Le Répondeur, en salles depuis mercredi 4 juin.
  • Mordu de théâtre depuis le lycée, Salif Cissé a suivi le fil de cette passion qui l’a d’abord mené au Conservatoire national d’Art dramatique supérieur de Paris puis sur le grand écran.
  • Rencontre avec ce comédien doué et attachant qui rêve aussi de tourner un jour son premier long-métrage.

L’espace d’un instant, un affreux doute nous saisit : et si la personne qui nous répond au téléphone pour cet interview n’était pas Salif Cissé, mais quelqu’un qui se fait passer pour lui ? Après tout, c’est la situation de départ du Répondeur, la très fine comédie de Fabienne Godet, en salles depuis le 4 juin: un comédien aux talents d’imitateur se fait embaucher par un écrivain à succès, horripilé par son (insu)portable qui sonne en permanence et le distrait de son grand œuvre.

Mais les détails donnés par la personne au bout du fil et la manière dont il parle avec justesse de la banlieue et du théâtre, sa grande passion, lèvent bien vite nos interrogations : non, c’est bien le vrai Salif Cissé à l’appareil.

De sa belle voix ronde, il dit par exemple : « J’ai découvert le théâtre au lycée Jacques-Brel de La Courneuve. A ce moment-là, j’étais un peu perdu comme tous les jeunes de cet âge et le théâtre est arrivé dans ma vie comme une déflagration. A partir de ce moment, j’ai choisi de suivre ce chemin. »

Ce n’est pas une pièce en particulier qui marque le jeune homme alors âgé de 16 ans, plutôt la possibilité de rêver et d’être qui l’on veut. Quoique, il y aurait bien Les Fourberies de Scapin : « Parce que le talent de Molière dans le comique de situation est incroyable. Il me faisait beaucoup penser à des films ivoiriens que je regardais jeune avec mes sœurs, des « théâtres ivoiriens » comme on les appelle, basés sur des quiproquos. Du coup, Molière et le théâtre sonnaient très familier à mes oreilles alors que ce n’était pas du tout mon milieu. », raconte le jeune homme, dont le père était chauffeur routier et la mère aide médico-psychologique.

L’Esquive, en vrai

On pense forcément en entendant ces mots à L’Esquive d’Abdellatif Kechiche, tourné du reste à quelques encâblures de la cité des 4000 de La Courneuve où a grandi Salif Cissé. Oui, Molière et le théâtre, c’est pour tout le monde, aussi pour un jeune homme noir issu des quartiers populaires.

Doué et travailleur, Salif décide alors de jouer sa carte à fond. « J’ai d’abord suivi des conservatoires d’arrondissement puis j’ai passé et réussi le Conservatoire d’art dramatique supérieur et là il n’y avait plus moyen de se cacher : le jeu n’était plus un hobby, mais un métier ».

Comme dans La Mort de Danton d’Alice Diop, documentaire qui retrace le parcours du comédien Steve Tientcheu d’Aulnay-sous-Bois, la route qui mène le jeune Salif sur les planches est jalonnée d’embûches. « Il y a ce moment où, au Conservatoire du 1er arrondissement, je me prends la différence de milieu social en pleine tronche. Je ne me sentais vraiment pas de là-bas, je n’osais pas aller vers les autres, jouer avec eux. J’ai fait un peu de monologue sur scène cette année-là. Mais ce n’était pas de leur faute, plutôt de la mienne. » Pas les mêmes codes, pas les mêmes références.

Alors, comme beaucoup de jeunes ayant grandi en banlieue, Salif s’accroche à son rêve et met les bouchées doubles. « Ce qui fait vraiment la différence entre Paris et la banlieue, c’est l’apprentissage des codes et le capital culturel comme dirait le personnage de Pierre Chozène (l’écrivain joué par Denis Podalydès dans Le Répondeur). Alors, si tu veux quand même réussir, tu dois t’accrocher, rattraper certaines références ou valoriser des choses que tu as déjà mais dont tu sous-estimais l’apport : Pierre dirait sans doute le fait d’avoir vécu. »

Ses débuts sur la toile, il les fait dans « A l’abordage », road-movie de Guillaume Brac relatant les aventures de deux jeunes hommes des quartiers populaires. « C’est un privilège de commencer par un film pareil parce que les deux premiers rôles sont tenus par des hommes noirs, même pas un couple. Ca m’a lancé dans un imaginaire où les personnes noires existent. J’ai conscience que ce n’est pas toujours le cas pour d’autres acteurs noirs qui se voient proposer des rôles plus stéréotypés », dit celui qui a aussi joué chez Arnaud Desplechin ou Valérie Donzelli.

Des récits plein la tête

Signe que le cinéma français a enfin su évoluer vers plus de diversité, dans Le Répondeur, le personnage de l’imitateur que joue Salif Cissé n’a aucune connotation racisée. « Certains réalisateurs se seraient sans doute posé la question : « Ne faut-il pas légitimer par le scénario le fait que Baptiste soit noir ? » Car on en est encore à ce stade où il faut justifier la présence des personnes noires à l’écran. Evidemment, c’est génial qu’il existe des films comme L’histoire de Souleymane, mais il faut aussi des acteurs d’autres horizons et qui existent comme n’importe qui dans la société », explique celui qui avait déjà réfléchi à la question dans un premier court-métrage qu’il a signé, « Alliés ». « L’histoire d’un jeune bourgeois qui, au retour d’un tour du monde, affirme avoir vécu une révélation qui lui a appris qu’en fait il n’est pas un homme blanc, mais un homme noir. Une affirmation qui crée évidemment des prises de position très diverses dans son entourage »

On le voit : Salif Cissé promène sur le monde un regard aiguisé, mais toujours empreint de bienveillance. On ne serait pas étonné de le voir passer un jour de l’autre côté de la caméra, sans doute pour y raconter une histoire d’attirance-méfiance entre Paris et sa banlieue ou pourquoi pas d’effets collatéraux du Grand Paris, lui qui, comme beaucoup d’habitants des 4000, s’est senti « déraciné » par la chute de sa barre Robespierre. « Bien sûr, mes parents vivent désormais dans un logement moins vétuste. Mais n’empêche que du jour au lendemain, on a tous été séparés par la rénovation urbaine. Quand je reviens vers ce qui a été premier lieu de vie et que je ne le vois pas, je ressens comme un vide, c’est assez étrange comme sensation ». Le Répondeur de Salif Cissé est en train d’accumuler des messages assez stimulants.

Christophe Lehousse

Photos: ©AntonyTandemfilms

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