Ernestine Ronai, stratège de la lutte contre les violences faites aux femmes

- Après l'avoir créé en 2002 et dirigé depuis, Ernestine Ronai quitte l'Observatoire départemental des violences envers les femmes.
- En mobilisant les énergies, elle est parvenue à créer des dispositifs innovants pour la protection des femmes et des enfants utilisés depuis dans toute la France.
Il en a fallu, du pouvoir de persuasion, pour qu’en 2002 Ernestine Ronai convainque Robert Clément président alors du Conseil général de créer en Seine-Saint-Denis le premier Observatoire départemental des violences faites aux femmes. On est alors bien loin de l’ère MeeToo et la question des violences faites aux femmes n’est jamais (ou presque) évoquée, ni dans la presse, ni dans les conversations. Il est parfois question de « violences conjugales », de « meurtre passionnel », mais la plupart du temps, tout cela reste dans l’ordre du privé, bien caché, bien silencieux.
Pour l’égalité, depuis toujours
Depuis toujours militante politique au PCF, féministe convaincue, au long de sa carrière d’institutrice à La Courneuve, de directrice d’école puis psychologue scolaire, ou bien en tant que secrétaire générale de l’association Femmes solidaires, Ernestine Ronai a pu constater les conséquences dramatiques des violences aussi bien chez les femmes que chez les enfants. Avec l’Observatoire départemental, elle va mettre en place un outil d’analyse des besoins et situations, un lieu d’écoute et de rencontre entre toutes les parties concernées pour que pas à pas, l’insécurité des femmes recule et l’égalité avance.
Dans une interview de 2007 parue dans Seine-Saint-Denis le magazine, elle racontait que son premier travail était de « recenser en Seine-Saint-Denis les nombreux acteurs de lutte contre les violences faites aux femmes pour fonder l’Observatoire sur le partenariat. Son comité de pilotage est constitué des services départementaux, ceux de l’Etat et des associations. Tous ont une importance égale et un rôle particulier. » En s’appuyant sur son réseau mêlant services départementaux (centres de PMI, crèches, services sociaux, aide sociale à l’enfance), justice, police, Education nationale, associations, l’observatoire commandite de nombreuses études pour mieux comprendre le phénomène des violences et mieux le combattre. L’observatoire a ainsi été le premier en 2007 à mener une enquête sur les comportements sexistes et les violences envers les filles de 18 à 21 ans en Seine-Saint-Denis.
Observer, imaginer, mettre en place
Au fil des ans, l’observatoire a mis en place des dispositifs innovants dédiés à l’accompagnement et à la prise en charge des femmes victimes de violences conjugales, mais aussi à la prévention de toutes les formes de violences sexistes. Inspirée par ce qui existait déjà en Espagne, Ernestine Ronai s’est démenée auprès du Parquet, de la police, du Département, des opérateurs téléphoniques pour expérimenter en Seine-Saint-Denis un Téléphone Grave Danger. Cet outil permet de protéger les femmes victimes de violences en très grand danger. Il est remis par le procureur aux femmes victimes de violences conjugales ou de viol en très grand danger, pour qu’elles puissent alerter et provoquer l’intervention immédiate des forces de police en cas de menaces ou de violences. Devant le succès de l’expérimentation, ce dispositif est désormais utilisé dans la France entière.

Chaque année, les Rencontres de l’observatoire départemental des violences faites aux femmes rend compte des avancées, des objectifs et remobilise avec entrain les professionnel·les !
Parmi toutes les autres innovations dédiées à la protection des femmes et à la lutte contre le sexisme, sous la direction d’Ernestine Ronai l’observatoire a créé les consultations de psycho-traumatologie, le protocole de mise en œuvre de l’ordonnance de protection des femmes victimes de violences, l’accompagnement protégé des enfants, le protocole de prise en charge des enfants orphelin·e·s suite à un féminicide ou à une tentative, les bons taxis, « Un toit pour elle », la lutte contre les mariages forcés ou encore la sensibilisation des jeunes à la lutte contre le sexisme…

Avec les rencontres Femmes du monde en Seine-Saint-Denis, l’observatoire contribue à l’échange d’expériences de la lutte contre le sexisme avec des femmes du monde entier.
Prévenir, former, éduquer
La formation, des jeunes particulièrement a toujours été un cheval de bataille d’Ernestine Ronai. Avec Jeunes contre le sexisme, chaque année des collégiens de Seine-Saint-Denis créent des vidéos, des affiches, slams pour dénoncer avec talent le sexisme dans leur quotidien. Pour former les professionnel·les Ernestine Ronai est également à l’initiative de la création à Paris 8 du premier Diplôme universitaire Violences faites aux femmes. Depuis, beaucoup d’autres universités proposent également cette formation. Et l’on doit citer également sa participation active à la CIIVISE (Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants), la rédaction de nombreux ouvrages sur la question des violences avec la psychologue Karen Sadlier ou le juge Edouard Durand, son engagement auprès des associations féministes… Si Ernestine Ronai quitte aujourd’hui son cher Observatoire départemental des violences faites aux femmes, elle n’en a pour autant pas fini avec la lutte pour l’égalité et la sécurité des femmes. A 78 ans, Ernestine a encore des cartouches…
Témoignages
Patrick Poirret, premier avocat général à la Cour de cassation
« Un grand général »
« J’ai toujours été impressionné par sa force de conviction, tout comme par sa constance. Elle aurait pu être un grand général. Elle a un objectif, assez lointain, ne le perd jamais de vue et déploie une stratégie pour l’atteindre. Elle n’exige pas le tout, tout de suite, au contraire de certains militants, elle sait obtenir des avancées, l’une après l’autre, pour parvenir à l’objectif qu’elle s’était fixé.
Elle m’a apporté également d’un point de vue personnel. Avant de la connaître, d’être procureur adjoint au tribunal de Bobigny, je connaissais les violences envers les femmes puisque j’étais sous-directeur de la Justice pénale générale à la direction des Affaires criminelles. Mais seulement d’un point de vue judiciaire. C’est elle qui m’a fait mon éducation en matière de violences envers les femmes, leur mécanisme, leur conséquences psychologiques, leur impact sur les enfants. C’est à son initiative que nous avons mis en place l’expérimentation du téléphone grave danger qui depuis a été mis en place dans la France entière et a permis de sauver des vies. »
Karen Sadlier, psychologue et co-autrice d’ouvrage avec Ernestine Ronai
« Négociatrice à l’ONU »
« Ce qui me frappe, c’est sa capacité à rassembler des gens différents, aux points de vue différents et à créer avec eux une cohésion pour travailler ensemble à un but commun. Elle aurait été une excellente négociatrice à l’ONU ! Elle éloigne les points de détails qui créent des divergences, pour que les gens soient d’accord sur les points clefs. Ainsi, brique après brique, elle construit un changement à long terme et durable.
Personnellement, elle m’a montré que quel que soit son âge, on peut garder l’énergie pour se battre. L’âge n’est pas une barrière, ça nous plaît !»
Emmanuelle Piet, médecin de Protection maternelle et infantile (PMI) en Seine-Saint-Denis, présidente du Collectif féministe contre le viol
« Rédactrice en chef »
« Je la connais depuis longtemps, avant la création de l’Observatoire. Entre féministes, nous nous rencontrions lors d’évènements, lorsqu’elle était rédactrice en chef de Clara magazine. Elle a une capacité extraordinaire à faire sortir le meilleur des personnes qu’elle rencontre. Bien souvent, au sortir d’une réunion avec des instances je pensais « On ne va rien en tirer de celui-là ! ». Eh bien, elle, elle parvenait à le convaincre ! Elle a de grandes qualités de pédagogue, tranquillement, elle guide ses interlocuteurs, qui apprennent avec plaisir, comprennent et appliquent !
J’ai adoré travailler avec elle, c’est toujours un partenariat, d’égale à égale. Elle demande l’avis des autres, en tient compte, tout cela pour enrichir le projet et se rapprocher du but fixé. Nous n’avons pas terminé, elle va bientôt reprendre son siège au conseil d’administration du Collectif féministe contre le viol, il y a encore du travail !»
Tous les commentaires1
Merci Ernestine!
Les journées de l observatoire auront marqué ma carrière de médecin de PMI.
Merci pour votre accompagnement pendant toutes ces années pour mener ce combat qui parfois nous semblait si difficile et douloureux sur le terrain.
Merci pour votre encouragement bienveillant à ne jamais baisser les bras pour accomplir une vraie mission auprès des femmes et des enfants en souffrance que nous suivons .
Merci pour cette lutte pour l égalité auprès des jeunes .
Vous avez ouvert ce chemin et d autres le feront perdurer .
Continuons le combat .
Avec tout mon respect .